Egélian, ville eavas sur la planète Elys.

  La matinée était jeune et fraîche. Le ciel était dégagé lorsqu’Eléanne, comme à son habitude, se précipita hors de la demeure familiale. Elle fit mine de ne pas entendre les recommandations de sa mère, ou était-ce des encouragements pour ce soir ? Peu importait finalement. Eléanne souriait en courant. Quelle magnifique journée commençait et quelle apothéose ce serait ce soir, quand elle embarquerait pour son épreuve finale, pour une nouvelle vie. Elle arriva près du parc où chaque matin elle retrouvait Akyla.

  Elle scrutait les alentours, cherchant à l’apercevoir le plus tôt possible. Parfois, ils jouaient ainsi, à savoir qui verrait l’autre en premier. Akyla gagnait souvent. Mais pas aujourd’hui pensa Eléanne la mine réjouie. Aujourd’hui était son jour à elle. Lui était un peu plus âgé qu’elle, il avait déjà connu tout cela. Elle se demanda d’ailleurs pourquoi elle ne lui avait jamais demandé comment se déroulait la cérémonie ; si la voie qu’il avait choisie correspondait à ses attentes. L’espace d’un instant son visage parut légèrement contrarié, mais il s’illumina bien vite.

  Là, assis nonchalamment sur un banc, se trouvait Akyla, ce beau brun au regard noisette. Chaque pas d’Eléanne était accompagné d’un battement de son cœur. Elle pressa l’allure tout en profitant au maximum de la surprise qu’elle allait lui faire. Même de dos, elle le trouvait séduisant. Son allure décontracté et virile faisait briller ses yeux. Il était si grand que la jeune femme pouvait poser sa tête sur son épaule juste en restant debout. Et pourtant, Eléanne n’était pas petite, loin de là. Elle marchait vite, courait presque mais ne voulait pas attirer son attention. Malheureusement, dès qu’elle entra dans le parc, le bruit des craquements de branches sèches sous ses pieds trahit sa présence.

  Akyla se retourna. Le sourire d’Eléanne disparut soudainement et la peur monta quand elle vit le visage fermé et sérieux du jeune homme. L’espace d’un instant son pied hésita à se poser, à terminer ce pas qu’elle avait commencé. Il s’était levé joyeux et plein d’entrain pour finalement toucher la terre empreint de doute et d’inquiétude.

 - Bonjour Eléanne, lança-t-il dans un sourire feint.

  Elle ne répondit pas tandis qu’il la serrait dans ces bras. Ses mains étaient glaciales, elles à qui elle avait tout permis. Le souvenir de leurs caresses chaudes devint douloureux. Il déposa un baiser sur sa joue et la sécheresse de ses lèvres lui sembla écorcher sa peau. Ils s’assirent alors côte à côte, chacun de son côté, en se regardant dans les yeux.

  Ils parlèrent d’abord des banalités de la veille et de la journée à venir. Des paroles sans saveur, juste faites pour alléger une conversation dont on sait que l’essentiel est ailleurs mais trop lourd pour être dit d’emblée. Akyla parlait beaucoup, Eléanne attendait la sentence, une boule au ventre. Quand il s’arrêtait, un silence gênant prenait la place qu’Eléanne interrompait d’un mot ou deux comme pour obliger le dialogue à avancer.

  Akyla parla alors de la cérémonie du soir même. Il ne s’attarda pas beaucoup sur les détails mis à part le fait qu’une nouvelle vie commençait pour elle. Il appuya longuement là-dessus. Eléanne entendait mais ne voulait pas écouter. Il se lança alors dans une de ses tirades dont il avait le secret et dont Eléanne se délectait, habituellement.

 - Donne-moi une bonne raison de combler ce vide. Les souvenirs sont partis, ils ne sont plus que cendres. Nous restons bloqués, les yeux dans les yeux. Dans chaque perte et chaque mensonge, ne tombent que les regrets. Tu hériteras de ta condition solitaire. Traverse les gouffres, enjambe les obstacles. Cette division est un tremplin pour atteindre les bois de l’Eden. Tu seras au cœur du cyclone émotionnel, les signes se révèleront à toi.

  Il marqua une pause puis reprit.

 - Il n’y a plus de preuve de notre existence. Elles se sont évaporées à l’instant où mes lèvres ont quitté les tiennes. Le soupir glacé de l’absence nous a déjà pris. Prouve-moi que j’ai tort…

  Elle fit silence.

- Nos deux corps crissent et ne s’harmonisent plus, ne le sens-tu pas ? Donnons-nous un dernier envol, vers l’avenir. Nous avons franchi des ponts côte à côte, aujourd’hui je les contemple en contrebas. Tu n’as pas besoin de moi. S’il y a bien quelqu’un qui n’a pas besoin de ma lumière c’est toi. Tu as toujours resplendi, irradiant les alentours. Tu as grandi en pleine puissance.

  Il soupira.

 - Mais tu te mets à l’étroit en m’ayant à tes côtés… Un jour, tu comprendras.

  Elle comprenait. Sa vision à lui était toujours claire, son œil acéré. Elle le regardait. Il avait le regard fixe sur le lointain. Projeté vers l’avant, il n’était déjà plus là. Elle ressentit un pincement mais à cet instant elle pouvait admirer sa liberté, grandes ailes déployées. Il était majestueux, royal presque. Des boucles de neige pendaient à son front. Ses yeux cerclés d’or ne cillaient pas. Elle frémit de voler ces instants de beauté à cet être d’exception. Il ne lui appartenait pas. A dire vrai, elle savait que, seul, il n’en serait que plus épanoui. Akyla se redressa sans cesser de fixer son point à l’horizon. Ses lèvres ne bougeaient plus, il y avait seulement le silence du frottement du vent autour d’eux. L’espace d’un instant elle crut l’accompagner dans sa course vers l’horizon. Son vêtement noir laissait paraitre par endroit la blancheur de ses bras lorsqu’ils les étiraient dans toute leur envergure.

  Il déposa un baiser sur son front. Elle ne protesta pas ni ne s’enivra de ce contact : une larme d’adieu sur sa peau. Elle ferma les yeux. La confusion tourbillonnait en elle, une danse de sentiments contraires. Elle respira profondément et regarda autour d’elle. Elle sentait encore sa trace mais il s’était envolé. Pour toujours. Rassemblant son courage, elle se leva et se mit à marcher. Sans but. Elle pesait chaque pas, attentive au crissement de ses chaussures sur le sol.

  Un pas, une avancée prodigieuse.

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