25 - Trafic

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Ronan avait reposé son téléphone sur la table basse du salon. Son frère allait débarquer après avoir déposé son rencard, il était tard, et c’était le bazar dans l’appartement. L’agent poussa un soupir à en fendre l’âme, puis se leva, s’étirant pendant un instant. Il se dirigea vers la chambre où se trouvait Lorelai, cette dernière nonchalamment allongée dans le lit, feuilletant un magazine en grignotant un paquet de chips qu’elle avait piqué dans la cuisine pendant qu’il était au téléphone. Il prit un air faussement méchant lorsqu’il s’adressa à elle :

  • Combien de fois j’ai dit qu’on ne mange pas dans le lit ?
  • Tu dis ça, mais tu manges souvent dans le lit toi aussi Ronan.

L’intéressé haussa un sourcil, ne comprenant pas où elle voulait en venir.

  • Comment ça ? Tu m’as déjà vu traîner au pieu avec un paquet de chips ?
  • Des chips ? Nan…

Lorelai leva la tête vers son propriétaire, un sourire mutin aux lèvres, puis continua sur un ton enjôleur :

  • Mais ose me dire que tu n’as jamais mangé de poisson dans ce lit, ce serait un mensonge éhonté.
  • Je… Mais…

Ronan s’était mis à rougir comme une tomate bien mûre devant les accusations de sa compagne. Il se racla la gorge un instant avant de reprendre sur un ton sérieux cette fois-ci :

  • Mon frère passe tout à l’heure. On doit discuter d’un truc urgent tous les deux.
  • Ca ne pouvait pas attendre demain ?

La nu-man plissa les yeux tout en fixant son interlocuteur, tout en prenant une mine renfrognée que n’aurait pas reniée une enfant. L’agent secoua doucement la tête.

  • Non, c’est vraiment urgent. Mais si ça t’embête ou si tu es trop fatiguée, tu peux rester au lit. On essayera de ne pas parler trop fort. Ça te va ?
  • M’oui, ça ira…

La jeune femme se replongea dans son magazine. Dommage. Elle aurait voulu passer une soirée en tête à tête avec son cher et tendre, mais ce ne serait pas pour cette fois-ci.

Le gouverneur restait silencieux dans le véhicule. Il digérait avec beaucoup de mal le flot d’informations que venait de lui donner Eva. Il y avait quand même quelques questions qui lui venaient à l’esprit à cet instant, et il ne se gêna pas pour les poser à la nu-man qui se trouvait à ses côtés :

  • Des nu-man nouvelle génération… Comment est-ce possible ? Et comment se fait-il qu’il y en ait en circulation, comme cette fille… ou vous ?

Eva baissa la tête et ferma les yeux un instant, se replongeant dans les nombreux souvenirs douloureux qu’elle portait en elle. Elle prit une grande inspiration. Maintenant qu’elle avait expliqué ce qu’elle savait à Morgan, il fallait assouvir son besoin de réponse. Même si cela la concernait personnellement et qu’elle n’aimait pas particulièrement ça.

  • Eh bien, cela fait de nombreuses années que la société Elegia fait ce genre de petit trafic. Nous ne valons pas mieux que des rats de laboratoire à leurs yeux… Pour ma part, j’ai vu le jour dans le BioLab du secteur dix-huit. Celui qui a été rasé il y a quatre ans, parce qu’il n’était plus aux normes selon les dirigeants d’Elegia… mais pour une toute autre raison en vérité.

Elle marqua une petite pause avant de continuer sur le même ton, la voix légèrement tremblante :

  • J’avais des frères et sœurs, une mère… Mais je vous laisse deviner comment ils ont terminés.

Morgan eut un haut le cœur en repensant à ce qu’elle avait dit juste avant. Les pains de viande artificiels. Il y avait goûté, une fois, il y a longtemps… et n’avait pas apprécié le goût, bien trop fort pour lui. La jeune femme continua sur le même ton :

  • Ma mère, quand elle était en vie, était constamment engrossée. Je crois qu’il n’y a pas une seule fois où je l’ai vue avec un ventre plat. Et quand elle fut trop fatiguée pour supporter tout ça, eh bien… Ils me l’ont enlevée.

C’était une manière plus simple pour elle que de dire qu’il l’avait emmenée pour servir de viande. Eva sentit un frisson remonter le long de sa colonne vertébrale.

  • Je les déteste. Des gens pareils, qui se moquent de la vie d’autrui sous prétexte que nous sommes sois disant différents… Mais est-ce que nous sommes vraiment différents en fin de compte ?

Son regard se planta dans celui du gouverneur, qui ne pouvait pas le lâcher un seul instant. Ce dernier secoua doucement la tête avec un air désolé, avant de prendre la parole.

  • Mis à part certains gènes, il me semble que nous sommes bâtis sur les mêmes bases.
  • Alors pourquoi n’avons-nous pas les mêmes droits ? Pourquoi sommes-nous considérés comme des animaux de compagnie ?

