Pourquoi la plupart des maisons rurales datent des années 1850

4 minutes de lecture

Il y a 170 ans

Pourquoi la plupart des maisons rurales datent des années 1850

Humbles rappels d’un monde disparu

Avec un peu d’attention, quand on se promène dans les campagnes françaises, et que l’on regarde les vieilles maisons des villages ou des écarts, souvent la date gravée sur le linteau tourne autour des années 1850. Les fontaines, les sources aménagées, le petit patrimoine comme on l’appelle, portent également une année de cette époque, bien que plus rarement gravée. À quoi tient cette fièvre de constructions rurales du milieu du 19e siècle ?

***

Ces petites traces nous rappellent que les campagnes françaises du milieu du 19e siècle ont alors connu leur maximum de population. En 1846, la population rurale est de 26,8 millions dont 20,1 millions vivent de l’agriculture (55,5 % de la population totale de la France, estimée à 36,1 millions). En 1861, ces chiffres n’auront guère bougé et seront de 26,6 millions de ruraux, dont 19,9 millions vivant de l’agriculture (53,2 % de la population française de 37,4 millions).

Il faut alors s’imaginer les campagnes, avec le parcellaire éparpillé de l’époque, bien avant le remembrement des années 1950-1960 qui nous a dessiné les paysages agricoles que nous connaissons. Ce sont des campagnes surpeuplées, avec des tenues minuscules (la majorité des exploitations font moins d’un hectare). Les paysans peinent durement, car les premiers progrès techniques s’étalent sur cette première moitié de siècle et sont lents à se diffuser (charrue réversible, cheval de trait, batteuse, recul de la jachère, etc.). En même temps, les pratiques agricoles collectives déclinent au profit des pratiques individuelles. La population est pauvre et les dernières disettes datent de cette période, dès que les conditions climatiques d’une année sont défavorables. L’année 1811, avec ses intempéries, l’année sans été de 1816, mais surtout 1846, avec le mildiou qui attaque la pomme de terre simultanément à de très mauvaises récoltes de blé.

C’est dans ces périodes de forte densité rurale que les terrasses des Cévennes, les restanques en Haute Provence, sont construites pour exploiter chaque mètre carré de terre. De même, les étangs du Berry sont remis en fonction, les Landes asséchées. Travaux démesurés qui rendent bien compte de cette surpopulation et de l’effort pour se nourrir.

La population rurale trouve une petite aide dans l’artisanat autour de l’industrie ou dans l’embauche en tant que journalier. La campagne n’arrive plus à nourrir sa population et c’est cette pluriactivité qui permet la survie.

Dans la décennie précédente, sous la Monarchie de juillet, l’émigration rurale vers les villes avait déjà fortement progressé. Paris, dans ses limites d’avant 1860, voit sa population doublée entre 1800 et 1850, atteignant à cette date un million d’habitants.

L’émigration rurale débute par des migrations saisonnières, nombreuses et de toutes sortes, locales, régionales ou nationales. On peut prendre l’exemple des maçons de la Creuse qui montaient à Paris durant la belle saison, pour répondre à la demande croissante de constructions. Cette population d’immigrés, composée d’hommes jeunes, donc plus délinquants, était peu appréciée, car ne parlant pas français et conservant leurs us et coutumes. Ils restaient entre eux, dans leurs endroits de sociabilité, aux marges de la cité, qui concentraient la délinquance. On retrouvera ces qualificatifs et craintes avec les vagues suivantes d’immigration : les Italiens, les Belges, les Polonais, les Portugais, les Maghrébins, les Africains…

***

La forte extension du chemin de fer, qui se développera considérablement sous le Second Empire et s’achèvera sous la Troisième république, crée un appel d’air très fort dans les campagnes. Nécessitant énormément de main-d’œuvre, notamment pour le terrassement (avec la règle : déblais égalent remblais), la construction d’une ligne aspire un grand nombre de manœuvres. Ils continueront à suivre la construction jusqu’à la ville et ne reviendront pas. Cette amélioration des transports servira ensuite à renforcer l’exode avec la demande croissante de l’industrie qui se met en place. Entre 1862 et 1882, le nombre de journaliers (ou manouvriers, paysans pauvres vendant sa force de travail à la journée dans une exploitation plus importante) diminue de moitié. Parallèlement, l’industrialisation en France se fit avec la pluriactivité, la grande majorité des ouvriers continuant à exploiter un lopin de terre. Au milieu du 19e siècle, le secteur textile emploie 60 % des ouvriers, dont 85 % sont ruraux. La prolétarisation des ouvriers en France interviendra progressivement et plus tardivement qu’en Angleterre.

L’exode rural, vaste lame de fond, se poursuivra jusqu’à la Seconde Guerre mondiale avec un rythme constant. La saignée de 1914-1918, qui a laissé ses traces sur tous les monuments aux morts de ces villages, avec leurs listes impressionnantes de Morts pour la France, n’a aucunement ralenti ce mouvement.

À partir de 1945, avec la reconstruction, les Trente Glorieuses et ses besoins de main-d’œuvre et surtout la mécanisation de l’agriculture, la population agricole achève de s’effondrer.

***

Au travers de ces dates sur les frontons, c’est donc un monde au début de sa révolution profonde qui nous apparait. Il nous oblige à imaginer des paysages et des villages totalement différents de ceux qui s’offrent aujourd’hui à nos yeux, vestiges de temps révolus où la vie était extrêmement dure pour les petites gens, en campagne comme en ville.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Jérôme Bolt ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0