8 - Ordre du jour

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 Le bûcheron aux trois haches eut un fils. Celui-ci se révéla d'un grand talent pour l'art, en particulier pour la musique, et sa renommée parcourait la forêt, jusqu'aux villages environnants.

 Un jour, un homme était de passage près de là, quand il entendit de délicieuses notes venir du coeur de la forêt, et il songea que ce devait être le fameux garçon si talentueux. Comme il aimerait posséder un tel don ! Alors, il séduirait les Princes et les demoiselles, il ravirait les coeurs, il serait le phénomène du royaume ! Il lâcha donc toutes ses affaires et eut seulement en tête d'atteindre la source de ce merveilleux son. Après une longue recherche à travers les arbres, il finit par trouver une modeste maison de bois, et toqua à la porte. Le vieux bûcheron lui ouvrit. Le voyageur fut franc et direct :

 - Dites-moi votre secret, ou celui de votre fils ! Comment fait-il pour communier ainsi avec les dieux ?

 - Hum... Vous devriez lui demander... Emile ! Viens donc ici...

 Le fils arriva. Petit et assez maigre, il portait une tunique simple et une plume dans les cheveux. Il avait les yeux grand ouverts, donnant à sa face un air un peu ahuri, et un sourire très ingénu colorait celle-ci.

 - Bonjour monsieur.

 - Bonjour gam... Bonjour garçon. Enchanté, vraiment, euh, ravi de te rencontrer. (Ce disant, il s'inclina très bas) Dis-moi, euh... Comment dirais-je ?... Sais-tu comme tu joues bien ?

 - Joue bien à quoi, monsieur ?

 - Ah je ne sais pas, de ton instrument, une flûte je crois, ou un ocarina. Ah! c'est merveilleux, mon garçon, les anges...euh, les anges se penchent et viennent écouter, sache-le !

 - Ah bon. Merci, monsieur.

 - Mais ce n'est pas tout ! J'ai entendu parler également de ton chant, de tes peintures, de tes poèmes ! Ah vraiment, si j'avais un tel don, euh...j'enchanterais les enfants, euh, et les adultes, et remplirais leurs coeurs de joie !

 - Je vous le souhaite, monsieur.

 - Ah! mais, malheureusement, les dieux ne m'ont pas fait un tel honneur, jusqu'à présent. Si je prends une guitare, ou un papier et un crayon, rien ne sort, sinon des fausses notes et des dessins et poèmes ratés, c'est désolant ! Mais si... Si tu pouvais...

 - Oui, monsieur ?

 - Si tu pouvais parler aux dieux de moi, et dire que je suis un pauvre hère sans talent, qui demande juste à participer à la joie du monde ? Si tu pouvais leur parler de moi et leur demander de m'aider un petit peu ?

 - Je le ferai, monsieur.

 - Ah! mais, euh...ça ne suffit pas, je crains, en fait, il faut... Est-ce que tu pourrais me révéler tes recettes, concrètement ? Comment fais-tu ?

 - Comment je fais quoi, monsieur ?

 - Comment tu fais pour être si doué ? Dis-moi !

 - Je ne sais pas, monsieur.

 - Ah mais tu as forcément des techniques, quelque chose ! Je suis sûr qu'il y a, euh, qu'il y a un art du coeur comme il y a un art des mains et de la tête ! Allons, dis-moi, donne-moi rien qu'une technique !

 - Je n'en ai pas, monsieur. Navré.

 - Bon. Mais sans doute que tu as une organisation ? Que fais-tu durant le jour ?

 - Hum... Je me lève tôt le matin, en général, pour regarder le soleil. Ensuite, j'aime bien écouter les oiseaux et regarder les arbres. Et puis...

 - Attends ! attends ! Pas si vite, je note !

 - Euh...d'accord. Et puis, eh bien, je bois du thé, et je joue un peu de mon instrument, je ne sais pas comment il s'appelle.

 - Tu ne sais même pas comment ton instrument s'appelle ? Ah, c'est bien ma veine !

 - Désolé, monsieur.

 - Et ensuite ? ensuite ?

 - Euh... Je lis un peu ou j'écris. Et puis nous prenons le dîner.

 - Et l'après-midi ? et l'après-midi ?

 - Euh... Souvent je fais une sieste, et puis je peins. Je joue un peu dans le jardin.

 - Tu joues à quoi ?

 - Je ne sais pas, euh... à courir, avec le chien.

 - D'accord, un chien. Et ensuite ?

 - Je ne sais pas trop monsieur. Je prends un fruit, je dessine, nous prenons le souper... Je regarde le soleil couchant, et puis je me couche.

