22 - Faire connaissance

8 minutes de lecture

Avec l’aide de Karen, Eva s’était préparée pour la soirée qui l’attendait. Sa propriétaire lui avait dégotée une robe mettant en avant ses charmes et ses courbes, et qui pourtant restait assez sobre. Il ne fallait pas que le nu-man soit vue comme une « marchandise prête à l’emploi ». La jeune femme n’avait pas compris le sous-entendu et laissa passer, se préoccupant plus de ce qui allait pouvoir se passer pendant ce repas.

-Je pourrai en apprendre plus sur le gouverneur, mais je ne sais pas si cela nous sera vraiment utile pour la suite.

  • C’est important. Comme ça nous sauront directement si nous devons le ranger du côté d’alliés potentiels ou d’ennemis à écarter de notre chemin.

Eva se tourna vers la femme aux cheveux blancs, les yeux tout ronds, une moue choquée sur son visage fin.

  • Mais pourtant, monsieur Lirio a l’air si… droit. Ce serait vraiment bizarre venant de lui.
  • Bizarre mais pas impossible. On sait toute les deux que certaines personnes cachent vraiment bien leur jeu. Vérifie simplement qu’il ne soit pas lié autrement que de façon professionnelle à Elegia.
  • D’accord.

Ronan avait passé la quasi-totalité de la journée devant la télévision, la regardant sans vraiment la voir. Il ressassait sans arrêt ce qu’il s’était passé ce matin. Ce test. Positif. Alors que c’était impossible. Lovée contre lui, Lorelai somnolait de temps en temps. Elle était partie vider son estomac plusieurs fois dans la journée et était fatiguée. Son compagnon ne savait pas vraiment quoi penser au final, et ça le travaillait bien plus qu’il ne pouvait le montrer. Le téléphone qui vibra dans la poche de son pantalon le tira de ses pensées. Il s’empara de l’appareil pour y découvrir que son frère lui avait envoyé un message. Un sourire amusé se dessina sur son visage au fur et à mesure de la lecture de celui-ci. Sourire que ne manqua pas de remarquer Lorelai.

  • Qu’est c’qui t’fait sourire comme ça ?
  • Mon frère.
  • Il t’envoie des blagues ?
  • Non, ça n’a rien à voir. Ce soir, il a un dîner en galante compagnie, et il ne sait pas du tout quoi faire si les choses se passent bien et que ça se termine chez lui. Ou bien chez elle.

La nu-man fronça les sourcils.

  • J’pensais que c’genre de trucs l’intéressait pas. Que y’a que l’travail qui compte pour lui.
  • Tu connais mal mon frère alors.
  • J’dis pas l’contraire.

La jeune femme se réinstalla tout contre son amant, ses yeux de nouveaux rivés sur l’écran de télévision. Pas qu’elle se fichait de la vie du gouverneur, mais ce n’était pas quelque chose qui l’intéressait réellement.

Karen Weiss avait accompagné Eva jusqu’à destination, lui rappelant telle une mère à sa fille de faire attention et de ne pas se laisser entraîner dans n’importe quoi. Même si la personne qui l’invitait était le gouverneur d’Equinox en personne. La nu-man n’avait pas pu s’empêcher de trouver la scène amusante, lui rappelant de vieux souvenirs. Son cœur se serra un instant dans sa poitrine, et elle éloigna la douleur qu’il provoquait en se focalisant sur autre chose. Comme l’horloge digitale du tableau de bord.

  • Dix-neuf heures vingt-sept. Je vais être en retard. Je n’aime pas ça. Et monsieur Lirio non plus.
  • Moi non plus. Mais la circulation a du mal ce soir. Tu auras cinq minutes de retard, pas plus. Ce n’est pas la mort.

