L'écho d'une absence

7 minutes de lecture

_ Mademoiselle Bennet, seriez-vous disposée à lire votre rédaction à haute voix, s'il vous plaît ? demanda le professeur avec un calme assuré. Je pense que votre travail pourrait être exemplaire pour certains et éclairant pour d'autres quant à la tâche demandée.

_ Ouais, d'accord, professeur, répondit Hailey, sa voix portant un mélange d'appréhension et d'assurance.

Elle entends ton écho, déformé par une sarcastique ironie, surgir de derrière elle. Se retournant, je surprenais Amanda, ma camarade de classe, qui me lançait un regard incrédule.

_ Retourne te faire pédiquer par un ours ! rétorqua Hailey.

Le professeur, fronçant les sourcils, se tourna vers la source de l'éclat.

_ Il n'y aura pas d'insolence dans ma classe, Mademoiselle, trancha-t-il d'un ton qui ne souffrait aucune réplique.

Amanda s'exclama d'une voix indignée, mais point trop agacée : "Mais, professeur !

_ Pff, 'Mais, professeur' ! singea Hailey, laissant transparaître sa moquerie avant de se mordre la lèvre, consciente qu'elle était peut-être allée trop loin.

_ Un mot de plus et vous passerez deux heures en retenue ce samedi. Maintenant, Mademoiselle Bennet, veuillez poursuivre.

_ D'accord, on continue, dit-elle, inspirant profondément dans l'espoir de se libérer de la nervosité de l'incident précédent :

“ Alice Parfaitement-Hypocrite est une jolie jeune fille de seize pâquerettes. Une chevelure blonde, parfaitement bouclée aussi noire que la nuit et brillante comme une nuée d'étoiles, des yeux hypnotiques couleur émeraude, un sourire aux dents parfaitement blanches et alignées, entourées par des lèvres naturellement pulpeuses et sans aucun doute sucrées qu'on aimerait embrasser. Alice est populaire, d'une douceur sans nom, elle n'hésite pas à aider son prochain comme sa parfaite famille, composée d'un papa, commandant en chef de la première brigade des PPP (Pères Pompiers Parfaits), d'une maman directrice et professeur en maternelle, cinq fois distinguée du prix "meilleure femme de la ville" pour avoir sauvé par trois fois les petits canards du lac Plouf, et de trois frères et sœurs lui a appris. Elle jouit d'une chance sans bornes. Hier encore, la brune s'est vu remettre un prix (un voyage à Miami, frais tout compris, plus un chèque de 100.000 $) pour un jeu en ligne auquel elle ne se souvient pas avoir participé. Alice a tout de la jeune fille idéale et tout le monde le sait. Son petit ami, Jean Guy, est une réplique physique parfaite de Will Smith. Beau, athlétique, couleur "chocolat au lait" : ni trop foncé ni trop clair. Côté personnalité, c'est un idiot fini.

Alice est tellement chanceuse que, quand elle est sortie aujourd'hui, la pluie s'est arrêtée juste pour elle. Comprenez par là que le déluge inonde les pauvres gens qui s'empressent de se mettre à l'abri, bravant le vent violent qui les pousse bien malgré eux. La jeune fille est fière du petit ciel bleu au-dessus de tête, et du soleil qui poursuit Paf, son magnifique caniche nain qui n'aboie jamais. Paf et elle sont fusionnels et se comprennent au premier coup de queue. Là, par exemple, il lui exprime son besoin imminent de se soulager d'un petit balaiement à droite. Paf pour Pierre, l'aîné, Alice et François. Les trois premiers enfants robotisés de Monsieur et Madame Jean-Yves Parfaitement-Hypocrite. Alice porte de magnifiques collants "rose crème bonbon caramel", couleur beige clair légèrement opaque pour le commun des mortels ainsi que des petites bottines noires, au talon fort peu élevé. Sa chemise à rayures verticales noires et blanches est mise en valeur par une petite cravate noire et un short tellement moulant qu'on l'imagine intégré au corps. Ses cheveux toujours parfaitement bouclés qui se soulèvent délicatement au bon vouloir du vent sont détachés, simplement retenus par un serre-tête. D'un autre mouvement de queue, Paf lui indique qu'il s'en va courir après cet écureuil roux mais petit comme il est, fini emporté dans la bouche d'égout alors qu'il tentait de rendre les quelques glands que Tic vient de faire tomber. Alors qu'Alice essaie de le récupérer, elle se retrouve emportée dans un tourbillon d'eau sale remplie de divers déchets, qui, dans sa parfaite représentation, ne la touche pas et forme une sorte de bulle de poussière d'eau tout autour d'elle. Émerveillée par cette poussière d'eau (qui n'est en réalité que de petites gouttes propres d'une transparence sans nom), elle ne se rend pas compte de l'endroit où elle tombe.

