21 - Attente

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Entre deux rendez-vous bien obligatoire pour le jeune gouverneur, ce dernier avait réussi à réserver une table pour deux dans un restaurant les plus huppés se trouvant au centre-ville. Eva était partie aux environs de dix-huit heures, non sans avoir adressé une dernière fois la parole à son supérieur avant leur rendez-vous de ce soir.

  • Ne restez pas trop longtemps le nez dans vos dossiers. Ce serait dommage d’arriver en retard tout à l’heure.

Morgan avait levé la tête de ses innombrables paperasses, un léger sourire en coin.

  • Comment pourrais-je oublier un rendez-vous galant ? A tout à l’heure Eva.
  • A toute à l’heure.

La nu-man sortit de la pièce, laissant le jeune homme tout à fait seul. Ce dernier leva la tête au plafond avant de soupirer doucement. Il n’en avait parlé à personne, mais il n’avait pas grande connaissance de ce genre de choses. Discuter de choses et d’autres, dîner tranquillement, s’occuper de tout cela lui semblait plutôt simple. Mais c’était la suite qui l’ennuyait un peu plus. Il n’y connaissait strictement rien sur le plan amoureux. Bien sûr que sa secrétaire lui plaisait. Elle était belle et intelligente de surcroit. Il trouvait quand même dommage qu’elle ne soit pas comme lui. C’est ce qui le freinait un peu sur ses sentiments. Morgan repensa à son grand frère et à sa nu-man de compagnie. Ils avaient l’air heureux tous les deux. Pourtant leur relation était plus que mal vue par le reste du monde. Cela n’avait pas l’air d’ennuyer Ronan plus que ça…

  • Je devrais peut être faire comme lui. Ne pas m’en faire de ce que pense les autres…

Il avait marmonné à voix haute, mais il n’y avait personne d’autre que lui dans la pièce pour lui répondre ou le convaincre dans son choix. Le gouverneur se replongea alors dans son travail. Il fallait qu’il termine rapidement s’il voulait pouvoir passer chez lui et se changer avant le dîner de ce soir.

A peine avait-elle franchit le seuil de la porte qu’Eva avait été accueillie par sa propriétaire. Karen lui avait donné une accolade amicale avant de refermer la porte derrière elle. Elle demanda, comme tous les soirs, sur le même ton habituel :

  • Tout s’est bien passé pour toi ?

La nu-man hocha la tête tout en retirant sa veste qu’elle accrocha au porte manteau dans le hall d’entrée.

  • Oui… Je suis même attendue tout à l’heure.
  • Un rendez-vous amoureux ?

Eva éclata d’un rire cristallin qui résonna dans la pièce.

  • Amoureux ? Je ne crois pas non. Sauf si le gouverneur est amoureux de moi, mais cela m’étonnerait grandement.

Elle s’avança plus loin dans l’appartement, se posant sur le canapé du salon, rapidement rejointe par Karen.

  • Et puis, j’imagine déjà les gros titres des journaux à scandale : le gouverneur en pince pour une nu-man ! Une relation interdite, condamnée par la société ! Le pauvre serait rapidement destitué alors qu’il ne le mérite pas.
  • Ce genre de relations est effectivement mal vue, mais les temps changent, et les gens aussi… Qu’est-ce qui te dis que dans une dizaine d’année ce ne sera pas la norme sur Equinox ?

Eva se remit à rire, mais de façon bien plus nerveuse.

  • Si les humains s'acoquinent un peu trop avec des créatures telle que nous, alors ce sera fini de l’humanité de cette planète. Au bout d’un moment, il n’y aurait plus assez d’enfants pour perpétuer leur espèce.
  • Tu sais très bien que c’est faux Eva.

La femme aux cheveux blancs la fixait intensément, et le sourire sur le visage de la nu-man disparu presque immédiatement.

  • Je le sais. Ce n’est pas la peine de me le rappeler.

Elle marqua une pause avant de reprendre :

  • Je fais partie de la seconde génération de nu-man, celle que ces tarés ont améliorés. Celle que ces tarés ont cachés au grand public pendant des années.

Eva serra les poings. Repenser à ces horribles personnes la mettait dans une colère noire. Car c’était pour les retrouver qu’elle s’était engagée sur cette voie. Ils lui avaient pris ses proches avec leurs expériences malsaines. Entre leurs mains, les nu-man n’étaient que des jouets avec lesquels on pouvait tout se permettre. Le meilleur comme le pire.

  • Eva…

Karen posa sa main sur l’épaule de la frêle jeune femme. Elle qui ne souriait jamais se voyait gratifié d’un léger sourire à l’attention de sa protégée. Sa voix se voulait rassurante.

  • Eva… Cesse de te torturer avec ça pour le moment. Oublie tout ça juste le temps d’une soirée, et amuses-toi un peu. D’accord ?

La nu-man leva la tête vers sa propriétaire. Elle allait rétorquer quelque chose, mais Karen l’en empêcha, lui lançant sur un ton qui ne laissait pas la place à la discussion :

  • Et c’est un ordre.

