- Où étais-tu ? J'ai cherché à te joindre toute la semaine ! J'ai besoin de tes dernières planches, tu les as finies ou pas ?

 Elle bredouille quelques mots en réponses et promets de les lui envoyer au plus vite.

 Où elle était, c'est une bonne question. La réponse courte est très simple. Elle était en quête d'inspiration. Elle était toute ses journées à vaquer parmi les parcs, à traîner autour de chez elle, à faire les cent pas dans sa chambre. À tenir la plume à la main, l'autre sur le papier. Ou le crayon, ou le pinceau, ou le stylet.

 Mais la réalité est plus ambigüe. C'est le propre de la recherche de l'inspiration. On se promène, en se disant qu'on cherche l'inspiration. Ou l'inverse. Pour être touchée par la Muse, il faut ne pas y penser, se concentrer sur l'extérieur. Du coup on se concentre, et finalement on se concentre sur le travail. Ou bien on abandonne tout, on se laisse aller, on flemmarde - et là encore, on se sent coupable. Et c'est comme s'il n'y avait aucun antidote. Comme si l'inspiration était un mythe.

 Ruminant de telles pensées, elle s'asseoit sur un banc, un peu hagarde, son matériel à la main. C'est sans doute d'avoir l'esprit si embrouillé qui l'empêche d'abord de remarquer la présence de cette personne, qui pourtant lui tapote franchement l'épaule - la secoue presque. Il lui faut quelques secondes avant de reconnaître son amie. Comme elle lui demande ce qu'elle fait là et pourquoi elle a l'air si fatiguée, elle essaie tant bien que mal d'expliquer sa situation. Son amie réfléchit, les yeux en l'air. Puis un sourire éclaire son visage.

 - En gros, tu cherches les cieux, les princesses, les dragons et les héros ? Tu cherches l'envers du décor, la magie cachée ?

 - Euh... C'est une drôle de façon de présenter mon métier... Mais pourquoi pas.

 - Eh! bien, viens chez moi ce soir, disons dans une heure, j'ai trouvé tout ça, je te montrerai.

 Et l'amie s'en va.

 Elle reste sur son banc, un peu déroutée. Elle ne voit pas bien où elle veut en venir. Elle réfléchit à ce qu'elle lui a dit. Est-ce vraiment la magie qu'elle cherche ? Les dragons, les fées ? Quelque part, chercher l'inspiration, ça ne veut rien dire, on cherche quelque chose à représenter. L'inspiration, ça ne se représente pas. Ca n'est rien du tout ; c'est peut-être rien d'autre qu'un prétexte, au fond.

 Est-ce que là, tout de suite, elle peut trouver, elle peut inventer, ce qu'il y a que les yeux ne peuvent voir ? Elle se concentre, elle plisse les yeux en regardant autour d'elle, elle contemple les feuilles, les nuages... Non, bien sûr, ça ne marche pas comme ça, ça n'a jamais marché comme ça... Elle soupire.

 Le temps passe, il est temps d'aller chez son amie. Elle s'y rend et sonne à la porte. Son amie lui ouvre avec un sourire, un chocolat chaud et une jolie robe, qui la fait ressembler à une lutine. Le chocolat fume avec sérénité. À son agréable surprise, elle lui tend la tasse. Elle la prend et love ses mains contre la douce chaleur. Un air celtique flotte, elle ne sait depuis quelle direction, il emplit tout l'appartement. Elle a l'impression d'être dans une hutte de hobbit.

 Elle se souvient que son amie lui a parlé de magie, qu'elle avait trouvé la clef et voulait lui montrer. Elle lui demande. Celle-ci rit et la guide dans le couloir, jusqu'à une porte qu'elle ouvre. Dedans, un miroir et un lavabo, et une baignoire assez vintage, agréable à regarder. L'eau y est en train de couler. De l'eau bien chaude, manifestement ; elle fume comme le chocolat.

 Pendant qu'elle reste à contempler, la porte se referme brusquement. Elle s'y précipite en criant :

 - Hey ! Tu ne m'as pas répondu !

 - Dans la baignoire, se contente de lui dire son amie.

 Elle referme la porte, regarde un peu la baignoire. Il n'y a rien de spécial. Comme elle est suffisamment remplie, elle referme le robinet.

 Tout en buvant du chocolat, elle se dit qu'un peu de repos ne lui ferait pas de mal, après tout. Elle se déshabille et trempe timidement un pied. L'eau est brûlante. Mais elle finit par s'y habituer, et bientôt est dans le bain. Elle a fini de s'interroger, elle se laisse seulement aller. L'eau lui rentre par tous les pores, la fumée l'enveloppe comme un manteau, elle se fond dans l'eau.

 Après un long moment de silence, elle finit par ressentir quelque chose. Ca vient du fond de la baignoire. Quelque chose lui châtouille les doigts. C'est rond, comme une perle. Elle regarde mais ne voit rien. Après quelques minutes, à nouveau, elle perçoit quelque chose. Cette fois-ci, ce sont des reflets multicolores qui s'offrent à ses yeux, comme un arc-en-ciel. Elle cherche la source de lumière qui fait cet effet autour d'elle, mais ne trouve rien. C'est comme si ça scintillait spontanément depuis la baignoire. Elle tend la main pour essayer de trouver quelque chose, mais l'éclat se dissipe.

 De tels mystères se poursuivent continuellement, et lui échappent chaque fois qu'elle veut les saisir. Finalement, elle décide de les laisser aller et venir, sans les déranger, et alors ils suivent leur libre cours et emplissent la pièce, son corps et son coeur de magie.

 Elle entend brusquement des coups à la porte, et la voix de son amie :

 - Alors ? Comment tu te sens ?

 - Chut...