Chapitre 3 : Évitements

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  Les jours qui suivirent, Haniel ne sortit pas. Il passa même le plus clair de son temps dans sa chambre sans fenêtre. De l'autre côté de la porte, il savait que sa bulle l'attendait. Mais comment aller la chercher. Il ne se sentait pas le courage de marcher jusqu'à elle. Et de toute façon, même s'il y parvenait, comment retourner dans le sas ?

 Des jours et des nuits durant, seul dans le noir de sa chambre, il tenta de résoudre ce casse-tête. En vain. La seule solution était la pire. Il devrait désormais sortir de chez lui sans sa bulle. D'ailleurs, ses réserves de nourriture s'amenuisaient. Et même s'il mangeait le moins possible, il serait bien un jour contraint de quitter la maison pour remplir ses placards. A moins... de se laisser mourir. Bien sûr c'était terrible... Et il le reconnaissait. Lorsqu'il songeait à cette éventualité, il en avait froid dans le dos. Et pourtant, bizarrement, cette alternative l'effrayait moins que celle de sortir sans bulle. D'ailleurs, lorsque happé par la soif ou par la faim, il quittait subrepticement sa chambre, et qu'il traversait le salon pour rejoindre la cuisine, il avançait le regard au sol. Le lac l'encerclait. L'eau entrait par les fenêtres, et emplissait l'espace. Marcher dans cette pièce c'était comme se noyer. Le plus souvent, il s'empressait d'ouvrir les placards, attrapait ce qui lui tombait sous la main et rejoignait en courant son lit réconfortant. A présent, il comprenait pourquoi cette chambre était si austère. Il n'y fallait rien au mur qui puisse provoquer la moindre émotion. Ainsi, il y était à l'abri. A l'abri du monde extérieur. Mais surtout, à l'abri de lui-même.

  Sa vie était dénuée de toute fantaisie. Mais jusqu'à ce qu'il n'ait plus d'autre choix que celui de sortir, ou de mourir, il s'en contentait. Le problème, c'était les nuits ! Haniel dormait peu. Plonger dans le sommeil, c'était risqué de revivre les émois de la première nuit. Pourtant, et même s'il n'avait aucune activité, il finissait toujours par succomber aux bras de Morphée, épuisé. La peur lui volait son énergie et le contraignait à dormir. Alors, il rêvait... Et c'était insupportable parce que les images qu'il voyait étaient toujours les mêmes.

  Il s'imaginait tenant dans sa main celle, fine et délicate, de Cassiopée et tous les deux faisaient face au lac immobile. Le soleil resplendissait. Il le sentait caresser sa peau et le voyait se refléter dans les yeux clairs de l'enfant qui par instants, levait vers lui un regard éloquent. Elle semblait si sereine. Apaisée par sa seule présence. Et cette sensation le remplissait de fierté. Il existait pour elle. Alors, il existait tout court. Et il n'avait nul besoin de prouver sa valeur. Il lui suffisait simplement d'être là. Le seul fait qu'il vive, et qu'il se tienne debout près d'elle, l'emplissait d'une joie et d'une béatitude sans pareilles. C'était donc cela aimer ? Il ne s'agissait ni de donner, ni de recevoir. Il ne s'agissait pas d'un partage, d'un échange. Non, il s'agissait d'être soi. Juste soi. Et c'était suffisant.   

 Haniel dans ses rêves était capable de tout. Et cet amour, grisant, vertigineux, lui donnait plus de force encore. Alors, pressant un peu plus fort la main de Cassiopée, il l'emmenait vers le lac. Tous deux avançaient, baignés de lumière, et entraient dans l'eau. Elle était chaude et caressait leurs peaux. Ils s'allongeaient alors sur le dos, se tenant toujours la main, et se laissaient bercer par les douces ondulations des flots qui clapotaient autour de leurs deux corps unis.

Et puis soudain tout changeait. L'eau miroitante se teintait de noir et s'épaississait pour se muer en une boue gluante qui les engloutissait.

Alors, dans un cri d'épouvante, Haniel se réveillait. Son corps poisseux dégoulinait de sueur. Il allumait furieusement la lumière pour retrouver la réalité de sa chambre, pour que face aux murs nus, se calme son esprit. Mais si son cœur décélérait, si son corps s'apaisait, la douleur, elle, ne le quittait jamais et chaque nuit, elle était de plus en plus violente. Elle le dévorait de l'intérieur, creusait en lui des cavités dans lesquelles se logeaient la honte et le désespoir de n'avoir pu sauver Cassiopée. Elle qui lui avait fait confiance. Elle qui avait cru en lui. Mais quel homme était-il donc, lui, englouti sous le marasme visqueux de la peur, incapable de protéger celle qui lui avait inconditionnellement donné son amour ?


  Cette nuit-là, quand en sursaut il s'éveilla, Haniel se mit à sangloter. Il pleura longtemps, espérant que les larmes qui coulaient le purifient et le transforment. Qu'elles le lavent de lui-même. Assis sur le lit, la tête dans les mains, il sentit soudain sur sa peau une caresse. Il ouvrit les yeux, interloqué, et devant lui, apparut le sourire de Cassiopée. Rêvait-il encore ? Doucement, elle s'approcha de lui et fit glisser autour de son cou ses deux bras fluets. Alors, il sentit contre sa poitrine, son corps entier. Elle était si frêle qu'il lui sembla un instant embrasser le vide.

- Ne pleure pas lui dit-elle. Je n'aime pas te voir triste.

Les nuits sans lune, Cassiopée s'incarnait. Elle descendait de son astre pour arpenter le monde et l'irradier de douceur. C'était elle qui recouvrait les sommets des montagnes de neige éternelle, elle encore qui donnait au ciel ses couleurs incandescentes quand le soleil se levait. C'était grâce à elle que la terre après la pluie sentait cette indescriptible odeur, ou que les oiseaux gazouillaient les matins de printemps. Cassiopée, c'était toute la beauté du monde.

Pourtant cette nuit-là, c'est auprès d'Haniel qu'elle était venue. Dans cette triste chambre sans vie.

- Je n'aime pas te voir triste, répéta-t-elle.

Haniel alors, sourit.

- Pourquoi es-tu là ? lui demanda-t-il

Sa réponse le laissa sans voix. Pourtant, c'était une réponse simple et limpide, qu'elle prononça d'une voix douce et réconfortante avant de disparaître :

La peur, Haniel, c'est ta force.

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