L'ombre du passé

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On dit que le temps est le plus grand des voleurs parce qu'il vole le passé pour toujours. D'abord les détails, ensuite les souvenirs, jusqu'à ce qu'il nous reste que de lointains échos du monde d'avant. (série : Utopia Fall)

27 novembre 2022

les lumières de Londres brillèrent comme une mer d'étoiles, formant l'écrin parfait pour le concert des Érudits. Le groupe fut en osmose sur scène. Les musiciens jouèrent avec une intensité passionnée. Les mélodies envoûtantes remplirent l'air et la foule se laissa transporter en transe. La salle de concert, majestueuse et imposante, baigna dans une pénombre délicate. éclairée uniquement par les lumières scéniques. L'excitation, palpable, électrisa l'atmosphère. Matthew, le chanteur charismatique des Érudits, contint à peine son émotion. Le timbre de sa voix résonnait dans la salle tandis qu'il observa les visages exactiques du public en délire. Les spectateurs chantèrent les paroles avec une ferveur contagieuse. La musique devint un langage universel rassemblant les âmes. Les yeux de Matthew brillèrent d'excitation et de fierté alors qu'il réalisait son rêve.

Perdue dans la mêlée, Hailey sentit son cœur pulser en harmonie avec les battements de la musique. Une vague d'immense joie et de fierté la submergea tandis qu'elle posa son regard admiratif sur les membres du groupe. Elle fut consciente des nombreuses heures de travail et de dévouement nécessaires pour atteindre cette apothéose. Elle ressentit une profonde connexion avec eux, une famille qu'elle avait acquise grâce à Matthew. Elle se sentit honorée de partager ce moment avec lui, d’assister à une nouvelle étape de sa carrière, ayant suivi leur ascension depuis le début. Elle se sentit enveloppée par cette énergie positive. Elle sut que ce concert resterait à jamais gravé dans leurs mémoires.

Pendant ces précieuses heures, Hailey éprouva une sensation d'euphorie. Elle fut à la fois spectatrice et actrice de ce moment incroyable. Elle ressentit une profonde gratitude d'être aux côtés de Matthew sur scène, de partager son bonheur et son succès. Ce concert à Londres symbolisa bien plus que de la simple musique. Ce fut une démonstration de détermination, de persévérance, et de l'amour entre Hailey et Matthew. La musique les avait unis et cette soirée fut une célébration de tout ce qu'ils avaient accompli ensemble.

À la fin du spectacle, l'euphorie domina toujours dans les coulisses. Tous souhaitèrent cristalliser cette soirée en une fête mémorable. Cependant, alors qu'ils s'apprêtaient à quitter la salle, Hailey ententit son téléphone vibrer. Elle l’attrapa et sa joie s'évanouit rapidement lorsqu'elle entendit la voix de son interlocuteur.

— Hailey, c'est Sami… Jules… Il eut un accident de voiture. Il est dans le coma, ajouta-t-il.

La nouvelle tomba comme un couperet. Hailey se pétrifia, son visage passant de l'euphorie à la peine en une fraction de seconde. Les membres du groupe et Matthew remarquèrent son changement d'expression et s'approchèrent inquiets.

— Hailey ? demanda Matthew.

Elle expliqua d'une voix tremblante la situation de Jules et une vague d'inquiétude submergea la pièce. Matthew la prit dans ses bras et la serra doucement pour la réconforter.

— Je suis tellement désolé, ma chérie, murmura-t-il.

Hailey sentit des larmes couler le long de ses joues. La pensée de perdre son ami lui était insupportable. Matthew la rassura.

— Je suis là, Hailey. Tu dois y aller, être avec Jules. Tu nous rejoins dès que tu peux pour les prochaines dates. Ne t'inquiète pas, je comprends. La famille passe avant tout.

