19 - Assassinat

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Quand Karen arriva au bureau le lendemain matin, elle ne s’était clairement pas attendue à ce qui allait lui tomber dessus sans prévenir. Il était encore très tôt, et pourtant, c’était déjà le bazar dans les couloirs. Il y avait bien trop de monde, c’était bizarre. Certains petits groupes parlaient entre eux à voix basse, et la femme aux cheveux blancs ne les calcula même pas. Elle n’avait qu’une seule chose en tête : arriver à son bureau et continuer à travailler comme d’habitude. Mais avant qu’elle n’atteigne sa destination, une voix froide comme la glace qu’elle ne connaissait que trop bien l’arrêta dans sa marche.

  • Miss Weiss… Cela fait un moment que nous ne nous sommes pas croisés ici.

Karen se tourna vers son interlocuteur. Il s’agissait du chef de la section quatre. Sans véritablement comprendre pourquoi, elle sentit un frisson désagréable remonter le long de sa colonne vertébrale. Sa bouche s’ouvrit presque sur un rictus alors qu’elle lui répondit sur le même temps qu’il employait :

  • Richard… Cela fait longtemps en effet.

Elle se retint de continuer sur sa lancée, car elle aurait dit que ce n’était jamais assez long. La femme aux cheveux blancs se racla la gorge, tant de poursuivre la conversation alors qu’elle n’était pas vraiment intéressée pour cela. Mais quelque chose lui disait que ce serait rentable de discuter un peu avec le chef de la section quatre. Si ce dernier était vraiment lié à cette affaire avec la société Elegia, il y aurait peut-être de quoi creuser.

  • C’est rare de vous voir dans les bureaux. D’habitude, vous êtes plutôt sur le terrain.

Richard hocha légèrement la tête.

  • Disons qu’avec l’attentat d’avant-hier, on m’a demandé de revenir ici. Une partie de mes hommes s’occupent de la sécurité, même si je pense que c’est assez inutile finalement.
  • Inutile ?
  • Oui. Après l’échec pendant la soirée du Bicentenaire, je suis certain que les personnes derrière tout ça ne retenteront pas leur coup avant un bon moment.
  • Mais il faut bien rassurer les civils. Et la protection que le gouverneur a mise en place fonctionne plutôt bien.

Richard haussa les épaules.

  • Mais elle coûte un paquet de fric au contribuable vous savez.

Karen soupira doucement. Elle ne pourrait pas aller plus loin sur ce terrain-là, car de ce qu’elle connaissait de son interlocuteur, elle savait pertinemment qu’il n’en dirait pas plus. La femme aux cheveux blancs tourna la tête pour jeter un coup d’œil autour d’elle, puis sans même fixer l’homme qui se trouvait face à elle, elle demanda :

  • On dirait une ruche de bon matin. Je me demande bien ce qu’il se passe en ce moment…
  • Un assassinat.

La jeune femme ouvrit grand son œil valide, remplit de stupeur, alors que Richard se contentait de sortir simplement son paquet de cigarette de sa poche de manteau.

  • Un assassinat ?
  • Les infos n’en ont pas encore parlé, mais ça ne saurait tarder. La victime est l’un de nos collègues. Quel est son nom déjà…

Le chef de la section quatre jouait avec sa cigarette, tout en réfléchissant, sous les yeux médusés de Karen qui attendait la suite avec appréhension.

  • Vous savez… Miss Weiss… C’est le gars qui s’occupe de la section trois… L’asiatique… J’ai son nom sur le bout de la langue…

Un frisson parcouru le corps entier de Karen. Cette dernière essayait de garder son sang-froid, tout en analysant la situation. Mais ce qu’elle avait compris commençait à la travailler. Et quelques mots tournaient en boucle dans son esprit à cet instant. Ishikawa. Mort. Assassiné. Voyant que Richard ne trouvait pas le nom qu’il cherchait, elle lança d’une voix glaciale :

  • Ishikawa.
  • Oui, oui ! C’est bien cela ! Ishikawa.
  • Comment est-ce que c’est arrivé ?

Elle avait posé la question sur le même ton, froid. Même si elle n’avait jamais été très proche d’Ishikawa, ce dernier avait su gagner son estime. Savoir qu’il était mort lui avait mis un sacré coup. Karen savait garder son sang-froid, même si elle bouillonnait de rage intérieurement. Elle comprenait parfaitement ce que pouvait ressentir Eva. Et elle comprenait aussi pourquoi cette dernière s’accrochait tant bien que mal au but qu’elle s’était fixée et qu’elle avait promis d’aider à accomplir. La voix de Richard la sortit de ses pensées.

  • C’est son nu-man qu’il l’a assassiné aux dernières nouvelles. Décidément, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre avec ses créatures. On leurs tend la main, on les nourri, on les loges, pour au final se faire assassiner d’un coup de couteau dans le dos.
  • Vous êtes sûr de ce que vous avancez là ?

Le chef de la section trois hocha la tête.