Morgan était finalement arrivé en avance, et regardait sa montre toute les deux minutes. Il était nerveux. Plus que d’habitude. Avant de venir, il était passé chez lui pour se changer, et en avait profité pour se renseigner sur internet au sujet de ce qui pouvait se passer pendant la soirée. Pour le coup, il était un peu trop souvent tombé sur des sites du genre « olé olé » et avait failli s’étouffer avec sa salive un nombre incalculable de fois. Il lança un regard autour de lui, vérifiant si son invitée était arrivée ou pas. Un peu plus loin dans la salle étaient posté ses gardes du corps, prêt à faire face à toute menace possible. Cela le rassurait, et pas que lui au passage. Les autres clients du restaurant se sentaient aussi un peu plus en sécurité de savoir que des personnes armées étaient là pour les protéger au cas où. Enfin, elles étaient surtout là pour protéger le gouverneur.

Le jeune homme sortit son téléphone de la poche intérieur de sa veste. Regardant l’écran qui ne donnait que l’heure pour le moment, il se demandait s’il ne devait pas passer un coup de fil à son grand frère. Pour lui demander quelques conseils. Morgan se voyait mal l’appeler pour ce genre de chose. Rien que le simple fait d’y penser le gênait pas mal, et il ne put s’empêcher de rougir comme une pivoine pendant quelques instants. A tout hasard, il envoya un message à ce dernier, assez court, expliquant qu’il allait peut être conclure avec une femme ce soir et qu’il aurait besoin de conseils à ce sujet. Morgan espérait juste que Ronan ne l’appellerait pas en plein milieu du repas ou quelque chose du genre. Si jamais c’était le cas, alors il ne saurait pas du tout où se mettre.

Le gouverneur prit une grande inspiration pour se donner du courage. Eva n’allait pas tarder à pointer le bout de son nez, et la soirée allait vraiment commencer. Lorsqu’un serveur passa près de lui, il leva la main pour attirer son attention. Attention qu’il obtint facilement.

  • Monsieur le gouverneur désire quelque chose ?

La voix tremblait légèrement. Pourtant ce n’était pas la première fois que ce serveur faisait le service. C’était, sans aucun doute, par la présence d’une personne aussi importante dans la salle. Morgan essayait de paraître le plus naturel possible, alors qu’il était lui aussi emprunt au trac, mais pas pour les mêmes raisons que son interlocuteur. S’emparant de la carte des vins qui était jusque-là posée sur la table, il demanda simplement :

  • Quel vin me conseilleriez-vous pour ce soir ?

Le serveur s’était mis à réfléchir quelques instants, avant de répondre, toujours en proie à l’appréhension :

  • Eh bien, je ne puis que vous conseiller un vin rouge légèrement parfumé.
  • Parfumé ?
  • Oui. De ce que nous avons à la carte, ce vin rouge à la cerise serait parfait. Sauf si vous avez une préférence pour la framboise. Le goût est plus prononcé et moins sucré. C’est comme vous préféré monsieur le Gouverneur.
  • Juste monsieur pour ce soir. Et ma préférence va pour la cerise.

Morgan tendit la carte des vins au serveur qui la prit entre ses doigts tout en lui répondant.

  • Un vin rouge parfumé à la cerise. Très bien monsieur le gouv… Monsieur. Je vous apporte ça tout de suite.

L’homme disparu un peu plus loin, slalomant rapidement entre les tables, laissant Morgan seul. Ce dernier jeta un coup d’œil à la montre à son poignet, vérifiant l’heure. Dix-neuf heures vingt. Le gouverneur soupira. Eva allait être en retard. Il n’aimait pas les retardataires. Habituellement, elle était d’une ponctualité exemplaire. Quand il fallait travailler en tout cas. En y repensant, il ne la connaissait pas vraiment hors des heures de boulots qu’ils faisaient ensemble. C’était dommage, mais ce soir, il pourrait se permettre de la questionner un peu. Il apprendrait peut être des choses intéressantes, comme ce qu’elle appréciait, ce qu’elle n’aimait pas, ces hobbies, ce genre de choses… Il était perdu dans ses pensées quand le serveur revint à sa table avec la bouteille de vin. Il la posa avant de l’ouvrir, un léger sourire au coin des lèvres quand il annonça :

  • Parfumé à la cerise comme demandé.

Sans attendre, il s’empara du verre à pied du gouverneur avant de le remplir et de reposer la bouteille.

  • Merci beaucoup.

Morgan prit le verre qu’on lui avait gentiment remplit, avant de l’approcher de sa bouche. Sans le porter à ses lèvres, il l'huma pendant quelques secondes, appréciant la douce odeur sucrée de la cerise qui lui chatouillait les narines. Puis, enfin, il en bu une gorgée avant de le reposer sur la table.

  • Délicieux.

Le serveur s’éloigna à nouveau. Les doigts de Morgan se mirent alors à frapper en rythme sur la table. Il ne le montrait pas, mais était en train de mourir intérieurement à cause du trac.

Son regard se posa à nouveau sur sa montre. Il n’était pas encore l’heure. Peut-être qu’elle arriverait en retard ? Peut-être qu’elle ne viendrait pas du tout et le laisserait planté là ? Il prit une grande inspiration pour se donner du courage. Elle viendrait. Ce n’était pas le genre d’Eva de laisser tomber à la dernière minute. Elle viendrait. Il se répétait ces deux petits mots en boucle dans son esprit. Elle viendrait.

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