Chapitre 2 : Passage en force

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Lorsque le jour se leva, Haniel s'éveilla. Immédiatement, il bondit hors du lit et courut dans le salon. Il voulait voir le lac.

Une brume aérienne le recouvrait et semblait flotter sur ses eaux calmes. L'horizon était empli de toutes les nuances de gris. A travers les nuages, Haniel aperçut l'ombre blanche de la lune qui s'effaçait. Alors il songea à Cassiopée.

Qui était ce petit être astral qui avait soudainement donné sens à son existence ?

Il ne savait qu'en penser. La seule chose dont il était certain, c'est qu'il n'était plus le même que la veille. Toute sa première journée de vie, il avait agi mécaniquement, sans se soucier du lendemain, intimement persuadé que chacun des autres jours qu'il passerait sur cette terre ressemblerait à celui-là. Mais il avait fallu qu'il sorte. Il avait fallu qu'il passe cette porte sans sa bulle. Et cet événement avait fait voler en éclats toutes ses croyances.

A présent, il était un être d'émotions.

Face au lac, elles l'avaient traversé pour le transformer. D'abord, la peur. Grimaçante et terrible. Et puis, l'amour. Infini.

En cet instant, il ne rêvait que d'une chose. Ressentir à nouveau ce sentiment qui l'avait foudroyé. Revivre ce moment de grâce éphémère où ses yeux, soudain libérés du filtre qui les aveuglait, avaient croisé ceux, tendres et rieurs, de Cassiopée. Pourtant, il le savait. Pour la revoir, la retrouver, il lui faudrait d'abord revivre le pire. Retourner à l'endroit même où il avait cru que la mort l'emportait. Il avait beau se dire que ni le lac ni le vent ne lui étaient hostiles, il avait beau se raisonner, réciter sa leçon, rien n'y faisait. La peur ne le quittait pas. Elle était là, tapie au creux de son ventre. Et patiemment, elle attendait le bon moment pour se répandre et l'inonder de son fiel noir et mortel. Il la sentait à l'intérieur. Elle compressait ses entrailles dès que son regard croisait les eaux livides du lac endormi.

Toute la journée, il hésita. Fallait-il renoncer à l'amour pour ne plus connaître la peur ? Ou fallait-il l'affronter, héroïquement la mettre à terre et la piétiner ? En était-il seulement capable ? Et s'il échouait... Si écrasé et humilié, il abandonnait le combat et qu'alors, levant les yeux au ciel, il croisait le visage angélique mais désenchanté de Cassiopée... Il sentit son cœur se serrer à cette pensée. Et ce sentiment-là, qu'il ne connaissait pas, teinté de honte et de regrets, lui sembla finalement pire que la peur elle-même. Il venait de prendre sa décision. Le soir-même, il sortirait. Mais cette fois, il regarderait sans ciller les eaux noirâtres du lac et resterait obstinément sourd aux cris oppressants du vent. Il allait se préparer. Et il serait prêt. Pour Cassiopée. Pour cet enfant de la lune qui avait illuminé de son visage radieux, sa sombre nuit, sa sombre vie.

Quand le soir tomba, Haniel se rendit dans le sas. Il pénétra dans la bulle puis sortit par la grande porte. Il fallait arpenter un petit chemin rocailleux qui contournait la maison pour rejoindre les bords humides du lac. Lentement, prudemment, il avança. Mais le sentier était étroit et la bulle, bien trop large. C'était problématique. D'autant qu'une allée de sapins jouxtait la maison et que l'arbre qui se trouvait à l'angle avait été planté bien trop près du mur. A moins que ce ne fût l'inverse. Mais peu lui importait à ce moment-là de savoir qui de l’œuf ou la poule était arrivé le premier. Ce qui le tracassait, c'était de savoir comment il allait pouvoir passer, car pour atteindre le lac, il n'y avait pas d'autre accès possible, si ce n'est la porte de sa chambre, dont il ne voulait plus entendre parler pour l'instant !