  • Toutes les preuves sont contre lui, mais il continue à crier son innocence à corps et à cris. Comme si la justice allait être de son côté. Il sera jugé, et, au mieux, croupira dans une cellule, et au pire…

Richard marqua une pause avant de conclure avec un léger sourire narquois :

  • Au pire, il sera récupéré par Elegia.

Morgan Lirio relisait la note urgente qu’il avait reçue très tôt ce matin. Le chef de la section trois, assassiné par son nu-man personnel. Ci-joint, il y avait la photo du criminel. Il ressemblait à un loup, et le sourire carnassier qu’il arborait sur le cliché lui donna un frisson. D’un geste, l’humain reposa le tout sur son bureau, et ses pensées furent pour son grand frère. Et si jamais la nu-man qui l’accompagnait pétait un plomb et se décidait de l’assassiner ? Mais plus il se posait la question, et plus la réponse lui venait comme une évidence : Lorelai serait incapable de lever la main sur Ronan. Il avait vite compris qu’entre ces deux-là, c’était bien plus que de l’amour qu’il y avait. Le jeune homme se demanda si un jour, il aurait le temps de se consacrer à ce genre de chose lui aussi.

  • Tout va bien monsieur le gouverneur ?

Morgan sursauta presque alors qu’il ne s’agissait que de la voix d’Eva. Cette dernière lui avait apporté un café qu’elle déposa près de lui alors qu’il répondait à sa question.

  • Oui, je vais bien. Vous êtes gentille de vous inquiéter pour moi.
  • C’est au sujet de cette note, n’est-ce pas ?

Le gouverneur hocha silencieusement la tête avant de s’emparer de la tasse encore brûlante. Est-ce qu’il devait en discuter avec sa secrétaire ? Cette dernière était loin d’être idiote, et il le savait bien. Rien de ce qui se dirait dans ce bureau n’en sortirait, il en était sûr et certain.

  • Eva… Le chef du secteur trois a été assassiné.

La jeune femme prit un air à la fois surpris et effrayé.

  • Mais, comment ? Et pourquoi ?

Le jeune homme avala quelques gorgées de sa boisson chaude.

  • Apparemment, ce serait l’œuvre de son nu-man. Ce dernier a été mis aux arrêts rapidement.

Morgan reposa sa tasse sur le bureau, regardant les volutes s’en échapper. Il continua sur le même ton :

  • Un assassinat… Un attentat… On dirait que tout est fait pour que la population déteste les nu-man. C’est vraiment bizarre.

De son côté, Eva se rongeait les ongles, chose qu’elle ne faisait jamais habituellement. Avec ce qui s’était passé ces derniers jours, il était clair et net que quelqu’un voulait que les nu-mans passent pour les méchants de cette affaire. La jeune femme réfléchissait. C’était étrange, et un lien entre ses deux événements lui semblait impossible. Et pourtant… Son propre supérieur doutait.

  • Eva, est-ce que ça va ?

La voix du gouverneur la sortie de ses réflexions. La nu-man lui répondit d’une voix légèrement tremblante :

  • Oui. Je vais bien.

Morgan poussa un petit soupir, puis tenta de rassurer la jeune femme comme il le pouvait.

  • Ne vous inquiétez pas, Eva. Ce ne sont pas ces évènements qui feront que je me séparerais d’une employée comme vous.

Puis il termina en chuchotant presque :

  • Je ne suis pas certain de retrouver une secrétaire aussi douée que vous, alors… Ce serait vraiment dommage.

Un léger sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme. Si elle ne connaissait pas aussi bien son supérieur, elle aurait pu jurer qu’il essayait de la draguer. Mais elle savait que ces paroles étaient ce qu’il pensait vraiment. Et Eva se démènerait toujours pour rester son indispensable secrétaire. Sa voix claire résonna dans la pièce :

  • Merci monsieur.

Morgan s’empara à nouveau de sa tasse de café qu’il vida rapidement. Il était heureux d’avoir réussi à décrocher un sourire à la jeune femme. Intérieurement, il était en train de se dire qu’il avait sûrement ses chances avec elle. Mais il était un humain, et elle une nu-man. Une relation pareille serait très mal vue par la société et les médias. Le gouverneur ne pouvait pas se permettre les mêmes fantaisies que son grand frère. Et puis, en y repensant, se lier avec une créature comme elle signifierait la fin de sa lignée, car il était impossible de procréer avec elles. Elles étaient stériles de naissance, et on lui avait assez rabâché pour le restant de ses jours.

  • Eva… Est-ce que cela vous dirait de dîner avec moi ? Disons, ce soir ?
  • Eh bien… Attendez voir que je vérifie quelque chose…

Elle se dirigea vers son propre bureau et ouvrir le gros agenda pour vérifier l’emploi du temps. Toujours avec un sourire en coin, elle marmonnait :

  • Vous avez deux rendez-vous importants cet après-midi, mais je ne vois pas de « dîner avec Eva » de prévu. Vous voulez que je m’en occupe ?

Le gouverneur se retenait de rire. Un énorme sourire sur le visage, il donna son feu vert à sa secrétaire.

  • Si cela ne vous dérange pas, marquez-le en rouge. Ce serait dommage d’oublier alors que la soirée s’annonce agréable pour une fois.

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