Hailey hocha la tête, reconnaissante de l'amour et du soutien de Matthew. Elle savait qu'elle pouvait compter sur lui, sur le groupe, et que leur relation était solide. Même si elle devait s'absenter pour un moment, elle était déterminée à être présente pour Jules. Bien que le groupe continuât de célébrer, Hailey jeta un dernier regard sur la scène encore illuminée. La musique résonna dans ses oreilles, mais son cœur était lourd de préoccupations. Les Érudits avaient marqué un tournant dans sa vie et maintenant, ses pensées se tournaient vers un tout autre tempo, celui de l'incertitude.

Quelques heures plus tard, Hailey se retrouva chez elle à Villebrouch-sur-Mer. Les rues, tranquilles, contrastaient fortement avec l'agitation de Londres. Devant le miroir, elle se tenait déchirée entre l'hésitation et la résolution. Choisir une tenue pour cette réunion fut une pièce de théâtre où chaque vêtement joua son rôle. Un sourire ironique naquit dans son reflet alors qu'elle trouva finalement sa paix dans une robe jaune pastel, simple mais élégante, juste assez pour souligner sa silhouette sans crier son intention. Elle s'accordait à merveille avec ses converses noires, des "high tops" signés d'enfances révolues. Dessus, un mot ressortit : "Forever".

Lorsqu'elle arriva au chalet, en visio avec Matthew, ses boucles brunes la rassurèrent. L'imposante structure en bois, avec ses vastes espaces et ses touches de modernité comme la baie vitrée donnant sur la rivière, évoqua des réminiscences douces-amères. La dépendance transformée en garage exhala toujours le parfum des souvenirs, peut-être plus grisés qu'elle ne l'eût souhaité.

À sa surprise, ses pas résonnèrent sans annonce à travers le hall. Charlie fut la première à remarquer son arrivée. Son accueil, entre froideur et chaleur forcée, la pesa ; la jalousie de Charlie perça son sourire. Comme une danse macabre, Hailey se retrouva propulsée vers l'inconnu.

Sami, le jeune homme à l'odeur sucrée et aux bras autrefois rassurants, lui offrit la même bouffée d'antan.

— Tu me manques, murmura-t-il.

À ces mots, elle s'écarta de lui, les regrets affleurant dans un sourire plus éloquent que des mots.

— Luca...

Sa voix se fractura, un murmure fugace porta son nom. Alors que le monde se suspendit dans une éternité cristalline. Luca fut là, inaltéré par le temps, et leurs regards se croisèrent, se reconnurent, se perdirent dans l'écho silencieux d'un passé révolu. L'intensité bleue de ses yeux demeura inébranlable, un phare dans les brumes de ses regrets. L'auréole de tristesse qui jadis l'enveloppa s'évanouit, laissant place à une clarté nouvelle. Ensemble, ils s'arrêtèrent, face à face après une ère de silence, suspendus entre le désir de révéler et la peur de déterrer ce qui fut enfoui.

D'un pas tremblant, elle franchit la distance, sa main cherchant son échine tandis que sa tête chercha refuge à l'abri de son cou. Il ne la repoussa point, et pourtant, ses bras restèrent impassibles, dérobant l'étreinte qu'elle espérait. Cet homme qu'elle osait encore appeler ami se figea dans une neutralité forcée, tapi sous une tension qui consuma ses entrailles. Parmi les leurs, il dissimula le mieux ses tempêtes internes. Maîtrisé, même au bord de l'éruption.

Enfin, le silence se brisa sous son élan. D'une voix chargée d'une moquerie amère, il décocha :
— Te souvins-tu du banc ? Il devait être aussi instable que nos relations, lança-t-il.

Son rire fut une écorchure sonore, jaillissant malgré lui avant qu'il ne se détachât, t'emportant dans le sillage transperçant de son mépris et de la douleur ressuscitée par ces simples élans. Il enchaîna, mordant :

— L’ironie nous joua de bien vilains tours, tu trouvâs pas ? Tu lui demandas de me transmettre ta putain de lettre pour ne pas avoir à m'affronter. Tu osas. Très classe, j'appréciai l'effort, sache-le.

