Réminiscences d'un Adieu Inachevé

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Inconnu

28 novembre 2022

La lourdeur dans l'air de l'hôpital fut palpable, avec ce mélange caractéristique de désinfectant et de tension suspendue qui pesa sur les épaules. Hailey, installée dans le coin de la salle d'attente, garda les yeux fixés sur le sol froid et impersonnel. Entre-temps, quelque part dans les ruelles pavées de Londres, les lumières vives et rassurantes du restaurant "Rêverie" perçèrent la brume. Le groupe des Érudits, sans toi, jolie Hailey, célébra leur triomphe récent. Le bruit du bavardage et des toasts rendit l'atmosphère légère et festive. Le contraste fut saisissant avec le silence mortuaire de l'hôpital de Villebrouch-sur-mer.

Matthew proposa plusieurs fois d'annuler la soirée, mais tu insistas pour qu'ils continuassent sans toi.

— Il vous faut ce moment de joie, avais-tu murmuré dans un souffle presque inaudible à travers le téléphone, tes mots chargés d'une tristesse résignée.

Tandis que les rires résonnèrent parmi les membres du groupe, chacun s'efforça de compenser ton absence. Ils privilégièrent la légèreté, éphémère et bienvenue échappatoire.

Au même instant, Charlie se tint à l'entrée de l'hôpital, avec ce fameux demi-sourire qui la caractérisait tant. Celui où l'on devinait qu’elle cachait plus qu'elle ne laissait transparaître,

— Je dois récupérer quelque chose à la voiture, avait-elle menti, ses compétences en dissimulation toujours aussi pointues.

À côté d’elle, Lùca haussa les épaules dans un geste d'impuissance, puis se retourna avec une lenteur empreinte de tristesse pour aller voir Jules, étendu sans vie, prisonnier d'un sombre monde d'inconscience.

Elle prit son téléphone et composa ton numéro. D'un geste purement machinal, tu décrochas.

— C'est Charlie.

Les mots tremblèrent à peine, mais ils transpercèrent le voile de distance protectrice que tu t'étais tissé.

— Je... je suis à l'hôpital. Avec Jules.

— J'arrive, attends-moi.

Charlie offrit les mots de manière impromptue, quasiment inattendue, même pour elle. Douce Hailey. Tu acquiesças d'un ton neutre,

— Oui.

Résolue, tu saisis rapidement ta veste et jetais un regard furtif autour de toi. Vos regards se croisèrent et tu m’adressas un sourire gêné. Sans attendre, tu t'élanças vers la sortie avec une détermination palpable. Clés serrées dans le creux de ta main, tu marchas rapidement vers ta voiture. Mais un mouvement inattendu dans ton champ de vision te surprit. Charlie se tint juste derrière toi apparue comme par magie.

— Attends, suis-moi.

Seul le bruit des graviers sous vos pas et les oiseaux chantant dans la distance troublèrent le silence. Lorsque vous vous arrêtâtes, tu ne dis rien, mais tu reconnus l'endroit. L'atmosphère se chargea de tension. Finalement, tu murmuras presque timidement :

— Cet endroit est encore plus beau que dans mes souvenirs.

Tu observas le grillage soigneusement pendant que tu sentis son regard sur toi. Un sentiment d'inconfort te saisit.

— C'est amusant. Beaucoup de temps a passé et pourtant nos cadenas sont là. D'autres couples, d'autres amis qui pensaient rester ensemble, soudés, ont suivi l'idée.

Les anciennes amies, à présent distantes, se jaugèrent en silence, chaque regard translucide voilant une histoire inexprimée. Le Maire avait tenu sa promesse, il ne les avait pas retirés, mais avait demandé aux habitants de ne plus en poser, sous peine d'amende. Les minutes passèrent, puis Charlie reprit la parole :

— Aimer quelqu'un pleinement et sans conditions est compliqué. Ça passe ou ça casse.

Elle accentua le mot "casse" et essaya de te sonder. Heureusement pour vous, elle ne maîtrisait pas vraiment cet art. La tension atteignit son paroxysme.

— Quel pessimisme.

— Non, je suis réaliste. Regarde autour de toi.

C'était tellement mystérieux l'Amour. Chaque mot, chaque geste creusa davantage le fossé entre vous. Charlie désigna le paysage d'un geste de la main. Autour de vous, une étendue verdoyante, et en fond, un parc pour enfants avec une double balançoire, des toboggans et quelques pousse-pousse. Le bac à sable, qui autrefois te fascinait, avait été remplacé par un petit terrain de basket. À cette époque, tout semblait plus simple, votre amitié était sans doute plus sincère. Charlie ne se sentait pas encore trahie, et tu n’étais pas toute gênée dans ton comportement. Une époque béate que tu pensais pouvoir retrouver en revenant. Combien de fois t'étais-tu imaginée ici ?

