Séraphine - Le testament

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Séraphine rentra avec ses grands-parents à Paris quelques jours après l'enterrement d'Oma. Sa vie poursuivit son cours ainsi, insipide, pendant un certain temps. Elle se rendait au lycée pour le dernier mois avant le bac, mais elle se sentait peu concernée par les épreuves, comme un fantôme passant au travers des murs. Et personne ne s’intéressait vraiment à elle. Il faut dire que la situation du lycée, en plein cœur des beaux quartiers de la capitale, n’avait pas simplifié la tâche de Séraphine pour s’intégrer. Les jeunes gens qui fréquentaient l’établissement avaient souvent tendance à la toiser, et elle refusait de lutter contre les a priori ridicules à l’encontre de l’orpheline qu’elle était. Elle se démarqua donc pour s’affirmer autrement, s’habillant souvent en noir, refusant le maquillage, rejetant les vêtements onéreux dont s’affublaient les autres lycéens. Et les autres élèves, qui ne correspondaient pas forcément à cette catégorie prétentieuse et superficielle, préféraient malgré tout ne pas trop fréquenter cette paria… Séraphine était donc bien souvent seule et n’avait pas vraiment de proche à qui confier son chagrin. Sa seule amie avait déménagé l’an passé et elle ne l’avait revue qu’une seule fois depuis son départ.

Les examens eurent lieu, puis l’attente des résultats sans que Séraphine ne témoigne d’un quelconque intérêt. Ses grands-parents lui demandèrent de consulter un médecin afin de vérifier si elle ne traversait pas une dépression qui serait la cause de cette apathie.

« Une petite déprime passagère », diagnostiqua le docteur.

En réalité, le décès d’Oma l’avait anéantie bien plus qu’elle ne voulait l’admettre. Séraphine avait toujours ses deux tuteurs qui se montraient prévenants à son égard, mais elle se sentait vide et malheureuse.

Au bout d’un mois environ, la jeune fille reçut un courrier, envoyé par un certain maître Gamblin, notaire dans la petite ville près de Quercus. Elle était convoquée la semaine suivante pour assister à la lecture du testament d’Oma. Elle devait hériter à sa majorité, c’est-à-dire trois mois plus tard, du domaine familial, mais cela la laissait indifférente. Elle aimait la vieille demeure, cette odeur un peu piquante des boiseries anciennes, cette désuétude des tentures et des tissus… elle y éprouvait une vague nostalgie des siècles passés. Mais le souvenir d’Oma vivait dans chaque recoin du château et Séraphine craignait de ne pas pouvoir le supporter.

Pourtant, accompagnée de Grand-papa, elle se rendit à l’étude de Maître Gamblin et écouta la lecture du testament d’Oma. Adélaïde Plessis-Saint André, le vrai nom d’Oma, avait légué toute sa fortune à son unique héritière. Cependant, une clause particulière avait été ajoutée à cette succession sans surprise : si Séraphine venait à disparaître d’une manière ou d’une autre, le château ne pourrait appartenir à personne d’autre pendant un délai de cent cinquante ans et Maître Gamblin, ainsi que les successeurs de son étude, devraient, le cas échéant, déléguer la responsabilité de l’entretien du domaine à un gérant provisoire.

- Pourquoi cent cinquante ans ? Qu’est-ce que cela signifie ? Dans cent cinquante ans, je ne serai plus là, j’aurais rejoint Oma et mes parents dans le tombeau, alors qu’est-ce que ça veut dire ? Et puis, pourquoi il est question de ma disparition ? Je ne vais pas me suicider !!! Je n’envisage pas de disparaître… Qu’est-ce que c’est que cette clause ?, demanda Séraphine, furieuse.

Grand-papa poussa un léger soupir de soulagement que Séraphine entendit.

- Mais non, Grand-papa, je suis malheureuse, je ne sais pas ce que sera ma vie, mais je ne suis absolument pas suicidaire et je n’ai jamais rien dit qui aille dans ce sens, fit remarquer la jeune fille. Oma a inventé cette histoire de disparition, je t’assure que je ne lui ai pas parlé de mourir !!! N’importe quoi !!! Maître, Oma a-t-elle donné des explications sur cette clause ? Avez-vous l’habitude de ce genre de requête ?

- Non. J’ai été très surpris quand votre grand-mère a insisté pour écrire un testament, alors que la succession était extrêmement simple, vu que vous êtes son unique héritière et qu’elle vous avait déjà fait don d’une bonne partie de ses biens de son vivant. Quand j’ai connu la teneur de la clause, j’ai réclamé des explications mais elle m’a répliqué assez sèchement, ce qui n’était pas dans ses habitudes, qu’elle savait très bien ce qu’elle faisait et que rien ne l’obligeait à se justifier. Elle a ajouté que sa petite fille comprendrait ce qu’elle avait voulu dire. J’avoue que j’espérais que vous me donneriez quelques informations, que vous sauriez à quoi correspond ce délai invraisemblable, mais vu votre réaction, il me semble que vous n’en savez pas plus que moi.

