10 - Mystères

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Karen Weiss se trouvait dans son bureau. Elle était arrivée en avance, comme tous les jours, et savait qu’elle partirait bien après ses horaires, comme tous les jours. Comme d’habitude, elle s’acharnait à traiter les dossiers qu’on lui présentait et qui étaient « à risque ». La chef de la section cinq soupira d’exaspération. Chaque jour qui passait, elle avait l’impression que ses efforts ne servaient pas à grand-chose. La criminalité était toujours là, et elle pensait que ça ne s’arrêterait jamais. Ca, et aussi le fait que l’enquête qu’elle menait en parallèle n’avançait pas beaucoup. Assise sur le siège confortable derrière son bureau, la femme aux cheveux blancs leva les yeux au plafond, le fixant comme si elle pouvait voir au travers, réfléchissant à ce que pouvait bien cacher les fichiers que l’équipe de la section trois lui avait partagés. Car parmi tout ce qu’ils avaient pu récupérer la veille, une grosse partie des documents étaient cryptés. On lui avait expliqué qu’au mieux, il suffirait de quelques heures pour tout déchiffrer, mais que dans le pire des cas… cela pourrait se chiffrer en jours, voire en mois. Karen n’était pas un as en informatique. Elle savait utiliser un ordinateur et des logiciels basiques, mais ça s’arrêtait là. Elle ne s’était jamais penchée sur les possibilités de ce genre d’appareils.

La femme aux cheveux blancs avait commencé à se faire un tas de scénarios plus ou moins probables sur cette histoire, allant du simple trafic d’organes au marché noir à des choses un peu plus farfelues, comme une invasion d’Equinox par des oursons vêtus de kilt venant de l’autre bout de l’espace. La porte de son bureau s’ouvrit alors, et un barbu entra dans la pièce, saluant respectueusement son supérieur. Karen hocha simplement la tête, attendant les explications du chef de la section trois. Car il s’agissait de ce dernier, un quarantenaire répondant au nom de Denshi Ishikawa. Explications qui ne tardèrent pas à arriver. La voix humble mais sûre d’elle de l’homme résonna alors dans la pièce.

  • Madame Weiss, nous avons terminé de traiter votre demande concernant les fichiers que vous nous avez envoyé chercher au BioLab du secteur 14. Et c'était loin d'être évident, soupira-t-il avant de reprendre sur un ton moins formel. Le chiffrement était costaud et je vais être franc, nous avons eu beaucoup de chance. Surtout en si peu de temps. Sans entrer dans les détails, nous avons dû y aller en brut force. C’est sale, pas garanti et long, terriblement long sauf… quand on a un peu de chance comme ici. Heureusement que nous avons pu “emprunter”, dit-il avant de remarquer le regard noir que lançait Karen qui commençait à se perdre dans les explications… de la puissance de calcul, conclut-il. Je savais que vous réprouveriez l’infiltration de Solstice, mais sans, il était impossible de casser la clé utilisé. Et un verrou sans clé... Enfin, rassurez-vous, aucune trace n'a été laissée, ni concernant notre passage, ni concernant les données. J’ai personnellement veillé à ce que les données ne transitent pas sur disque. Voici le contenu des documents.

Ishikawa s'avança vers le bureau et y déposa un dossier aussi épais qu’un annuaire téléphonique. Karen regrettait déjà le fait qu’elle allait devoir éplucher le dossier en long, en large et en travers. Rien que ça allait lui prendre des heures et des heures. Elle soupira doucement, tout en remerciant son interlocuteur pour le travail que son équipe avait fourni.

  • En tout cas, je me demande bien ce qu’il y a là-dedans et qui avait besoin d'être crypté pour être caché aux yeux des simples mortels que nous sommes…
  • Ce sont de simples fiches de renseignements, des permis de conduire, des dossiers d’ouverture de comptes en banque, des cartes d’identité, des passeports, des dossiers médicaux… Rien de très illégal. On pourrait croire à ce que ce soient de simples fichiers provenant d’une quelconque entreprise. Mais il y a quelque chose qui cloche avec ces dossiers madame, et j’ai le nez pour ça.

Tout en prononçant sa dernière phrase avec un air sérieux, le chef de la section trois se toucha le bout du nez avec le doigt. Un tic qu'il avait depuis longtemps et qui ne partirait pas de sitôt. La femme aux cheveux blancs attendait, toute ouïe, ce qu’il pouvait bien dire par là. Sans attendre plus longtemps, Ishikawa ouvrit le dossier, le feuilleta rapidement, puis s'arrêta sur une fiche de renseignements.

  • Ici nous avons un certain Daniel. Sa date de naissance, son adresse, son numéro de téléphone, son adresse mail, le code de sa puce personnelle, la liste de ses différents employeurs, des choses normales en soit pour une fiche de renseignements. Surtout pour une fiche de renseignements concernant un nu-man fraichement sortit de l’un des incubateurs.

Il marqua une légère pause avant de continuer sur le même ton.

  • Ce qui me gêne un peu dans cette fiche, c’est aussi d’y trouver ses identifiants bancaires, ses différents numéros de compte et de cartes bleues, toutes les informations relatives à son permis de conduire et à sa carte grise entre autres… Mais ce n’est pas tout.

Il pointa du doigt un petit encart sur la fiche.

  • Date du décès, 20 avril 20XX. Nous sommes donc bien d’accord, ce pauvre Daniel est mort et enterré depuis un petit paquet d'années maintenant.