La chef de la section cinq disait cela, mais lorsque l’un de ses agents arrivait en retard elle ne pouvait pas s’empêcher de le remettre en place en lui rappelant que la ponctualité était quelque chose de très important dans le monde du travail. Finalement, comme Karen l’avait calculé, elles étaient arrivées avec cinq petites minutes de retard. La nu-man sortit en trombe du véhicule, lançant à sa propriétaire qu’elle l’appellerait plus tard. Eva espérait que le gouverneur ne tienne pas compte de ce petit contre temps. La jeune femme respira un grand coup pour se donner du courage, puis pénétra dans l’établissement.

Morgan était encore penché sur sa montre à regarder l’heure quand Eva arriva. Il leva la tête vers cette dernière, alors qu’elle était en train de s’approcher de lui et de s’installer à la table. Un sourire désolée sur les lèvres, elle s’excusa de son retard.

  • Je n’avais pas vu l’heure, et la circulation est atroce en ce moment.
  • Ce n’est pas grave. Vous êtes venue, c’est ce qui compte.

L’homme se racla la gorge avant de la félicité de façon sobre.

  • Cette robe vous va à ravir. Je suis content que vous ayez accepté cette invitation à dîner.

Le gouverneur s’était ensuite saisi de la bouteille de vin avant de servir un verre à sa compagne de soirée et de le lui tendre. La nu-man le prit avant de le remercier de vive voix pour le compliment.

  • Merci.

Elle n’avait rien pu dire de plus, et complimenter Morgan sur sa tenue était exclu puisqu’il portait toujours des costumes trois pièces. Ce soir ne faisait pas exception. La seule petite extravagance qu’il s’était permise, était la couleur de sa cravate, qui, du pourpre de tous les jours, était passée à un rouge vif. Eva but quelques gorgées de vin avant de tenter un début de conversation. Car si elle pouvait glaner quelques informations inédites au court de la soirée, elle n’allait pas se gêner.

  • Je suppose que nous pouvons parler d’autres choses que de travail ce soir. Parler de façon… Plus intime… De nous ? Sauf si cela vous dérange, bien entendu.
  • Cela ne me dérange absolument pas.

Un petit silence gênant s’installa entre eux pendant quelques secondes, avant que le gouverneur n’enchaîne en se raclant la gorge.

  • Eh bien, que voulez-vous savoir à mon sujet, qu'on commence quelque part... Je suis sûr que vous vous êtes déjà posé des tas de questions sur mon compte. C'est le moment d'avoir des réponses.

Morgan étouffa un petit rire, jouant avec le liquide écarlate qui se trouvait dans son verre.

  • Ce que j’aimerai savoir sur vous ?

Eva ferma les yeux quelques instants pour réfléchir, avant de les rouvrir et de fixer son interlocuteur.

  • Parlez-moi tout simplement de vous. De votre famille. De ce que vous étiez avant de devenir gouverneur. J’avoue que je ne m’y suis jamais intéressé, ce serait une bonne occasion.
  • Par où commencer…

Morgan soupira, cherchant dans sa mémoire les grands événements de sa vie. Les yeux plongés dans son verre de vin à moitié plein, il commença alors son récit.

  • J’ai eu une enfance compliquée. Ma mère est morte quand j’étais encore tout petit, je n’ai pas beaucoup de souvenir d’elle. Mon père était propriétaire de plusieurs grandes sociétés qu’il tenait d’une main de fer. A sa mort, plutôt que de reprendre les rennes, j’ai préféré déléguer pour me consacrer à mon rêve.

Le jeune homme but une nouvelle gorgée de vin pour réhydrater sa gorge sèche avant de continuer.

  • J’avais envie de me lancer dans la politique. Pas forcément pour arriver où j’en suis à ce jour, mais… Je voulais faire bouger les choses. Aujourd’hui, même avec mon statut, c’est assez compliqué.

Le gouverneur secoua doucement la tête, l’air peiné plus qu’autre chose.

  • J’ai beau être gouverneur d’Equinox, sans l’aval des autres, je ne peux rien faire du tout. Ce n’est pas vraiment ce à quoi je m’attendais en reprenant les rennes de l’ancien gouverneur. C’est frustrant.