- Non, en effet, j’ignore ce que cela signifie, répondit-elle.

Grand-papa, malgré sa réserve, ne put s’empêcher de faire un commentaire déplaisant :

-De toute façon, elle n’a jamais été très normale…

Séraphine tonna :

- Grand-papa, je t’interdis ! Oma doit avoir une bonne raison d’avoir ajouté cette clause. On comprendra un jour, j’en suis sûre ! Arrête ces sous-entendus ! C’est indigne de toi…

Grand-papa, penaud, s’excusa.

Le notaire avait terminé de lire le document. Il chercha dans le lourd dossier bleu sur lequel était inscrit « succession Plessis-Saint André » et en sortit deux enveloppes au papier jauni. Il en tendit une à Séraphine et l’autre à Grand-papa, surpris d’être concerné. Le notaire attendait qu’ils ouvrent ces courriers scellés, peut-être pour mieux comprendre les fantaisies testamentaires d’Oma. Grand-papa ouvrit sa lettre le premier. Il ouvrit de grands yeux ébahis et déposa la lettre ouverte sur le bureau afin que Séraphine en prît connaissance. Voici le message qu’elle put y lire :

« Il est fort probable que, dans quelques temps, Séraphine disparaisse de votre vie. Ne vous inquiétez pas, ne la recherchez pas, vous ne la trouverez jamais. Profitez des derniers instants que vous passez près d’elle : l’heure du retour est proche… »

Séraphine se défendit à nouveau :

- Mais qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Je t’assure, Grand-papa, je ne compte pas m’enfuir… Je ne vais pas disparaître !!! C’est insensé…

Grand-papa ne répondit pas et tendit silencieusement son menton vers le courrier destiné à sa petite fille. Séraphine regarda la lettre d’Oma entre ses mains. En palpant l’enveloppe, elle avait senti qu’elle contenait un petit objet dur et irrégulier.

Au signe de curiosité de son grand-père, elle déchira fébrilement l’enveloppe. Une sorte de broche sans attache tomba dans sa paume. L’objet avait la forme d’un blason. Il était divisé en quatre parties disposées en damier : deux parties dorées et les deux autres couvertes de pierres vertes lisses et opaques, soigneusement taillées. Il tenait dans la paume de Séraphine, elle pouvait presque refermer ses doigts sur le bijou.

Grand-papa se pencha vers Séraphine :

- Tu crois que ce sont des émeraudes ?, demanda-t-il.

Séraphine lui tendit l’objet pour qu’il l’observe plus attentivement pendant qu’elle ouvrait la lettre que l’enveloppe contenait encore. Elle déplia le courrier…

Elle fut stupéfaite. Le message d’Oma était le suivant :

« Ma petite Raphi adorée,

Je ne peux pas t’éclairer davantage sur ce qui t’attend. Je souhaite simplement que tu ailles vivre au domaine dès ta majorité. Souviens-toi de mon Préféré et libère-les… Les Réfractaires attendent. C’est ce que j’aurais dû faire, mais je n’ai jamais pu à cause du portail d’Exil… et de toi, surtout. Va achever ma tâche et dis-lui que je l’ai toujours aimé malgré l’Oubli.

Bon courage, ma toute belle,

Ta grand-mère qui t’aime. »

Séraphine relut à plusieurs reprises le message trop court de sa grand-mère et le passa à Grand-papa qui haussa les épaules en levant les yeux au ciel. Maître Gamblin semblait trépigner d’impatience. Séraphine ne lui remit pas la lettre, mais lui expliqua qu’Oma ne donnait aucune information supplémentaire. Au contraire, elle brouillait les pistes. Qu’est-ce que c’était que ces Réfractaires dont Oma parlait ? Et l’Oubli, avec une majuscule ? C’était incompréhensible…

L’entretien était terminé. Séraphine se posait des tonnes de questions sur ses découvertes, mais personne ne pouvait lui donner de réponses. Elle salua donc Maître Gamblin, qui lui promit son soutien si elle venait effectivement s’installer au château et quitta l’étude en s’interrogeant sur son installation future dans le domaine familial. Car la jeune fille était sûre d’une chose à présent : elle irait vivre dans cette demeure puisque, malgré son chagrin, c’était le seul endroit de ce monde où elle se sentait vraiment chez elle…

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