Karen hocha la tête, demandant simplement :

  • Où voulez-vous en venir ?
  • Attendez un instant madame Weiss. J’y arrive…

Le chef de la section trois posa alors le second dossier qu’il tenait dans ses bras, bien moins épais que le premier. Il en sortit une autre feuille, toute simple, et la montra à son interlocutrice.

  • Ici nous avons une demande de passeport au nom de Daniel, avec le nom de son propriétaire ci-joint, en date du mois de février 20XX. On pourrait simplement croire à un homonyme, mais les informations données correspondent à celle de notre décédé. A moins qu’un mort n’ait besoin d’un passeport pour voyager, je n’ai pas d’explication logique. Et ce n’est pas le seul avec qui j’ai découvert ce genre d’anomalie. Il y a au moins un tiers des personnes des fichiers que vous m’avez demandé de traiter qui sont concernées.

Karen Weiss leva à nouveau les yeux au plafond. Cette affaire était décidément bien compliquée. Elle se gratta l'arrière du crâne, tout en réfléchissant, puis lança à son collègue.

  • C’est louche cette histoire… On dirait bien que quelqu'un s’amuse à usurper l'identité de nu-man décédés. Est-ce que c’est simplement pour se faire de l'argent de poche ou est-ce que ça cache quelque chose de plus gros encore ?

La femme aux cheveux blancs frissonna. Si c'était pour autre chose, ce serait le genre de cas encore inédit dans sa carrière et elle était à la fois impatiente et effrayée. Karen se leva de son siège, encore déconcertée par le flot d’informations qu’elle venait d’apprendre.

  • Et concernant cette histoire de nu-man mutant ? Il y avait des informations ?

Le chef de la section trois secoua la tête négativement.

  • Rien de rien. Comme si cette créature n’avait jamais existé.

C’était vraiment très étrange. Karen se gratta le menton, puis, s’approchant de son camarade, elle le remercia modestement.

  • Merci d’avoir pris le temps de vous pencher sur ces fichiers, ça va m’aider dans mon enquête.
  • C’est juste mon travail Madame. Mais j’ai juste une chose à ajouter... ça ne concerne pas le contenu en lui-même mais la façon de faire. Les fichiers avaient artificiellement tous la même taille. Ils étaient “remplis” à la fin par des octets de bourrage en quelque sorte. Par des “4”. Le chiffre favori de la section du même ordre.

Ishikawa salua de nouveau la femme avant de se diriger avec la porte du bureau. Il s’arrêta avant de se tourner à nouveau vers le chef de la section cinq, lui lançant sur un ton teinté d'appréhension :

  • Qui ou quoi que vous cherchiez, faites attention, si c'est bien la section quatre qui se trouve dans la boucle…

Denshi Ishikawa sortit alors de la pièce sans finir sa phrase, refermant doucement la porte derrière lui. Le regard de Karen se posa sur les deux dossiers qui se trouvaient sur son bureau. Elle murmura doucement entre ses lèvres, comme si elle avait peur qu’une oreille indiscrète ne l’entende :

  • Si la section quatre est dans le coup, alors…

Elle ne formula pas la fin de sa phrase, mais cela expliquait certaines choses. Karen ne savait pas encore dans quelle affaire elle venait de fourrer son nez.

Posé sur la table de la cuisine, le téléphone de Ronan vibra plusieurs fois, et sa sonnerie interminable retentit dans la pièce. Ce dernier se réveilla de sa petite sieste, cherchant à attraper l’appareil qui n’était clairement pas à portée de main. Il grogna, se levant du lit douillet, et réveillant sa comparse au passage. Lorelai bailla à s’en décrocher la mâchoire, et elle demanda d’une voix à moitié endormie :

  • Tu vas où ?
  • Le téléphone qui sonne. Tu ne l’entends pas ?

Pour toute réponse, la nu-man coinça sa tête sous le coussin en rouspétant. Le jeune homme alla dans la cuisine, où le téléphone sonnait encore et toujours à tue-tête. Sans même regarder de qui il s’agissait, il décrocha, demandant d’une voix sèche :

  • Oui ? Qui est à l’appareil ?

Un long silence s’installa dans la cuisine, alors qu’il écoutait avec attention les paroles de son interlocuteur. Au bout d’un long moment, la voix de l’homme résonna à nouveau dans la pièce.

  • Très bien. C’est noté. Merci.

Il raccrocha avant de reposer le téléphone sur la table de la cuisine. Perdu dans ses pensées, Ronan n’avait pas entendu Lorelai se lever et le rejoindre. Elle s’approcha de son compagnon avant de lui caresser amoureusement le dos. Elle demanda :

  • Est-ce que tout va bien ? Ne me dis pas que c’était ta chef qui te demandait de venir bosser aujourd’hui ! Après ce qui s’est passé hier, ce serait gonflé !

Le jeune homme secoua la tête.

  • Non non, ce n’est pas pour revenir aujourd’hui… C’est juste pour me garder au courant sur cette affaire. Et cette affaire a l’air bien plus louche que ce que je pensais.

La nu-man planta son regard dans celui de son amant sans rien dire. Elle espérait juste que Ronan n’irait pas mettre le nez dans cette histoire. Elle avait un mauvais pressentiment, sans pouvoir l’expliquer. Elle ne voulait pas qu’il aille risquer sa vie pour une affaire. C’était la dernière chose qu’elle désirait.

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