Morgan avala ce qu’il restait de vin dans son verre, d’une seule traite. C’était épuisant nerveusement de raviver tous ses douloureux souvenirs à la fois proches et lointains.

  • Il vous reste votre frère, non ?
  • Ronan, oui. C’est le seul membre de ma famille qu’il me reste dorénavant.
  • C’est pour cela que vous demandez toujours à lire les rapports de missions à son sujet…

Morgan hocha la tête, avant de lever la main vers l’un des serveurs qui passait. Il demanda gentiment de leur ramener les cartes des plats pour pouvoir enfin passer commande. Le serveur hocha la tête et s’éloigna rapidement. Morgan reprit sa discussion.

  • Je m’inquiète pour lui. Un peu trop d’ailleurs. Ce n’est pas un enfant, mais je ne peux pas m’en empêcher.
  • C’est compréhensible.
  • Et puis, il s’est entiché d’une fille aussi. Elle est gentille, mais… Je ne sais pas pourquoi, j’ai du mal avec elle.
  • Pourquoi ?
  • Eh bien… On ne sait rien sur elle. Et pourtant, j’avais demandé quelques infos à la section trois. Mais ils n’ont rien trouvé du tout. Mon frère s’en fiche un peu. Elle… Elle est amnésique de ce que j’ai compris. Je n’arrive pas à penser à Ronan sans m’inquiéter à ce sujet.
  • Cette fille est si… étrange que ça ?

Morgan souffla doucement, comme pour évacuer le stress qu’il avait accumulé.

  • C’est une nu-man. Mais elle n’avait pas de puce pour prouver son identité ou quoi que ce soit du genre. Et aucun BioLab d’Equinox ne la connaît.

Le sang d’Eva ne fit qu’un tour, mais elle se garda bien de le montrer. Elle prit quelques gorgées de vin avant de parler sur un ton calme :

  • Etrange en effet.

Elle nota dans son esprit qu’il lui faudrait grappiller des informations sur cette nu-man amnésique dès que possible. Car elle n’avait aucun doute sur l’endroit d’où elle venait si jamais c’était ce qu’elle pensait. Le serveur revint enfin avec les cartes, les donnant aux deux invités et attendant sagement que ces derniers se décident sur quoi prendre. Morgan parcouru le menu, grimaçant quand il vit les quelques plats de poissons. Décidément, il n'aimait pas ça. Depuis tout petit, il avait été infoutu d'apprécier manger du poisson. Il ne savait pas du tout d'où pouvait venir cette phobie. En tout cas, pour le moment, il ne savait pas du tout quoi prendre, laissant à Eva le soin de commencer à commander.

  • Je vais vous prendre une simple salade César. Pas que le reste n’ait pas l’air appétissant, mais bien trop lourd à mon goût.

Morgan était encore en train de parcourir la carte, hésitant fortement entre plusieurs plats et laissant le pauvre serveur s’impatienter.

  • Eh bien, quant à moi je vais prendre… Hum…

L’homme sentit quelque chose vibrer dans la poche de son pantalon, et il en sortit rapidement son téléphone, vérifiant en un coup d’œil si ce n’était pas un appel urgent pour une quelconque affaire. Morgan soupira. Ce n’était qu’un sms de son grand frère. Il s’était attendu à quelque chose d’un peu plus étoffé comme conseil que “sois toi-même” mais c’était mieux que rien. Le ministre de l'Intérieur revint alors à sa lecture palpitante de la carte du restaurant.

  • Je vais prendre le ris de veau rôti avec ses petits légumes de saison relevés au vin blanc. Je verrai plus tard pour le dessert.

Il laissa le serveur prendre note, puis lui tendit les menus pour qu’il puisse repartir avec. Son attention retomba sur Eva, avec un léger sourire gêné. Il espérait pouvoir être un peu plus serein pour le reste de la soirée.

Annotations

Vous aimez lire Elizabeth Fendel ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0