Charlie avec Lùca et Léo, leur petit garçon. Simon voulait une petite fille, donc tu avais déclaré que vous auriez des jumeaux : une fille et un garçon, pour clore le débat. Mais dans le fond, tu te voyais avec Léo. Distraitement, tu t'approchas du grillage et traças doucement le cadenas que tu avais fixé là, il y a quelques années. Tu te souvenais encore à quel point tu te sentais presque indestructible, entourée de ces crétins qui prétendaient être unis et indissociables. Mais Charlie resta Charlie.

— Tous ces cadenas, ici et là, posés par des inconscients.

— Des couples, tu veux dire.

— Non. Des inconscients pris dans une illusion d'éternité, négligeant les complications de la vie. Regarde-nous maintenant.

— Soi-disant que tant que le cadenas reste, l'amour persiste.

Charlie se tint devant toi, attrapant ton bras. Je savourai le spectacle. Vous étiez toujours aussi divertissantes. Elle éleva la voix :

— Et penses-tu qu'en brisant le nôtre tout rentrera à la normale pour vous deux ?

Pourquoi reculas-tu, ma douce ? Tu sentis une vieille blessure se rouvrir à chaque mot vindicatif de la garce qui exulta sans s'en cacher. Aujourd'hui, c'était à son tour de vider son sac, rempli de tous vos secrets que j'avais aidé à collecter pendant toutes ces années. Et toi, ma belle, tu avais toujours du mal à réagir. Ne comprenant pas cette attaque verbale, tu soupiras et répondis d'une voix fatiguée :

— Pourquoi cet endroit ? Pourquoi me montrer tout cela ? Demandas-tu, perplexe.

— Parce que l'amour, Ley’, est un océan agité et imprévisible. Et beaucoup en ont fait les frais, répondit Charlie. Car la vie n'est jamais simple. Tu es méprisable.

Il ne me manquait que le fauteuil confortable et le popcorn. La conversation passa d'ennuyeuse à passionnante.

— Je ne comprends pas de quoi tu parles, mais jouons le jeu.

Quel spectacle ! Bien sûr que tu ne comprenais pas, tu étais la meilleure pour mentir, même à toi-même. Même moi, qui étais extérieur à cette histoire, je voyais où elle voulait en venir.

— Je sais tout.

— Excuse-moi ?

Ma belle Hailey.

— Mon homme et toi.

Charlie prononça ces mots avec dégoût.

— Tu l'aimes encore, c'est pour ça que tu es revenue. Si tu es ici, c’est uniquement pour lui.

— Non ! Si je suis revenue ici, c’est pour Jules ! Et non pour que tu… Commença Hailey, la fatigue se mêlant au mépris dans sa voix.

Charlie n'avait pas fini. Cette conversation, cette humiliation, n'était pas le point final. Tu t’éloignas, mais tu sentis que le dernier acte n'était pas encore joué.

— Ley’, je t'en prie, reviens ici !

Hailey interrogea Charlie, l'exaspération vibrant dans sa voix.

— Pourquoi fais-tu cela, Charlie ? Laisse tomber. J'ai été assez stupide pour ne pas m'en apercevoir plus tôt, mais tu n'as jamais su être sincère.

Hailey s'était retournée pour la confronter, prête à contrer tout ce qui allait être dirigé contre elle. Une fois de plus.

— Je sais ce qu'il t'a demandé.

Amour, ce mot si énigmatique. Tu aimes. Ces mots la frappèrent comme une flèche en plein cœur. Elle fit face à Charlie, l'air interrogateur. Je te connais. Elle se sentit plus affectée que la première fois. Elle venait de comprendre une autre vérité : les blessures anciennes et les émotions intenses refoulées étaient celles qui étaient les plus manipulables. Peu à peu, par un sourire, des banalités, des souvenirs, des rires, elle les démontait et les exterminait définitivement. Car quoi de pire qu'un travail inachevé ?

Son regard s'assombrit pendant que celui de Charlie s'illuminait. Elle souriait. Dans ses yeux, on pouvait voir toute la haine qu'elle avait accumulée et qu'elle avait gardée pour ce moment particulier. La joie qu'elle prenait à blesser Hailey encore et encore. Un acharnement que je trouvais déjà un peu déplacé de la part de Charlie, mais comme toujours, elle aimait jouer à la drama queen. Une fois de plus, Hailey se sentit humiliée. Charlie, celle pour qui il l'avait quittée, la charmante garce qu'il avait été forcé de choisir. Et toi, ma belle, dans ta naïveté, tu avais voulu croire. Mais peut-être que vous n'aviez jamais été amies. C'était simplement un groupe de lettres trompeuses et inutiles. Ce qu'elle avait entendu s'était gravé en elle comme une cicatrice qui ne guérirait jamais. Cette conversation se termina de la pire des manières.

— Alors, ai-je raison ? Tu l'aimes encore, n'est-ce pas ?

Ma douce Hailey. Tu fus choquée et tu te préparas à riposter, mais avant que tu ne puisses dire un mot, une gifle violente assombrit ton visage. Tes yeux tremblèrent sous l'effet de la surprise et de la colère. La réponse était trop évidente pour être passée aussi facilement.

— Tu es complètement folle ! s'exclama-t-elle, les joues rougies par la gifle. As-tu perdu la raison ou quoi ?

