Nils - Rapprochements et aveux

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Après la splendide cathédrale de verre, cristal gigantesque posé sur un escarpement, qui parvint à laisser Antonella sans voix, Nils voulut lui montrer le quartier des tanneurs, où les peaux étaient exposées sur les étals des multiples échoppes. L’odeur chimique des traitements leur piqua violemment la gorge, mais le garçon était très fier de cette partie de la ville. C’était la preuve de la prospérité de Valdemar, son commerce le plus florissant. Les petites rues étaient bruyantes, chaleureuses, étouffantes même, malgré les petits nuages de buée qui s’échappaient de leur bouche à chaque respiration.

Nils, couvert de son grand manteau noir, long jusqu’aux genoux, ne craignait pas le froid. Mais Antonella, dont la petite veste de velours était un peu légère, eut très vite besoin d’un manteau de fourrure pour se réchauffer. Nils interpela un marchand et lui demanda d’adresser la note au palais. L’homme acquiesça en faisant une courbette devant le jeune prince qui détourna le regard. Antonella sembla étonnée. En poursuivant leur promenade, Nils se sentit obligé de se justifier :

- Vous avez paru surprise… D’après vous, je n’ai pas bien agi. Je l’ai bien vu : vous désapprouviez…

- J’avoue que j’ai été surprise. Je suis désolée, je ne devrais pas me permettre cette remarque, mais puisque vous le demandez… Je m’en moque, cela dit. Mais en général, on fait un peu semblant avec les petites gens, non ? On leur fait croire qu’ils valent quelque chose…

- Antonella, pour moi, ces gens valent quelque chose…, répondit-il doucement.

- Oui, bien sûr ! Ce n’est pas ce que je voulais dire…

- A mon sens, c’est moi qui ne mérite pas ces marques de déférence. Pourquoi cet homme me fait-il toutes ces courbettes ? Qu’ai-je fait pour mériter ces honneurs ?

- Enfin, Nils ! Vous êtes prince !

- Mon père est roi, il a délivré les Duchés, mais qu’ai-je fait, moi, pour qu’on me traite ainsi ?

- Mais vous serez roi, un jour, et vous ne pouvez pas vous poser ce genre de questions. Votre pouvoir serait remis en cause, si vous n’y croyiez pas vous-même.

- Je sais bien… Je n’aurais pas dû vous parler de cela. Désolé !

- Ce n’est rien…

Antonella détourna la tête et poursuivit son chemin. Elle semblait contrariée, malgré le sourire affiché sur sa bouche. Ses yeux, eux, n’affichaient aucun enthousiasme. Nils choisit de continuer la promenade comme si cette discussion n’avait pas eu lieu. Mais le froid eut raison de la jeune fille qui demanda à rentrer peu après. Les deux jeunes gens et leur escorte reprirent donc le chemin du palais, en continuant à bavarder.

Nils proposa à Antonella de lui faire goûter une spécialité de la région, une tisane à base de plantes, de racines et de baies qu’on fait mariner durant une semaine et qu’on chauffe au feu de bois, dans un caquelon. Les saveurs se mêlent et réchauffent le corps autant que l’âme, après une promenade si glaciale.

Une fois arrivés à destination, Nils conduisit Antonella dans un petit salon couvert de tapisseries. A gauche de la porte, un âtre énorme habillait tout le mur. Des bûches grosses comme des troncs d’arbre se consumaient dans une flambée d’enfer. La pièce n’était éclairée que par les flammes dansantes et quelques rayons de lumière qui s’échappaient de trois petites ouvertures aux vitraux colorés, en hauteur. Une bibliothèque à droite, et deux grands sofas, couverts de peaux, meublaient la petite pièce.

- C’est tout petit, ici !, s’exclama la jeune fille.

- C’est le salon que je préfère. Je m’y sens bien… Cela vous conviendra-t-il ? Je me suis dit que vous aviez besoin d’un bon feu de cheminée, et…

- C’est parfait !

Antonella prit place sur l’un des sofas et Nils s’assit sur l’autre. Les deux jeunes gens eurent un moment de gêne silencieuse. On leur apporta vite un plateau chargé de deux grandes tasses de slavka, la fameuse tisane et une assiette de petits biscuits sablés à la cannelle.

Antonella prit une tasse entre ses deux mains pour se réchauffer les doigts et souffla pour refroidir un peu le liquide brûlant. Le feu crépitait dans l’âtre. Nils se sentit soudain intimidé.

Antonella reposa la tasse sur le plateau :

- C’est trop chaud pour l’instant…

Et elle se leva pour s’approcher de la cheminée. Nils la suivit des yeux et fixa sa silhouette qui se découpait devant la lueur de la flambée. Malgré son horrible pantalon, elle était belle et gracieuse. Ses longs cheveux bouclaient sur son dos et ses mains se tendaient vers le feu. Nils éprouva un pincement au cœur en pensant qu’elle allait bientôt repartir dans son palais sous le soleil.

Antonella se retourna vers lui et s’approcha du sofa où le garçon était assis. Elle prit place juste à côté de lui.

- J’ai passé un excellent moment, Nils. Merci pour tout.

- Moi aussi.

- Je sais que je devrais respecter l’étiquette et vous appeler « Prince », ou « Votre Majesté », mais j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose que je ne m’explique pas. Et… Oh ! Je ne devrais pas dire tout cela… Mon père me dit toujours que je parle sans réfléchir…

Nils lui prit la main :

- Non, je vous en prie… N’ayez pas peur de dire ce que vous pensez ! Mais, n’allez pas croire que… Enfin…

- Nils, je crois que je vous dois la vérité. Nous avons passé des moments si agréables ensemble. Même si j’essaie de cacher mes sentiments, je me sens… très… Je suis attirée… Oh ! Comme je suis maladroite ! Vous allez me prendre pour une sotte.

Elle se cacha le visage dans ses deux mains. Nils attrapa ses avant-bras et l’incita à le regarder. Ses yeux fuyaient. Malgré son trouble, il osa poser ses doigts sur la joue de la jeune fille.

- Pas du tout, vous n’êtes pas sotte, voyons ! Vous êtes une jeune femme charmante et je ne suis pas insensible…

- Etes-vous en train de me dire que vous partagez mes sentiments ? Nils, vraiment ?

- Eh bien… Non, mais… Oui, enfin…

Nils était stupéfait par la tournure que prenait cette discussion. Des sentiments ? Avait-il des sentiments ?... Il appréciait réellement la jeune fille et se sentait ému par sa présence, par la douceur de sa voix, par son sourire et son enthousiasme, mais il n’était pas certain d’éprouver les sentiments amoureux qu’elle semblait lui attribuer. Et il ne s’attendait pas à ce qu’elle, si jolie, si vive, puisse ressentir quelque chose pour lui et surtout qu’elle l’avoue ainsi. Il restait sans voix. Quelle étrange situation !

Pourtant, son cœur fit un bond dans sa poitrine. Un peu embarrassé, il lui prit les mains et les pressa maladroitement. Elle les retira précipitamment.

- Désolée ! Je parle encore sans réfléchir. Vous êtes prince et vous allez croire que je suis intéressée par votre statut. J’ai honte de ma témérité… Je vais rentrer dans mes appartements, je suis… Pardon !

Elle se leva et courut vers la porte. Nils, un peu surpris par tout ce qui venait de se passer, n’eut pas le réflexe de la suivre. Il resta un instant ébahi sur son canapé avant de se lever pour la rattraper. Mais Antonella était déjà au bout du couloir quand il franchit la porte à son tour.

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