 - D'accord, j'ai tout noté, merci ! Je t'en dirai des nouvelles ! Je repasserai te voir, gam...euh, mon garçon. Merci beaucoup, euh...infiniment !

 Il fit un signe de la main et partit. Il songea : « bon, il est trop tard pour regarder le soleil couchant, alors je ferai ça demain ». En attendant, il fit le tour des villages alentour, y cherchant un ocarina, des feuilles, du matériel à dessiner, et un chien. Ce ne fut pas facile, mais au coucher du soleil il avait tout trouvé. Il soupa simplement, et, après avoir demandé à un ami matinal de le réveiller à l'aurore, se coucha.

                                               

 Le lendemain matin, aux aurores, notre apprenti artiste fut réveillé par son ami, comme convenu. Il marmonna en entrouvant les yeux :

 - Hmm... Ah... Bon sang, quelle idée j'ai eue !

 Mais il lui semblait que son projet était véritablement important, alors il fit l'effort de se lever et se traîner jusqu'à sa cuisine, où il s'apprêtait à se faire un café, avant de se raviser.

 - Attends une minute, un gamin ça boit pas du café.

 Il se le confirma en consultant l'ordre du jour qu'il avait solennellement affiché sur un mur. « Voyons voir... Du thé ! Ah, bon sang, de si bonne heure, mais quelle idée... » De mauvaise volonté, il prit un sachet et le trempa dans une tasse d'eau chaude. Il le regarda infuser l'eau comme on regarderait quelqu'un déchirer son livre préféré. Puis il se força à en avaler le contenu, en grimaçant.

 - Pouah ! ...Il faut souffrir pour être barde. Bon, voyons la suite... Ah! mince, je me suis trompé, je devais d'abord regarder le soleil, puis les oiseaux et écouter les arbres. Non attends c'est l'inverse...

 Il se dirigea vers la fenêtre de sa chambre et regarda un peu le soleil. Très vite, il en eut mal aux yeux. « Fichtre, c'est bien ma veine d'avoir les yeux bleus ! » Comme du reste le soleil était bien levé, il entreprit de passer à la suite et d'écouter les oiseaux. Malheureusement, il n'y avait pas d'oiseaux qui chantaient. Il sortit de chez lui à leur recherche. Il agitait les bras en leur criant :

 - Ohééé ! Les oiseaux ! Vous venez ? Chantez s'il vous plaît, je vous donnerai des pi...euh, des miettes de pain ! Youhouu !

 Il resta bredouille. Mais il lui restait à regarder les arbres. Il s'arrêta donc et resta immobile quelque temps, les yeux sur la forêt. Mais il ne se passait rien, aucun pouvoir magique ne lui venait, ce qui le surprit beaucoup. Il se dit qu'il devait regarder un seul arbre, ce serait plus facile. Il se plaça aux pieds du plus proche, leva les yeux, et resta immobile une demi-heure. À l'issue de celle-ci, il conclut :

 - C'est vraiment une activité à la con.

 De dépit, il retourna chez lui relire le programme. Il devait jouer de la musique. Il prit son ocarina, le plaça sur sa bouche, puis s'aperçut qu'il ne savait pas en jouer. Il réfléchit, se dit qu'il fallait souffler dedans, et le fit, mais ça ne produit qu'un son moche et pas musical. Il réessaya en bouchant des trous mais les sons discordaient, c'était n'importe quoi. « Ben mince, pourquoi ça ne marche pas ? » Il eut faim, et prit son dîner, avant de s'autoriser une sieste, qui après tout faisait partie du programme.

 - Ça au moins, ça va.

 Une fois réveillé, il prit une feuille et essaya de dessiner des arbres. Mais en fait il ne savait décidément pas dessiner. Tout cela le déroutait fortement, il ne savait pas quoi penser.

 - Bon, je vais d'abord faire la suite, voyons... Courir dans le jardin avec un chien.

 Heureusement, il avait pensé à adopter un chien. Il l'appela donc à sa niche et l'invita à courir avec lui. Cela étant, il ne voyait pas très bien courir où et comment. Il fonça en ligne droite, puis s'arrêta et courut vers la droite. Mais il dut se faire à l'évidence, c'était complètement débile. Et puis, il ne voyait pas ce que tout cela avait à voir avec l'art.

 - Si ça se trouve, il m'a entourloupé, ce petit crétin.

 Il tenta bien à nouveau de dessiner, mais c'était vraiment peine perdue. Finalement, il abandonna, et dut admettre que la vie de troubadour n'était pas faite pour lui. À la place, il se remit aux travaux des champs, ce pour quoi il se débrouillait tout à fait. Le temps passa, et il vécut en fin de compte heureux et satisfait.

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