16 - Au "Soleil d'Orient"

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Morgan était resté jusque tard dans la nuit, avant de repartir. Il avait eu du mal à se réveiller le lendemain matin, et était arrivé en retard à son bureau. Les évènements des derniers jours avaient été exténuants, et cela commençait à se voir sur le gouverneur, dont les yeux étaient cernés à cause de la fatigue. Le jeune dirigeant s’affala sur le siège de son bureau et leva les yeux au plafond. Si il continuait comme ça, il allait se détruire la santé tout seul. Il fallait absolument qu’il se prenne un ou deux jours de repos. Mais ce n’était pas vraiment le moment pour ça. Pas avec ce qui s’était passé. Il était en train de rêvasser, rattraper doucement par sa fatigue accumulée, quand le bruit de quelqu’un qui tapait sur un clavier le ramena à la réalité. Il tourna alors la tête vers l’autre bureau de la pièce pour y découvrir Eva, qui travaillait consciencieusement. La voix rauque de Morgan demanda :

  • Pourquoi vous n’êtes pas chez vous à vous reposer ?

Sans même lever le nez de son ordinateur, tout en continuant à rédiger, la secrétaire lui avait répondu d’un ton neutre :

  • Parce que j’ai du travail ici, et que ce ne serait pas juste de vous laisser crouler tout seul sous la masse de tâche à accomplir. Surtout en ce moment.
  • Mais je vous avais dit que vous pourriez rester chez vous jusqu’à la fin de la semaine.
  • Je sais. Et je vous remercie de vous inquiéter pour ma santé monsieur le gouverneur.

Elle marqua une légère pause avant de terminer :

  • Mais je dois vous avouer que cela m’aurait ennuyé de rester chez moi sans rien faire. Alors autant venir travailler et vous tenir compagnie.

Un léger sourire apparut sur le visage du gouverneur. Ce dernier soupira doucement.

  • Très bien… Qu’est-ce qu’il y a de prévu pour aujourd’hui ?

Eva jeta un coup d’œil rapide à l’agenda qui se trouvait près d’elle.

  • Vous avez raté un rendez-vous avec monsieur Casey ce matin, je me suis donc permis de lui envoyer un message d’excuses. Pour cet après-midi, il n’y a rien de prévu avant quinze heures où une conférence de presse vous attend au secteur deux.

La nu-man cessa de pianoter son clavier un instant avant de se tourner vers son supérieur.

  • Vous pouvez prendre ce temps pour vous reposer. Cela ne pourra vous faire que du bien.

Morgan ne se le fit pas dire deux fois. Il s’installa confortablement dans son siège, et au bout de quelques minutes, il était déjà partit au pays des rêves.

Ronan s’allongea sur le lit et ferma à nouveau les yeux quand le médecin le lui demanda.

Il se réveilla à nouveau quelques heures plus tard. La douleur à son bras gauche était toujours aussi insupportable. Lentement, il se mit en position assise sur le lit. La tête lui tournait toujours autant.

  • C’est pire que si j’avais trop bu…

Il se tenait la tête dans ses mains, comme si il avait la migraine. C’est là qu’elle s’aperçut que la pose de la prothèse avait réussi. Elle regardait le résultat, intriguée, et s’amusait doucement à bouger les doigts, le poignet. C’était une sensation très étrange. Comme la première fois qu’on la lui avait posée. Il avait seize ans, et venait de perdre son bras. Et sa mère. Ça avait été une épreuve douloureuse, et il s’était demandé pourquoi il s’en était sorti. Pourquoi lui et pas sa mère ? Avec le temps, il avait compris qu’il n’aurait jamais la réponse à cette question. La douleur le rappela à la réalité. Bien sûr, la souffrance qu’il ressentait était infâme. Mais il avait à nouveau un bras là ou quelques heures auparavant, il n’y avait plus rien.

  • Ca va être compliqué de se réhabituer à ça. Mais c’est mieux que de ne rien avoir du tout.

