11 - Invitation

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Ronan et Lorelai était assis l’un en face de l’autre, dans la petite cuisine. Le premier s’était servi une troisième tasse de café, et la seconde du thé à la vanille, dont l’odeur embaumait la pièce. Le silence s’était installé, et ce fut la nu-man qui le brisa en posant simplement sa question :

  • C’était qui exactement au téléphone ?
  • Ma chef. Pour me faire un topo rapide des infos récupérées sur les ordinateurs du BioLab.
  • Et… ça donne quoi finalement ?

L’agent avala une gorgée de café avant de répondre à sa compagne.

  • C’est bizarre. Aucune trace de la bestiole qu’on a zigouillée. Par contre, les disques durs étaient blindés d’infos en tout genre concernant des nu-mans. Normal tu me diras. Sauf quand les nu-man en question sont décédés depuis un bail.

La jeune femme s’amusait avec sa cuillère à touiller son thé, attendant qu’il refroidisse un peu. Les yeux baissés, elle soupira.

  • Effectivement… C’est vraiment bizarre… A quoi est-ce que ça peut bien servir de garder ces informations ?
  • Pour les revendre peut être… Ou falsifier des papiers importants… Je ne sais pas exactement. Tout ce dont je suis sûr, c’est que ça ne tourne pas rond.

Lorsqu’il avait eu Karen au téléphone, cette dernière avait gardé son sang-froid en lui donnant toutes les informations. Pourtant, il avait pu déceler une petite pointe de peur au fond de sa voix glaciale. Et c’était assez rare pour être souligné. Cette dernière lui avait juste omis le lien entre cette affaire et la section quatre, pensant qu’il n’avait pas besoin de savoir ça pour le moment.

Lorelai passa sa main sur son cou, où les bleus de la veille étaient encore visibles. Ce n’était pas douloureux, juste désagréable. Il faudrait qu’elle porte des cols roulés jusqu’à ce qu’ils disparaissent pour qu’on ne lui pose pas de questions indiscrètes.

  • Tu as mal ?

La voix inquiète de Ronan l’avait tirée de ses pensées. Elle secoua doucement la tête avant de lui répondre de façon à le rassurer.

  • Non… C’est juste… Pas agréable. C’tout.

L’humain plissa légèrement les yeux, jugeant la véracité des paroles de son interlocutrice. Puis il soupira doucement avant de se concentrer sur ce qu’il restait de café dans sa tasse.

Ce matin-là, le gouverneur était très occupé. Eva se retrouvait donc seule dans le grand bureau de son supérieur. A la voir pianoter sur son clavier, les yeux rivés sur son ordinateurs, on pouvait croire qu’elle travaillait avec acharnement. Mais pas ce matin. Le rapport concernant l’une des missions de la veille était passé entre ses mains. Elle l’avait épluché dans tous les sens, cherchant tout ce qui pouvait lui fournir une quelconque piste pour avoir les preuves qu’elle cherchait pour le coincer. Bien qu’il y ait de nombreuses choses étranges, il n’y avait rien qu’elle pouvait utiliser. La queue de la jeune femme se balançait en rythme, seule chose visible marquant son énervement. Le bruit mécanique de ses doigts sur les touches s’arrêta, et la jeune femme leva la tête vers le plafond en soupirant.

  • Bon sang…

Les mots avaient traversés ses lèvres, mais il n’y avait personne pour l’entendre. Elle se leva de son siège, puis se dirigea vers la petite machine à café. Heureusement pour elle, l’appareil pouvait aussi lui fournir du thé, ce qu’elle ne manqua pas de demander d’une simple pression sur l’un des boutons. Debout devant l’appareil qui versait sa boisson chaude au fond d’une tasse, elle continuait de réfléchir. Eva était sûre et certaine que ce que la section trois avait découvert n’était qu’une infime partie qui cachait quelque chose de bien plus important. Sa propriétaire lui avait pourtant dit de faire attention où elle mettait les pieds pour le coup, car elle ne pourrait pas forcément la protéger si les choses tournaient mal. Mais la nu-man sentait qu’elle était bientôt proche de son but et ne pouvait pas laisser passer une chance pareille. La petite sonnerie de la machine la ramena sur terre, et elle prit sa tasse brûlante avant de se réinstaller à sa place habituelle. Tout en buvant quelques gorgées de thé, elle jeta un coup d’œil à l’agenda qui était grand ouvert près d’elle. Morgan avait souligné un petit mot au stabylo. Au moins, elle était sûre de ne pas le manquer.

«Inviter Ronan Laguna et sa nu-man à la soirée spéciale du Bicentenaire d’Equinox. Faire parvenir deux invitations V.I.P et demander confirmation.»

La jeune femme posa sa tasse, puis fit craquer les phalanges de ses doigts sans aucune élégance. C’était l’une des rares choses qu’elle appréciait faire alors que les bonnes manières interdisaient scrupuleusement ce comportement. Elle laissa donc ce qu’elle faisait jusque-là, se disant que de toute façon, pour le moment, sans plus d’information, elle ne pouvait pas continuer. Eva se remit à taper sur les touches du clavier à une vitesse frénétique, écrivant un rapide courrier à l’attention de ce monsieur Laguna. Quelque chose de simple et direct, qu’elle envoya par mail en n’oubliant pas de joindre les invitations. Au moins, ceci était fait. Maintenant, il fallait qu’elle s’attelle au reste des tâches qui lui incombait.