Je revivrais ce moment en boucle ce soir, dans le calme de ma chambre. J'apprécierais chaque instant. Hailey se retint, serrant son cadenas jusqu'à en avoir mal aux doigts. Un cadenas que vous aviez glorifié, car vous aviez entendu dire que les rêves étaient faits pour être vécus pleinement sans se soucier de l'avenir, et la chute était d'autant plus douloureuse. Vous étiez un couple de filles, un couple d'amies. Un duo qu'elle t'avait juré de ne jamais détruire par amour. Une garce, voilà ce qu'elle était. Alors que tu étais sur le point de faire demi-tour, voulant mettre le plus de distance possible entre vous et rejoindre Matthew, resté à Londres avant son départ pour les États-Unis, tu voulais t'éloigner de ce parc maudit qui te rappelait des souvenirs atroces et en même temps merveilleux. Mais la garce au visage angélique te demanda de rester. Comme si elle avait été piquée par une abeille, son masque se fissura à nouveau, révélant une rage que j'avais été le seul à voir jusqu'à présent. Agacée, tu répondis à nouveau à sa demande.

— Écoute bien mes mots, car je n'aurai pas la patience de les répéter. Tu es comme ce grain de poussière irritant, celui que tu sens constamment mais que tu ne parviens jamais à éliminer. Jusqu'au jour où, sans savoir comment, il disparaît. Tu cesses d'y penser, tu l'oublies. Je voulais simplement te rappeler que Lùca m'appartient. Malgré tes intrigues avec Sami, cela ne fonctionnera pas. Lùca est à moi.

Sami continuait de croire que tu étais destinée à Lùca alors que tu essayais de te convaincre que Matthew était le meilleur choix pour toi. Mais souviens-toi, chérie, tu n'appartenais qu'à moi et il était grand temps que tu t'en souviennes. Tu fixas Charlie, interdite, une larme traîtresse perlant au coin de ton œil. Sa dernière phrase fut un coup de poignard qui transperça ton armure de feinte indifférence, dévoilant la profondeur de tes sentiments enfouis. Elle te connaissait par cœur, elle connaissait chacune de tes faiblesses et n'avait aucune pitié à les exposer au grand jour. Tu vacillas, prise au piège d'un passé que tu avais voulu oublier, mais qui s'accrochait à toi avec la gravité d'une promesse non tenue.

— Lùca n'est pas un objet, au cas où tu en douterais. La possession, Charlie, ça m'a toujours dérangé. Et concernant Lùca... il a fait son choix, lui aussi.

Ta voix trembla imperceptiblement, trahissant ton bouleversement. Charlie, cependant, ne broncha pas. Elle te scruta avec intensité avant de lâcher un rire moqueur.

— Ton indépendance était toujours ta fierté, n'est-ce pas, Hailey ? Ce n'est pas de la possession. C'est de l'histoire, une histoire tissée de fils complexes que tu ne peux pas simplement couper parce que ça te chante.

Elle fit une pause, scrutant les environs. Le soleil jetant ses rayons sur les cadenas qui scintillaient comme de petites étoiles captives. Vous étiez seules dans ce parc désormais ésotérique, où chaque objet semblait être chargé de souvenirs.

— L'histoire ? répliquas-tu amèrement. Que sais-tu de l'histoire, Charlie ? Toi qui as toujours vécu dans l'instant, sans jamais te soucier des conséquences.

Charlie baissa les yeux, saisit à son tour l'un des cadenas, celui que vous aviez gravé ensemble il y a de cela une éternité. La lueur dans son regard s'assombrit et tu la sentis vaciller, pour la première fois.

— Si je suis revenue, Charlie, ce n'est pas pour Lùca, mais pour moi. Pour clore les comptes que j'avais laissés en suspens, pour affronter mes erreurs. Pas pour répéter les mêmes schémas.

Tu pris une profonde inspiration, te redressant, te détachant peu à peu de la gravité de ton ancienne amitié toxique. Charlie t'observa, pesant tes mots, tentant de décrypter la sincérité de tes paroles. Elle ne dit rien, se contenta de remettre le cadenas à sa place, comme si elle réalisait que certaines chaînes pouvaient être plus symboliques que réelles.

Ta décision était désormais claire comme si ce parc, ce lieu de souvenirs, t'avait apporté la révélation dont tu avais besoin. Tu tourna le dos à Charlie et marcha vers ta voiture, pas après pas. La silhouette de l'hôpital se dessina à l'horizon, rappelant telle une boussole morale le véritable but de ton retour.

— À l'hôpital, Jules m'attend. Et c'est là que doit être ma place maintenant.

La confrontation avec Charlie s'estompa peu à peu, laissant place à une détermination nouvelle. Tu avais peur, certes, mais c'était une peur qui te donnait des ailes, qui te poussait en avant, vers ce futur incertain. Tu allais clore tes comptes, pour toi et pour Jules. Car en fin de compte, c'était peut-être là le vrai courage : affronter ses propres démons pour enfin pouvoir voler librement.

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