Chapitre 1 : Crise de panique

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« Le contraire de l'amour, ce n'est pas la haine.

C'est la peur. »

Katherine Pancol

 Il était une fois un étrange pays dans lequel les enfants n'existaient pas. Du reste, on n'y naissait pas. On apparaissait tout à coup au milieu du décor et l'on se mettait à vivre, mécaniquement. Qu'on soit homme ou femme n'avait que peu d'importance. D'ailleurs personne jamais ne tombait amoureux. A quoi bon, puisqu'il n'était pas nécessaire de procréer. Lorsqu'un habitant décédait, un autre, comme par magie, prenait vie instantanément pour le remplacer. Il s'installait même dans la maison du trépassé et aucun de ses voisins n'avait véritablement conscience qu'un autre vivait près de chez lui. Dans cet étrange pays, les contacts humains étaient presque inexistants. On se souriait, on se saluait de loin, parfois on s'approchait plus près, mais jamais très près.

C'est que chaque personne qui vivait ici se déplaçait dans une immense bulle transparente.

Ainsi, si l'on se voyait, on ne pouvait ni se toucher, ni se sentir. Et à peine s'entendait-on. Il était souvent nécessaire de crier pour échanger deux mots avec celui ou celle que l'on croisait. Et s'il s'avérait que ce dernier fût un vieillard, c'était peine perdue. A moins qu'il puisse lire sur les lèvres, il n'avait aucune chance de comprendre ce qu'on lui disait. Certains essayaient. Les plus intrépides sans doute. Pour mieux entendre, ils écrasaient leur vieux visage ridé contre les parois de la bulle et leurs traits tout à coup faisaient la grimace. Le nez s’épatait. La bouche s'élargissait. Et l'autre désespéré, criait à en perdre la voix jusqu'à se faire entendre. Ces scènes de vie auraient pu sembler désopilantes, mais il n'en était rien. On s'agaçait plutôt de ne pouvoir communiquer et l'on retournait à sa vie, satisfait de retrouver la solitude. En effet, ici, l'humour n'existait pas plus que l'amour. On ne riait jamais. Quelle tristesse me direz-vous ! Oui et non. Car finalement, comme on n'était jamais heureux, on n'était jamais malheureux non plus. Ce monde, contrairement au nôtre, ne connaissait ni les contraires ni la dualité. On s'incarnait, on vivait, on mourrait. Et voilà.


  Un matin de novembre, Haniel naquit. Il était apparu au milieu d'une rue déserte, déjà dans sa bulle. D'abord, il avait regardé autour de lui. Puis il s'était observé et touché. Il portait un jean gris, des converses assorties et une chemise à carreaux rouges et bleus. En regardant ses mains, il se dit qu'il devait avoir 30 ou 40 ans. Il confirmerait cette hypothèse face au miroir. Il se mit donc à marcher. C'était difficile et laborieux, car il fallait que la bulle avance avec lui. Devait-il poser les mains sur ses parois pour qu'elle se déplace en même temps que lui ? Il tomba plus d'une fois avant de parvenir à l'adresse qu'on lui avait indiquée. Haniel passerait sa vie au 2 rue des tourments.

La bicoque était charmante. C'était une petite maison en bois installée sur les bords d'un immense lac. Il n'y avait pas d'autres maisons aux alentours. Ses seuls voisins étaient de majestueux sapins. Il se posta devant la porte. Elle était gigantesque, pour que l'on puisse la traverser avec sa bulle. Mais une fois à l'intérieur, une fois passé « le sas de débullement », les dimensions de la maison étaient parfaitement normales.

La première chose que fit Haniel en entrant chez lui, ce fut trouver la salle de bain. Il y avait là un grand miroir dans lequel il se découvrit. Il se déshabilla entièrement et se regarda. Longtemps. Cet homme charmant, brun aux yeux verts, au corps galbé, était donc la personne avec laquelle il allait passer sa vie.... Il se sentit satisfait, se rhabilla, et partit à la découverte des autres pièces de sa maison. Le précédent locataire avait du goût, à n'en pas douter. A moins que ce ne fût celui d'avant. Mais peu importe. La maison, telle qu'elle était, lui convenait parfaitement. La pièce de vie était petite mais confortable. Des fauteuils moelleux recouverts de plaids et de coussins y entouraient une cheminée. Toutes les fenêtres donnaient sur le lac, ce lac immense dont l'eau bleue s'illuminait sous les rayons du soleil. Vraiment, c'était ravissant. Et apaisant.

Haniel, ensuite, se dirigea vers la chambre. En la découvrant, il fut surpris de voir qu'elle n'avait pas de fenêtre. Une porte en bois, par contre, donnait sur l'extérieur. La pièce était étroite et le lit qu'on avait choisi très grand remplissait tout l'espace. Il n'y avait aucune décoration au mur. Haniel songea qu'il lui faudrait changer cela car cette atmosphère austère ne lui plaisait pas. Mais après tout, la seule fonction d'une chambre était d'y dormir et le lit semblait confortable. Rien ne pressait.

La journée se déroula sans encombre. Haniel s'amusa à ouvrir les placards et les tiroirs à la recherche des trésors de la maison. Il trouva la clé de la porte de sa chambre, celle qui donnait sur l'extérieur. Il se demanda pourquoi on n'avait pas jeté cette clé. En effet, jamais il ne passerait par là pour sortir de chez lui. Sinon sans sa bulle. Et cela, c'était inconcevable ! Pourtant, il mit la clé dans la serrure, comme sous le coup d'un réflexe qu'il ne s'expliqua pas. Après tout, c'était sa place.