En voulant récupérer Paf, Alice tombe sur son orteil qui se brise. Elle ne s'en rend pas compte, trop préoccupée par la perte de son chien. Une légère douleur (énorme pour le commun des mortels) la transperce et c'est en boitant un peu qu'elle parcourt le chemin étroit et accidenté. Alice prise d'inspiration et les cheveux noueux pour la première fois de sa vie, se met à chanter le son de pocahontas. Elle qui, d'origine, a une magnifique voix, ne se rend pas compte de la tournure des évènements à venir. Moktar le Corbeau relou, moqueur et sujet à la diarrhée s'oublie dès les premières notes d'Alice qui trouve ça fantastique, elle qui ne connaissait pas les joies d'avoir un déchet dégoulinant d'animal sur l'épaule. La brunette nouvellement dégueulasse (la poussière d'eau ne la protège plus. Par conséquent, Alice est éclaboussée quand sa bulle protectrice éclate au moment où elle s'expose le gros orteil) cherche l'arbre Nana, arrière-grand-mère de pocahontas. Après 30 heures de marche, fatiguée mais toujours joviale parce qu'en compagnie de Moktar et Paf, se retrouve à la plus grande intersection du monde. Vingt mille choix s'offrent à elle et Moktar lui explique qu'elle a trente secondes pour choisir la voix qui illuminera sa vie. Alice opte pour la voie vingt mille moins cinq et les autres disparaissent comme par magie. Alice, qui a bien été éduquée, attend sagement que le feu passe au rouge pour traverser. Moktar décide de s'amuser et lui explique que dans son monde, le rouge est vert et le vert est violet. Elle n'est pas sûre de comprendre mais acquiesce gentiment et se décide à traverser sur le passage piéton avec Paf, après avoir vérifié qu'aucune voiture n'était en vue. Fort heureusement pour elle, Paf se jette sur le chemin pour la protéger du camsanglier. Une espèce mêlant camion et sanglier. Moktar qui ne peut s'empêcher de hurler de rire, plié, hurle cette phrase triste : "Et Paf le chien ! " Alice ne comprend toujours pas, elle est aussi idiote que son n'amoureux à qui elle n'a pas pu téléphoner, lui sourie et acquiesce qu'en effet, son chien s'appelle Paf. La jeune femme dont le pied a quadruplé de volume au point de littéralement exploser sa ballerine rose à point orange (dans cette ville, les jolies couleurs deviennent horribles). Soudainement accostée par le SDF du coin qui lui explique qu'elle doit se convertir à l'islam sous peine d'être maudite à jamais, Alice lui propose une brosse à dents pour se soulager de l'odeur putride qui sort de sa bouche. Alice a toujours chaque outil en affaire de secours dans son sac qui s'est malencontreusement déchiré. Elle n'a pu sauver que cette brosse à dents qu'il prend pour la gifler. Alice ne comprend pas ce qui lui arrive. Légèrement stone après dix chutes dans des passages qui n'en étaient pas, la rencontre désastreuse avec les sœurs PilouPiloute qui, en manque de vêtements l'on racketter, l'obligeant à continuer en chaussette et sous vêtement, les cheveux broussailleux et puants, elle se décide à s'asseoir sur un banc en pierre.

Un an plus tard et après avoir extrêmement bien profité de ce pays maudit, la jeune Alice s'apprête à rentrer chez elle. Terminé le pseudo de DétritusGirl qui lui colle (littéralement) à la peau. Adios les cheveux couleur argent ternes, enmêlés et leurs touffes manquantes. Le stress, qui, elle s'en est aperçue merci, lui a fait prendre 80kg, ridé sa peau juvénile, coûté son gros orteil qu'elle a du se résoudre à amputer, entre autres choses plus inconvenantes les unes que les autres. Songeant à son retour, elle salive d'avance à l'idée d'une douche chaude censée readoucir sa vielle carcasse. Mais avant tout, il lui faut retrouver les ossements de Paf, son adorable chien tué par un immonde Camsanglier. Elle ne peut s'en aller sans son fidèle compagnon qui, on sait pas pourquoi, s'est réincarné en cailloux. La voici de nouveau au rond point des vingt milles choix après soixante heures de marche. Ouais parce que c'est bien connu, le retour est toujours plus long. Elle hésite entre deux voies. Celle qui la ramènera chez elle aussi neuve qu'elle était avant d'arriver au pays des emmerdes, ou bien celle qui la ramènera juste à la maison, avec les conséquences dues à son départ et la continuité de sa malchance. Bien sûr, elle ne sait rien de ce dilemme. Ses parents, tristes et affreusement inquiets, ont divorcés. Le père, Jacques, fait dorénavant parti des PPP, (Pires pères pompiers). Il sort tous les week-end et ne comprends pas pourquoi sa fifi s'est enfuit mais surtout, pourquoi elle s'est barrée avec Paf, le chien de sa vie. La mère, Yvonne, continue de recevoir des prix. Elle est passée de la meilleure femme de la ville à la meilleure chieuse qu'il faut à tout prix éviter. Une mère sait si son enfant s'est enfuit et Alice n'est pas une fugueuse. C'est encore une connerie de ce putain de Paf. Quel horrible et détestable chien. Elle est devenue STF par obligation, ses élèves de maternelle (Maternelle !) s'étant ligués contre elle pour la virer. Bref. Quand Alice retrouve sa maison, c'est pour y voir ses voisins, les Proutos, la squatter.

Moralité : ne suivez jamais votre chien, corbeau ou chaton si mignon. Sinon vous finirez sur le périphérique nord de votre ville à faire je n'ose décrire quoi. Et évitez la vanne de Paf le chien, merci bien.

Annotations

Vous aimez lire Sara B. ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0