Il entendit qu’on frappait à la porte de la chambre. Sa voix résonna dans la pièce comme un ordre.

  • Entrez.

Lorelai ouvrit doucement la porte et rejoignit rapidement son compagnon, un grand sourire aux lèvres. Son regard se posa rapidement sur le nouveau bras.

  • T’as l’air d’aller mieux par rapport à hier en tout cas. C’est pas trop douloureux ?

Ronan étouffa un rire.

  • Ça fait un mal de chien. Mais si ça se passe comme la première fois, alors ça ne durera pas plus de quelques heures.

La nu-man hocha la tête avant de s’assoir sur le lit près de son comparse qu’elle serra contre elle.

  • Heureusement, c’n’est qu’un bras.

L’agent, la tête posée contre la poitrine généreuse de sa partenaire, aurait pu juste apprécier cet instant. Mais entendre les battements du cœur de Lorelai lui frapper aussi vite et aussi fort les tympans lui avait fait comprendre que cette dernière était encore inquiète au sujet de ce qu’il s’était passé. Il lui attrapa la hanche de son bras valide pour l’avoir au plus près de lui, et il tenta de la rassurer à nouveau.

  • Ce n’est qu’un bras que j’avais déjà perdu de toute façon.
  • Ça aurait pu être largement pire qu’un bras. T’imagine si on t’avait… Si on t’avait…

Elle baissa la tête, n’osant pas terminer sa phrase et la laissant en suspens.

  • Je préfère être gravement blessé et te savoir en un seul morceau plutôt que ne rien faire Lore.
  • T’es trop bête.

Lorelai serra l’homme qu’elle aimait tout contre elle, comme si elle allait l’étouffer. Elle était heureuse à un point qu’elle n’aurait jamais pu imaginer d’avoir pu entendre ses mots.

Karen Weiss était revenue travailler dès le lendemain de l’attaque. Elle n’avait pas été blessée, et ne comprenait pas en quoi cela la ferait aller mieux de rester cloitrée chez elle. Eva avait été du même avis. Les deux femmes étaient donc reparties travailler dès le lendemain matin.

La journée en elle-même n’avait pas été concluante, la chef de la section cinq recevant des informations au compte-goutte. Mais vers dix-heures trente, son collègue de la section trois lui avait envoyé un message lui demandant de le rejoindre d’ici un quart d’heure pour boire un coup au « Soleil d’Orient ». Ishikawa avait ajouté, à demi-mots, qu’il avait trouvé des choses étranges. S’il avait besoin de lui parler en dehors de leur lieu de travail, c’était que l’affaire était bien plus grave qu’elle ne le pensait.

La femme aux cheveux blancs ne prit pas sa voiture, la laissant garée quelques ruelles plus loin. Pas qu’elle n’en avait pas besoin pour se rendre au point de rendez-vous, mais elle voulait surtout passer inaperçu. Elle emprunta un taxi jusqu’à un certain point, puis descendit de ce dernier pour prendre un premier bus, avant d'enchaîner avec un second qui l’emmena à destination. La chef de la section cinq descendit du véhicule, puis se dirigea rapidement vers le café qui se trouvait non loin. “Le Soleil d’Orient” était ouvert, et il y avait quelques personnes déjà installées au comptoir, dégustant leur café du soir. Un peu plus loin, une personne était attablée, et on ne pouvait pas voir son visage, caché derrière le journal du jour. Karen commanda un café, noir, sans sucre, puis s’installa face à la personne, un léger sourire aux lèvres. Elle lança sur un ton amusé :

  • C’est une merveilleuse journée, le soleil brille, les oiseaux chantent.

Ishikawa abaissa son journal, révélant une partie de son visage. Il abordait lui aussi un sourire.

  • Une merveilleuse journée pour partir en vacances, n’est-ce pas ?

Karen acquiesça d’un signe de tête. Une serveuse arriva, déposant le café qu’elle avait commandé avant de repartir en vitesse s’occuper des autres clients. Le chef de la section trois se racla la gorge avant de plier son journal et de le poser sur la table. Il lança un rapide coup d’œil aux alentours avant de se lancer.