Morgan ne savait quoi lui répondre. Ses questions étaient légitimes, et lui-même n’avait pas de réponses à lui fournir. C’était le genre de choses qu’il n’avait pas remarqué. Pour lui, c’était tout à fait normal, et personne ne s’était jamais plaint. Sauf Ronan. Oui, il n’y avait que son grand frère pour avoir ce genre de remarque. Ce dernier ne voulait pas d’esclave, comme il les appelait si bien, chez lui. Cela ne l’avait pas empêché d’accueillir Lorelai. Au début, il en avait été plus que surprit. Mais quand il avait découvert la véritable relation qu’entretenaient ces deux-là, il n’avait pas pu s’empêcher de faire des remontrances à son frangin. Remontrances qui lui passèrent au-dessus de la tête. Comme Ronan l’avait si bien expliqué, il ne faisait que la même chose que ceux qui s’envoyaient en l’air avec des nu-man dans les quartiers chauds. La seule différence, c’était que lui le faisait par amour et pas par amusement.

La voix d’Eva le sortit de ses pensées.

  • Je veux leur faire payer pour tout ce qu’ils ont fait. Pour tous ceux qu’ils ont tués pour rien. Pour tous ceux qui leur ont simplement servit à se remplir les poches.

Elle marqua une légère pause avant de reprendre, fixant intensément son interlocuteur.

  • Je ne vais pas vous demander de m’aider dans cette tâche quasi impossible. Je comprendrai parfaitement que cela ne vous intéresse pas, ou que vous ayez trop peur de perdre votre place pour agir. Je ne vous en voudrai pas pour cela. Je voudrais juste… Que vous ne vous mettiez pas en travers de mon chemin.

Morgan tortillait ses doigts, incapable de prononcer quoi que ce soit comme paroles. Comme très souvent, Eva avait vu juste. Il voulait l’aider, mais ne voulait pas perdre la place qu’il avait eu tant de mal à décrocher. Enfin, des mots sortirent d’entre ses lèvres.

  • Je ne vous empêcherai pas de faire quoi que ce soit. J’essayerai de vous aider, si cela ne me compromet pas. Au pire, je pourrai toujours vous octroyer l’aide des sections une et deux. Si les chefs sont d’accord bien entendu…

La nu-man secoua doucement la tête, un léger sourire aux lèvres.

  • Vous êtes adorable. Mais personne ne voudra m’aider à faire tomber les grosses têtes d’Elegia. A part Karen qui tente de m’épauler comme elle le peut, je n’ai personne sur qui compter. Les membres des sections une et deux se poseront des questions, et sans preuves, pas moyen qu’ils interviennent dans cette affaire.
  • Mais des preuves, vous en avez. Il suffit de…
  • … ma parole de nu-man ne vaut rien contre les dirigeants d’Elegia. Au mieux je serai envoyée en prison. Et dans le pire des cas, je finirai comme bien d’autres avant moi.

Le gouverneur soupira alors que le véhicule arrivait gentiment à destination. Eva poussa un petit juron entre ses lèvres quand elle s’en aperçu, ce qui surprit son compagnon de soirée qui n’avait pas l’habitude d’un tel langage de sa part. Cette dernière expliqua simplement :

  • Je voulais venir avec vous. J’aurai voulu parler avec la nu-man de votre frère. Cela lui aurait peut-être permis de retrouver la mémoire, ou tout du moins, quelques souvenirs.
  • Effectivement, je n’avais pas vu ça comme ça. Si c’est possible, ça devrait leur faire plaisir à tous les deux…

Morgan se reprit d’un coup, repensant à ce qu’il venait d’apprendre pendant la conversation.

  • Mais peut être vaut-il mieux juste en parler à mon frère, et voir avec lui si c’est vraiment… approprié, que sa copine retrouve ce genre de souvenirs. Car si c’est le même genre de passé que le vôtre qu’elle a vécu, je me demande si ce n’est pas mieux pour elle de continuer à vivre d’en l’ignorance.
  • Je comprends, oui.

La jeune femme acquiesça d’un signe de tête, tandis que Morgan indiqua à son chauffeur de prendre la direction de l’appartement où habitait Ronan. Il regarda sa montre. S’il n’y avait pas de bouchon sur la route, ils pourraient y être en vingt minutes.

Ronan avait commencé à ranger un peu l’appartement, en attendant que son frère n’y débarque dans peu de temps. Alors qu’il passait un coup de balai rapide dans le salon, son téléphone vibra. Le jeune homme pesta en lisant le message que Morgan lui avait envoyé. Il ne serait pas seul apparemment, mais été resté évasif sur le comment du pourquoi. Il grogna entre ses dents, se replongeant dans le ménage :

  • Comme si on avait besoin de voir quelqu’un d’autre débarquer ici… Je ne sais même pas si j’ai de quoi boire au frigo en plus. J’espère que c’est quelqu’un qui aime le thé ou le café, car je n’aurai rien d’autre à proposer…

Alors qu’il terminait de parler, la voix de Lorelai résonna à l’autre bout de l’appartement, lui demandant simplement :

  • Tu parles tout seul ?
  • Ouais. Je parle tout seul !

Un toc toc discret se fit entendre à la porte d’entrée. Tenant toujours fermement son balai, l’agent s’y dirigea en grognant toujours. Morgan était déjà là, et ne lui avait pas laissé le temps de terminer ce qu’il faisait. Il allait l’enguirlander un bon coup, c’était décidé. Ronan tourna la clef dans la serrure puis ouvrit la porte. Devant lui, ce n’était pas Morgan. C’était trois membres de la section quatre qu’il reconnaissait à leur uniforme.

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