Ton « Je suis désolée », un susurrement fragile, perça l'air chargé — il l'entendit, choisit de l'ignorer. Je songeais sérieusement à le recadrer, ce petit con. Je n'avais jamais supporté la façon dont il te considérait. À croire que tu lui appartenais.

— Sami s'en voulut pour tout ça et personne ne le détrompa.

Sami qui n'avait jamais rien dit. Tu secouas la tête.

— Ça n'aurait pas marché et tu le savais.

— Non, on ne le saura jamais. À cause de toi.

— J'avais besoin de vous mais je réalisai qu'il avait raison.

La tension entre vous était palpable, un voile de non-dits se tissait, mais les étincelles de compréhension peinaient à jaillir. Malgré vos cœurs lacérés, vous étiez à l'aube d'une réconciliation ou d'une rupture définitive, la suite n'était qu'une question de choix. C'était tellement mystérieux, l'Amour. Tu contemplais un paysage que tu n'aurais pas espéré revoir un jour. Le temps passa et il médita sur tes propos. « Ça n'en finira jamais sauf si quelqu'un part. » Soudain, le visage de Lùca s'éclaircit. Tes gestes maladroits trahirent une démarche hésitante, mais déterminante pour ta survie, qui déclencha chez lui une difficile empathie, sans pardon toutefois.

La journée se termina sur une note étrangement douce, malgré les ombres qui planaient encore, prêtes à enserrer le futur. Mais leur portée tomba en désuétude quand tu te retrouvas sous le regard inquisiteur d'un acteur invisible, le brun ténébreux, machinateur d'un futur incertain qui se délectait de la complexité de l'humain comme d'une partie d'échecs.

Elle se tint devant la porte de l'appartement qu'elle partageait avec Matthew, tentant de rassembler le courage nécessaire pour affronter la situation qui l'attendait. La douleur qui lui nouait l'estomac était incommensurable. Alors qu'elle inséra la clé dans la serrure, une voix familière l'interpella. Lùca se tenait sur le pas de sa porte et la regarda avec des yeux emplis d'inquiétude. Hailey le salua d'un signe de tête et le laissa entrer.

— Comment vas-tu ? Dit-il, la voix chargée d'émotion.

Il lui expliqua que Charlie avait organisé une petite soirée pour remonter le moral d'Emma, la conjointe de Jules. Hailey hocha la tête et le suivit.

La soirée se déroula dans une atmosphère étrange, oscillant entre les éclats de rire et les larmes retenues. Hailey, bien qu'encore sous le choc de la nouvelle de l'accident de Jules, s'efforça de garder un visage stoïque. Elle tenta de participer à la conversation pour ne pas paraître distante. Elle échangea des sourires et des politesses avec les invités, s'efforçant de se montrer aimable malgré l'orage émotionnel qui faisait rage en elle. Elle savait que c'était un moment délicat, que cette soirée visait à réconforter Emma. Elle voulait être là pour elle. La présence d'Amanda, la meilleure amie d'Emma, et de son copain Soren la prit au dépourvu. Elle se demanda pourquoi ils étaient venus, mais n'osa pas poser de questions pour ne pas sembler indiscrète.

Cependant, Charlie et Amanda étaient déterminées à la taquiner, comme si elles ne pouvaient pas s'empêcher de rappeler sans cesse sa relation passée avec Lùca. Charlie, le regard espiègle, lançait des commentaires subtils, tout en gardant un sourire en coin, comme si elle essayait de provoquer une réaction. Amanda, quant à elle, observait la situation de manière attentive, lisant entre les lignes et notant chaque interaction. Chaque allusion à leur histoire passée réveillait des souvenirs douloureux. Malgré la tension sous-jacente, Hailey fit de son mieux pour ne pas laisser ces taquineries l'affecter. Elle était là pour soutenir Emma dans cette période difficile, et elle n'était pas prête à laisser des provocations la détourner de cette mission. Elle se contenta de répondre par des sourires et des répliques légères, préférant ne pas envenimer davantage la situation. Alors que la soirée avançait, Lùca s'approcha discrètement d'Hailey. Il lui parla à voix basse, la regardant avec intensité.