  • Mon équipe s’est occupée de trouver l’identité des terroristes de la soirée du bicentenaire. Que des nu-man dont les propriétaires sont décédés.
  • Elegia n’était pas censé les récupérer pour les placer ?
  • Aucune idée, ils ne sont pas recensés auprès d’Elegia. Ce qui est d’autant plus bizarre que les propriétaires ont tous travaillés de près ou de loin avec cette société.

Ishikawa sortit de sous la table une pochette plastifiée qu’il glissa à son interlocuteur, tout en continuant à parler.

  • En parlant des propriétaires, c’est grâce aux puces des nu-man que j’ai pu obtenir leur identité.

Ishikawa lança un regard au fond de la salle, il n’y avait pas grand monde à cette heure matinale, mais sait-on jamais. Les murs possédaient parfois des oreilles. Et bien plus souvent qu’on ne le pensait. Il continua à voix basse :

  • Je ne sais pas trop pourquoi, une intuition peut être… Mais j’ai eu envie de comparer leurs numéros avec ceux des dossiers que nous avons récupérés dans le BioLab du secteur quatorze.

Karen haussa légèrement un sourcil. C’était une chose à laquelle elle n’aurait pas pensée, car elle ne voyait pas de lien entre les deux. Et connaissant Ishikawa, elle savait que ses intuitions étaient souvent justes. Comme les siennes.

  • Je suppose que vous avez tiré le gros lot.
  • Exactement madame Weiss. Ils faisaient tous partie des dossiers de nu-man « décédés ».

La femme aux cheveux blancs soupira en regardant le plafond. Elle ne comprenait pas trop où est-ce qu’il voulait en venir et attendait la suite de ses explications.

  • Mais je ne comprends pas encore le lien qui relie tout cela… Il nous manque encore des informations. Mais je pense qu’Elegia n’est pas aussi « clean » que ses dirigeants veulent faire croire.

Le chef de la section cinq avala alors son café d’une traite, puis regarda sa montre. Il allait être dix-neuf heures quinze. Elle reposa alors la tasse désormais vidée de son contenu dans la soucoupe prévue à cet effet, puis se leva.

  • Cette affaire sent vraiment très mauvais. Si Elegia est réellement impliqué, alors… Ça va être compliqué de démêler tout ça et d’en avoir le cœur net.

Karen se gratta le menton et commença à réfléchir. C’était décidément bizarre toute cette histoire. Mais peut-être était-ce juste une simple coïncidence. Une simple coïncidence comme il pouvait en avoir n’importe où et n’importe comment. Surtout n’importe comment.

  • Merci pour le coup de main que vous m’avez donné ces derniers temps. Je pense que si j’en suis arrivé là dans cette enquête, c’est en grande partie grâce à vous.

Ishikawa prit le journal, le déplia et s’y replongea de nouveau, murmurant presque :

  • Je ne peux que vous conseiller de faire extrêmement attention à vous et à vos proches, et vous souhaiter bon courage pour la suite. J’ai la chance d’aller rarement sur le terrain, donc je ne risque pas grand-chose contrairement à vous.

La femme aux cheveux blancs se leva, enfourna la pochette dans sa sacoche, puis se détourna de la table sans même lancer un regard en arrière. Elle régla rapidement sa consommation au comptoir, puis sorti du “Soleil d’Orient”.

Elle se dirigea vers un arrêt de bus ou elle attendit un peu moins de dix minutes. Le véhicule tant attendu arriva, pile à l’heure indiqué sur le panneau. Elle resta debout pendant toute la durée du trajet, c’est à dire vingt bonnes minutes, puis descendit une fois arrivé au terminus. Karen regarda sa montre. Huit heures. Elle était un peu en avance, et elle arriverait bien avant l’heure prévue chez elle. Tant mieux, elle détestait l’inverse.

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