17 - Pour la vengeance

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Karen mit la clé dans la serrure avant d’ouvrir la porte de son appartement. Serrant la sacoche contre elle, elle referma derrière elle, jetant un coup d’œil pour vérifier si Eva était déjà rentrée. Cette dernière ne mit pas longtemps à apparaître, se dirigeant vers sa propriétaire. La nu-man laissait visiblement paraître sa tension. Derrière elle, sa queue s’agitait frénétiquement, tel un balancier. Eva n’avait pas compris pourquoi Karen ne l’avait pas immédiatement contacté. Elle avait pourtant été très claire à ce sujet : à la moindre information, elle voulait être prévenue sans délais. Et en y repensant, la chef de la section cinq l’avait toujours informée de ses découvertes. Même futiles en apparence. Elle comprit que c’était différent cette fois lorsqu’ils échangèrent un regard. Le stress se voyait dans les yeux de Karen. Un stress qui semblait vouloir la contaminer à son tour.

  • Karen…

Elle lui fit une courte étreinte pour lui souhaiter la bienvenue.

  • J’imagine que tu as un tas de chose à me raconter. Je vais nous faire du thé.

Partagée entre curiosité et inquiétude, elle se rendit dans la cuisine dont l'atmosphère se chargea rapidement de centaines des composés aromatiques. L’odeur familière du thé et sans aucun doutes rassurantes, calmait peu à peu la nu-man qui revint avec deux tasses.

Karen s’en empara d’une, remerciant la jeune femme d’un léger signe de tête, avant de s’installer confortablement sur le canapé du salon. Elle huma quelques secondes sa boisson chaude, appréciant son odeur parfumée, légèrement vanillée. Et lorsque ces lèvres touchèrent enfin la surface brûlante du liquide tant attendu, elle ne put s’empêcher de pousser un petit soupir de satisfaction.

Le moment d’en venir aux faits arriva rapidement.

Attrapant sa sacoche, Karen en sortit les dossiers qu’elle posa sur la surface propre de la table basse, puis prit une grande inspiration. En vérité, elle ne savait pas vraiment par où commencer. Elle resta quelques instants silencieuse, alors qu’Eva était scotchée à ses lèvres, puis se lança enfin.

  • Ishikawa a comparé les profils des terroristes de la soirée du Bicentenaire avec ceux des dossiers que nous avons récupérés au BioLab du secteur quatorze. Et les résultats sont pour le moins… étonnants, si je puis dire.

Le chef de la section cinq se racla la gorge, puis commença à expliquer simplement ce son collègue lui avait confié, s’appliquant à rester compréhensible sans vraiment entrer dans les détails techniques. Puis Karen ouvrit le premier dossier, rapidement suivit du second. Le regroupement des informations avait déjà été fait, et elle ne remercierai jamais assez Ishikawa pour ça. Attrapant quelques fiches pour illustrer ses dires, elle expliqua donc ce qu’il avait découvert.

Le silence dans le salon était pesant, alors que la femme aux cheveux blancs continuait de parler encore et encore, sans s’arrêter, expliquant tout ce qu’elle pouvait. Eva restait attentive à toutes les paroles de sa propriétaire.

Les sourcils froncés dans une expression qui ne lui était pas habituelle, les bras croisés, elle écoutait, tout en essayant d’imprimer chaque parole dans son esprit. Chaque information dont elle pourrait se souvenir serait importante. Enfin, c’est ce qu’elle pensait. Puis une sensation désagréable, quelque chose qu’elle avait oublié, revint tel un boomerang, la frappant en plein coeur.

Le frisson de la peur. Et avec lui quelque chose de plus profondément ancré en elle. Un souvenir, fugace. Quelques secondes. Une salle blanche. Vide. Elle ne peut pas bouger. Ses yeux se posent rapidement sur son bras droit. Une perfusion. On lui injecte quelque chose. Mais elle ne sait pas quoi.

Et le souvenir s'estompe, et avec lui la sensation désagréable. Eva secoua doucement la tête pour se remettre les idées en place. Elle se concentra à nouveau sur la discussion en cours. Discussion qui touchait à sa fin.

La chef de la section cinq commençait à ranger les dossiers, tout en continuant ses explications. Elle s’était répétée par moment, sans faire attention, mais Eva ne l’avait repris pour cela. Karen termina donc sur un ton rempli d’inquiétude :

  • J’ai bien peur que la personne que tu recherches ne soit quelqu’un d’un peu trop haut placé.

Eva avait fini par vivre tranquillement, presque normalement. Elle avait fini par se faire à l’idée que même avec la bonne volonté de sa propriétaire, elle ne remettrait pas la main dessus. Si bien qu’elle l’avait presque oublié. Bien sûr, on n'oublie jamais complètement, jamais pour toujours, surtout quand c’était une part importante des pires moments de son existence... Quoi qu’on dise, il arrive toujours un jour où nos esprits pervers, dans un moment d'inattention, nous extirpe un vieux souvenir pour mieux nous le coller au visage. Quand ce n’était pas simplement la vie qui s’en occupait. Et ce jour était venu. Elle avait conscience d’avoir participé, presque passivement à cette recherche. Mais avoir des résultats concrets, après tant de temps donnait l’impression de sortir d’un rêve, de toucher la réalité du doigt. De façon aussi palpable que le mouchoir en papier qui tremblait dans ses mains.

  • Tu penses vraiment qu’il fait partit des hauts placés d’Elegia ?