De toute évidence, la bulle ne passerait pas. Pourtant, Haniel ne se découragea pas. Il se dit qu'en forçant un peu, la bulle, qui était malléable, se plierait à son bon vouloir. Alors il avança et entra dans l'interstice. Les parois de la bulle se déformèrent pour de part et d'autre se rapprocher de lui. Quand il sentit qu'elle s'immobilisait, il se mit à courir, comme un hamster dans sa roue. Frénétiquement. Les paumes appuyées sur les parois transparentes, il courait à perdre haleine, accélérant le rythme, encore et encore, dans l'espoir fou que la bulle finisse par céder. Mais rien ne se passa. Elle était bloquée. Définitivement. Irrémédiablement. Haniel alors se laissa tomber sur le sol plastifié. Quel imbécile il faisait ! Comment avait-il pu penser qu'il pourrait passer ? Il s'en voulait d'avoir fait preuve d'une telle arrogance. Il s'était rêvé héroïque dans les yeux de Cassiopée mais il n'était qu'un bon à rien. Un imposteur, qui jouait les fiers-à-bras mais qui ne valait pas un clou. D'ailleurs, s'il avait réellement eu le courage qu'il s'était prêté, il serait sorti sans sa bulle.... Cette bulle qu'il avait pensé protectrice mais qui à présent l'oppressait, le persécutait presque, l'empêchant d'avancer et d'accomplir son rêve. Soudain pris de rage, Haniel se releva et frappa de toutes ses forces sur les parois de la bulle qui, transparente, offrait à son regard, le vaste monde, mais l'en isolait également, en le privant de l'essentiel. Car à quoi bon voir, si l'on ne peut sentir, si l'on ne peut entendre et toucher ? Et d'ailleurs voir, quel intérêt ? Ne fallait-il pas mieux contempler ?

C'est alors que quelque chose se passa. Tout à coup, les parois de la bulle frémirent et sifflèrent. Etait-elle crevée ? Allait-elle se dégonfler ? Bien au contraire ! Elle subissait une telle pression que comme un ballon qu'on aurait enfoncé dans l'eau, elle s'extirpa tout à coup du carcan dans lequel elle était enserrée. Haniel fut projeté dans les airs avant de s'écraser sur les eaux troubles du lac, désemparé. Aucun mot n'aurait pu mieux décrire l'état dans lequel il se trouvait. Il n'était plus seulement prisonnier de sa bulle. Il était prisonnier des flots sur lesquels il dérivait. Sidéré, il ne bougea plus. Ses yeux hagards fixaient le lointain. Que devait-il faire ?

C'est alors qu'il vit sur le lac, le reflet argenté de la lune. Soumise aux mouvements de l'eau, elle semblait onduler. Elle dansait presque. Bizarrement, cette image projetée de la lune lui paraissait plus vivante que la lune elle-même. Et il se demanda si c'était bien lui qu'il avait vu la veille, lorsque pour la première fois, il s'était regardé dans le miroir de la salle de bain. Il s'y était trouvé jeune, beau et plein de vie, mais n'était-ce pas un leurre? Car alors, il était vide à l'intérieur. Sans émotions. Sans âme, au fond.

Il leva les yeux. La lune était statique, immobile, et bien qu'il la fixa longtemps, le visage de Cassiopée ne lui apparut pas. Résigné, il mit debout, et marchant dans la bulle, tel le christ sur les eaux, il rejoignit la rive. Une fois sur le sable, il ouvrit la bulle et sortit. Les deux pieds au contact du sol, il marcha jusqu'à la porte de sa chambre, mais avant de rentrer chez lui, il se retourna une dernière fois, et regardant la lune, il songea :

"C'est lorsque j'ai peur que vibre en moi la vie."

C'est vrai, lui répondit le vent dans un souffle, accueille tes émotions et Cassiopée reviendra.

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