Ensuite, il fit un peu de ménage. Et la nuit arriva.

D'abord, il fit un feu dans la cheminée, puis il s'installa confortablement dans le fauteuil qui lui sembla le plus moelleux. Face à la plus grande fenêtre. Et il se perdit dans la contemplation de l'immense lac, ce lac qu'il avait aimé dès qu'il l'avait vu mais qui dans la pénombre, lui apparaissait sous un tout autre jour.

Sa couleur avait changé. Il était noir à présent. Et son eau paraissait plus épaisse. Les yeux fixes, il le regardait sans plus pouvoir tourner la tête. Il était absorbé, presque tétanisé. Soudain, il entendit un souffle. Bruyant, puissant. Et sur le lac se dessinèrent des vaguelettes. L'eau sembla prendre vie sous l'effet de ce souffle terrible dont il entendait encore résonner en lui les vibrations. Et plus ce souffle était fort, plus les vagues s'arrondissaient. On aurait dit que le dos d'une immense créature surgissait tout à coup pour replonger dans les flots opaques du lac. Haniel ne pouvait plus décoller les yeux de ce spectacle qui l’effrayait et le fascinait en même temps. Il aurait voulu fuir mais il restait figé, attendant peut-être que la mystérieuse créature du fond du lac surgisse tout à coup, qu'elle ouvre une gueule avide et fasse claquer sa mâchoire avalant d'un trait la maison tout entière et lui avec elle.

Alors, fébrilement, il alla se coucher. Il s’emmitoufla dans les couvertures espérant ne plus entendre ce souffle effrayant. Mais il semblait doté de pouvoirs et sous la porte, il s'infiltrait. Il le sentait caresser la peau de son visage. Il finit par tout entier se cacher sous les draps et ainsi coupé du monde extérieur, il tomba dans un sommeil profond.

Quand il se réveilla, il poussa un cri.

Il était debout sur les rives du lac. Dans un mouvement brusque, il se retourna. Sa chambre était grande ouverte. Il fallait courir et rentrer, claquer la porte et retrouver le lit. Pourtant il ne fit pas un geste. Impossible. Ses pieds étaient comme englués dans la boue. Sa tête bouillonnait lui donnant l'étrange sensation de s'être dédoublé. Il se voyait marcher à pas sereins vers la maison. Et pourtant il restait là, sans pouvoir faire le moindre mouvement, plongé dans un flou indescriptible et vertigineux. Il voyait sans voir, sentait sans sentir. Ses poumons s'emplissaient d'air et pourtant, il étouffait. Ses jambes chancelaient. Son corps dégoulinait. Et son cœur battait si fort qu'il lui semblait par instants qu'il allait surgir tout à coup hors de sa poitrine.

Il avait peur.

Peur de s'évanouir là, près du lac, et que personne ne le trouve.

Il devait résister, ne pas tomber, partir, s'enfuir. Mais ses pieds restaient profondément enfoncés dans le sol et il eut soudain la certitude que bientôt son corps entier disparaîtrait sous la boue, qu'il serait aspiré par les profondeurs de cette terre meuble et qu'il serait enterré vivant, là, près de ce lac hostile, sans que personne ne sache qu'un jour il avait vécu. Désespéré, il ferma les yeux. Et il abandonna la lutte.

C'est alors que l'inimaginable s'accomplit.

De nouveau, il entendit le souffle de la créature monstrueuse qui vivait au fond du lac. Elle respirait dans sa nuque, tout près de son oreille. Il trembla quand elle frôla son corps. Autour de lui, elle dansait, tourbillonnait et il se sentit soudainement flotter. Son corps léger virevoltait au gré du souffle caressant qui le soulevait, l'emportait. Était-ce cela la mort ?

Étrangement, il n'avait plus peur. Alors il ouvrit les yeux, pensant découvrir le lac des hauteurs du ciel qu'il parcourait en volant. Mais non, il était toujours là, au même endroit. Il n'avait pas bougé.

Alors il prit le temps de regarder. Et il comprit. Il comprit que le lac, jamais, n'avait été son ennemi. Qu'aucune bête ne vivait là, mais que c'était la nature, vivante, qui lui parlait, qui avec lui, communiquait. Ce souffle, c'était celui du vent. Et le lac, qui lui avait semblé si noir quelques instants plus tôt, ne l'était que parce que la nuit l'était. Le ciel en lui se reflétait. Il fixa son regard apaisé sur ce miroir opaque où resplendissait une multitude d'étoiles qu'il n'avait pas su voir. L'eau miroitait, étincelait comme le ciel où brillait la lune éternelle qui lui souriait.

Il leva la tête et sur cet astre sacré, il crut voir se dessiner le visage innocent d'une enfant blonde aux traits délicats.

Qui es-tu, toi qui viens de me sauver ?

Alors il entendit le vent murmurer qu'elle s'appelait Cassiopée et que le monde sans elle n'avait aucun éclat, mais, que puisqu'il l'avait vue, il devait la trouver.

Il retourna tranquillement jusqu'à sa chambre, se coucha souriant et s'endormit. Désormais, il savait ce qu'il était venu faire ici.

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