M'as-tu-vu ?
Tous les hommes de passage, les forts, les vrais et les autres, me dévisagent et me pointent du doigt d'une impolitesse que je tolère à chaque fois ; ils paressent autour de mon prétoire duquel je les impressionne, les écrase, tantôt d'une ombre opportune et tantôt de reflets brûlants. Ils s'approchent et s'éloignent, jamais trop loin, jamais trop près, car je suis l'évidence : j'en impose, dressé sur ma monture aux sabots véloces de qui je domine — force contre force — les élans furieux. Échos de férocité dont seule une bête n'ayant pas tout à fait oublié qu'elle fut un jour libre, peut hennir, trahie. Vain rejet de la selle et du mors ; aucune de ses ruades ne freinera mon audace, mon esprit aventureux, car je suis de ceux que seuls les hommes peuvent fabriquer. N'en déplaisent à tous les ventres du monde : vous m'êtes étrangers. À l'image de ces hybrides, mi-hommes mi-dégonflés, poltrons et froussards qui, d'habitude, se dissimulent à mon regard de juge.
Ces originaux inqualifiables, les mêmes qui me maudissent en tapinois, repousseraient-ils à présent leurs embarras afin de jouer, au grand jour, les virils avec moi ? Fermement, ils éliment ma nuque par le feu d'une lacération grâce à laquelle ils m'imaginent trembler, dégringoler de ma base, de ma stature. Que tirent les ébauchés... Qu'ils tirent sur la corde à s'en rompre les bras et les jambes. Mon assise est entretenue depuis des âges : mon socle est induré.
Je ne crains pas les flammes incertaines de leur emportement soudain, qui vient dévorer à grande faim le vert-de-gris de ma peau. J'en changerai s'il le faut ; je suis de ceux que seuls les hommes peuvent fabriquer et ils le font toujours. Sans relâche, têtes de bronze, têtes de chaire, toutes se roulent dans la poussière — goûtant leur propre ruine : comme tant d'autres avant moi, je leur survivrai.
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