Elle n’avait pas précisé de qui elle parlait, c’était bien inutile. Et quand à la réponse, elle connaissait instinctivement la réponse. Que cherchait-elle en la posant ? A repousser l'échéance ? A les inciter à laisser tomber si près du but? Aucune chance. Karen était déterminée. Bien plus qu’Eva. Sans doute parce que c’était pour elle. Eva ne pouvait pas abandonner si près du but qu’elle s’était fixé. Pour elle-même, et pour tous les autres, elle devait aller jusqu’au bout. Elle ne pouvait pas laisser ces crimes éternellement impunis.

Devant le silence pesant qui s’était installé, et la mine grave de la nu-man, Karen tenta de lui redonner une petite lueur d’espoir.

  • Oui… Et nous le ferons tomber de son piédestal comme il se doit. Même si ça doit me coûter ma place.

La femme aux cheveux blancs se tut alors, lançant un regard rapide à Eva. Cette dernière la fixait, son regard flamboyant bien déterminé.

  • Combien de temps faudra-t-il pour trouver son identité ?
  • Je ne sais pas. Nous manquons d’informations à ce sujet. Mais c’est déjà un grand pas en avant que nous avons fait ces derniers jours. Bien plus qu’en deux ans tout entier…

C’était la vérité. L’enquête avait été au point mort si longtemps que ça avait été un véritable miracle d’obtenir autant d’informations en si peu de temps. Eva était pressée d’en finir, et sa propriétaire ne manqua pas de le remarquer. Karen fronça les sourcils.

  • Et garde en tête cela : il est hors de question que tu y aille seule. Et encore moins sans moi. Est-ce que je me suis bien fait comprendre ?

Elle appuya ses paroles d’un regard noir et mauvais. La femme aux cheveux blancs ne l’avait jamais vue aussi déterminée. Elle qui était de plus en plus distante ces derniers temps commençait à sortir les griffes. Avec le temps, c’était devenu sa chasse, sa chouette d’or… tant et si bien qu’Eva l’avais mise de côté, alors même qu’elle était la première concernée. A l’idée d’obtenir ce dont elle rêvait depuis quelques années, elle était fin prête à attaquer.

Ronan avait pris son mal en patience. Le soir de la seconde opération, il ne ressentait plus les douleurs de façon insupportables. Il aurait voulu pouvoir rentrer chez lui le soir même, mais le médecin qui s’occupait de lui le lui avait formellement interdit. Il devait attendre le lendemain matin, et pas avant. Il s’était donc installé devant la télévision de la chambre, somnolant devant un vieux film d’action qu’il trouva barbant au possible. Mais si cela l’aidait à passer le temps, alors il ne disait pas non. De temps en temps, il envoyait des messages à Lorelai, qui s’ennuyait tout autant de son côté. Elle n’hésita pas à lui dire que le grand lit était bien froid sans sa présence, ce qui ne manqua pas de le faire sourire.

Le jeune homme eut beaucoup de mal à trouver le sommeil cette nuit-là, ayant déjà passé une grande partie de la veille à dormir. Quand enfin il tomba dans les bras de Morphée, il était déjà deux heures et demie du matin. Et c’est avec les yeux cernés qu’il se réveilla le lendemain matin. Ronan jeta un coup d’œil à sa montre : huit heures et demie. Il ne lui fallut pas attendre longtemps pour qu’une infirmière vienne lui apporter son plateau contenant son petite déjeuné. Il avala rapidement le chocolat chaud, regrettant que ce ne soit pas un café, et le jus d’orange fraîchement pressé. Les tartines de confiture de fraises et les œufs brouillés vinrent rapidement rejoindre le reste au fond de son estomac. Le ventre plein, il attendait désormais dix heures. L’heure à laquelle Lorelai viendrait le chercher pour repartir à la maison.

La nu-man avait dû prendre le bus pour se rendre à l’hôpital. La seule chose qui la dérangeait, c’était les regards des autres sur sa personne. Tête baissée, bien accrochée à la barre de métal, elle était pressée d’arriver à destination. Elle s’ennuyait tellement lorsque son amant n’était pas à ses côtés. C’était comme si il lui manquait une partie d’elle-même lorsqu’il n’était pas là. Quand enfin le nom de l’arrêt qu’elle attendait tant apparu sur le petit écran, elle se faufila en dehors du véhicules avec d’autre badauds avant de se diriger d’un pas alerte vers l’immense bâtiment. Ne se préoccupant pas des autres personnes qui se trouvaient dans le hall d’accueil, elle prit le même chemin que la veille et l’avant-veille. Quelques couloirs, un ascenseur, encore quelques couloirs, et elle se retrouva en moins de temps qu’il n’en faut devant la chambre de son compagnon. Lorelai jeta un coup d’œil à l’horloge murale. Il allait être dix heures. Elle était donc parfaitement dans les temps. La nu-man toqua doucement à la porte, comme si elle avait peur de réveiller son occupant, alors qu’elle savait pertinemment que ce dernier était parfaitement réveillé. La voix de ce dernier se fit entendre, ordonnant simplement :

  • Entrez !

Ce que Lorelai fit, poussant doucement la porte. Un immense sourire illumina son visage lorsqu’elle vit son amant. Ronan avait l’air en pleine forme, et ce, malgré le bandage à son épaule qu’on pouvait deviner sous sur tee-shirt. La nu-man demanda d’une voix joyeuse :

  • Tu es prêt ?

Ronan hocha la tête en lui rendant son sourire.

  • Oui. On règle et on rentre à l’appart’. J’en ai plus qu’assez de cet endroit.

Sa comparse ne répondit rien, mais était bien contente qu’ils n’aient plus à mettre les pieds à l’hôpital pour le moment.

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