— Hailey, c'est juste... Avec Charlie, ça ne fonctionne plus. Je me rends compte qu’elle n'est pas toi. On était bien tous les deux, n'est-ce pas ? murmura-t-il d'une voix hésitante.

Hailey fut prise au dépourvu par cette confession. Elle fixa Lùca avec des yeux emplis d'émotion, puis répliqua d'une voix douce, mais déterminée :

— Lùca, je suis heureuse avec Matthew. C'est trop tard, je ne reviens pas en arrière.

Lùca sembla vaciller dans ses propos, comme s'il cherchait les mots justes pour exprimer ce qu'il ressentait.

— Mes mots ne peuvent exprimer combien tu as compté et compte toujours pour moi. Mais…

Le cœur d'Hailey battit fort, se déchirant entre son passé et son présent. Avant qu'Hailey ne puisse répondre, Amanda, qui s'était discrètement approchée, surprit leur conversation. Elle observa la scène, captant chaque mot échangé entre les deux anciens amoureux, sans qu'ils ne se doutent de sa présence. Tout en gardant son calme, Amanda décida de garder ces informations pour elle, du moins pour le moment. Elle préféra ne pas révéler qu'elle avait entendu cette conversation délicate. L'expression d'Amanda ne laissait rien transparaître, mais ses pensées tourbillonnaient déjà, laissant planer un certain mystère sur la situation. Elle préféra rester en retrait, observant les dynamiques entre Hailey et Lùca sans dévoiler son propre jeu. Lùca la fixa intensément et posa un ultimatum.

— Alors dans deux jours, chez toi, à 18 heures. Ce n’est ni le lieu, ni le moment, mais il faut vraiment qu’on en discute.

Hailey sentit la pression de cette décision, mais elle savait ce qu'elle devait faire. Leur histoire avait commencé par un mensonge. Il semblait logique qu'elle finisse ainsi.

— Je suis ici pour Jules, et uniquement pour lui, répondit-elle fermement.

La soirée continua, le rire et les chansons masquant à peine la tristesse qui planait sur la pièce. Ils picolèrent tous jusqu'à tard dans la nuit, cherchant un peu de réconfort les uns auprès des autres. Le lendemain matin, Hailey se réveilla avec une gueule de bois terrible. Elle fut tirée de son sommeil par le bruit des gouttes de pluie qui venaient s'écraser bruyamment sur la vitre de sa fenêtre. Ouvrant lentement les yeux, elle réalisa qu'elle était encore vêtue des mêmes vêtements que la veille. Sa tête lui fit un mal de chien, et elle ressentit une soif insatiable. Se massant les tempes pour atténuer sa douleur, elle se remémora la décision prise la veille. Son esprit était lourd de préoccupations, mais elle savait qu'elle avait fait ce qui était juste. Après s'être préparée, elle se rendit à l'hôpital dans lequel son ami se trouvait entre la vie et la mort.

En franchissant les portes de l'hôpital, Hailey sentit son cœur se serrer à nouveau. Elle savait qu'elle était là où elle devait être, aux côtés de son ami. Son coma était une épreuve difficile pour tous, mais Hailey était déterminée à rester à ses côtés jusqu'à ce qu'il se réveille. Peu importe les difficultés à venir, quelles que soient les conséquences de sa décision la veille, elle était résolue. Dans la salle d’attente, Sami, Lara et Lùca étaient déjà présents. Chacun attendit son tour pour visiter Jules, espérant qu’il se réveille rapidement. Hailey, perdue dans ses pensées, les observa tour à tour et se souvint de leur rencontre.

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