La pluie tombait à verse sur les carreaux de la fenêtre en ce début d’après-midi. Alors que Ronan s’était installé à son bureau pour remplir moult paperasses, Lorelai s’était lovée dans le canapé, son regard perdu sur les nombreuses traces que laissaient les gouttes le long de la surface de verre. Elle appréciait la pluie, et remerciait silencieusement le système climatique mis en place par Matriarch pour lui permettre de profiter de ce genre de spectacle. La nu-man était absorbée par la vision de la pluie. Etait-ce dû au fait qu’elle faisait partie de la famille des créatures marines ? Elle ne savait pas vraiment, et puis, elle n’en avait que faire. Ça lui plaisait, c’était tout ce qu’elle avait besoin de savoir.

Lorelai se releva doucement, s’étirant un instant, avant de se diriger vers la porte fenêtre. Sans détourner son regard du paysage qui se trouvait devant elle, elle questionna son compagnon.

  • Ronan… Est-ce que tu penses qu’un jour je me rappellerai de mon passé autrement que par des cauchemars incompréhensibles ?

L’homme leva la tête de ses papiers, faisant tourner son stylo entre ses doigts. Il jeta un coup d’œil à sa comparse, qui se trouvait dos à lui. Soupirant lentement, il répondit sur un ton peu sûr de lui.

  • J'espère…

Cela ne devait pas être agréable pour elle. Il ne pouvait pas comprendre, n’ayant pas ce genre de soucis. Ronan se rappelait de beaucoup de choses. De son enfance. De sa mère. De certains moments plus ou moins heureux. Mais pour sa complice, ce n’était pas le cas. Il n’y avait aucuns souvenirs avant leur rencontre. Il lui avait expliqué qu’ils pouvaient construire des souvenirs ensemble, le temps qu’elle retrouve les siens. Mais ces derniers temps, elle avait de plus en plus soif de savoir. De savoir QUI elle était. Et il ne pouvait pas lui en vouloir.

Lorelai posa sa main palmée sur la poignée de la fenêtre avant de l’ouvrir. Le vent était frais, et quelques gouttes tombèrent sur elle. Elle posa un pied sur le balcon, puis un second, appréciant ce contact humide. Puis elle sortit totalement, laissant la pluie la tremper complètement. Cela ne la dérangeait pas, bien au contraire. Levant la tête vers le ciel, la nu-man resta plantée là sans rien dire de plus.

Ronan contemplait la silhouette de sa compagne qu’il pouvait deviner à travers ses vêtements à présents humides qui épousait parfaitement ses formes. Il avait du mal à se remettre au travail, et son regard était sans cesse attiré par elle. Se mordant légèrement les lèvres pour se remettre les idées en place, il se replongea dans son travail, se demandant combien de temps il tiendrait avant de flancher et de laisser tomber. Une sonnerie spécifique en provenance de son téléphone l’éloigner des pensées quelques peu perverses qu’il avait actuellement. Laissant à nouveau son travail en plan, il s’empara de son portable pour y lire le message qu’il venait de recevoir. De son autre main, il continuait à faire tourner son stylo entre ses doigts.

  • On a quelque chose de prévu pour demain soir ?

Il avait posé la question alors qu’il savait pertinemment qu’elle était la réponse que sa comparse allait dire. Cela ne manqua pas. Lorelai, trempée, se tourna vers son propriétaire sans bouger de l’endroit où elle se trouvait.

  • Non, pourquoi ? Tu veux qu’on fasse quelque chose de particulier ?

A peine termina-t-elle sa phrase qu’elle entra de nouveau dans la pièce, laissant des traces mouillée sur le sol à chaque pas qu’elle faisait pour se rapprocher de Ronan. Ce dernier leva la tête vers elle, et ne manqua pas de la trouver sensuelle sans le lui dire. L’homme se racla la gorge avant de prendre la parole.

  • Eh bien, nous sommes conviés à la soirée du Bicentenaire demain. Tu veux qu’on y aille ? Si ça ne t’intéresse pas, je trouverais toujours une excuse à donner à mon frère…
  • C’est génial !

Lorelai se jeta sur son compagnon, le trempant au passage avant de poser un tendre baiser sur son front.

  • C’est une soirée super importante, ce serait criminel de la rater, non ? Tu n’penses pas ?

Ronan grogna faiblement quand la nu-man humidifia ses vêtements en se collant à lui, mais sa mauvaise humeur partit aussi rapidement qu’elle était venue. Sa comparse n’avait pas tort. Ce n’était pas le genre de soirée que l’on voyait tous les quatre matins. Et sortir un peu leur permettrait d’oublier les mésaventures de la veille. Il frissonna en y repensant.

  • Très bien, ça marche. On va y aller. Tu pourras même te mettre sur ton trente et un.
  • Une jolie robe donc… Quelque chose de classe… J’ai tellement hâte d’y être !

A cet instant, Lorelai ressemblait plus à une enfant qui attendait un cadeau du père Noël. Mais Ronan s’en fichait, tant qu’elle était heureuse. C’était tout ce qui comptait à ses yeux.

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