Derniers préparatifs

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Le retour de notre rendez-vous avec Long John s’était effectué sans incident. Nous avions pris chacun une valise et étions directement remontés dans notre chambre, refusant les services du voiturier et du bagagiste empressés. Bien que n’ayant aucune crainte, j’avais ouvert les deux valises et vérifié leur contenu. Les liasses étaient bien rangées, l’espace libre comblé par des blocs de mousse pour que le contenu reste bien en ordre. Je rangeai les valises dans le bas du placard de la chambre comme l’aurait fait n’importe quel client. De toute façon, à partir de ce moment, la chambre ne serait à aucun moment laissée vide, jusqu’à notre départ pour le lieu de rendez-vous.

Je suggérai à mes baby-sitters de commander à manger auprès du roomservice et sortis déjeuner avec Emily. La pauvre fille n’avait pas encore mis le nez dehors de la journée et elle montra beaucoup d’enthousiasme.

— On peut aller marcher un peu ? demanda-t-elle.

— Oui, bien sûr, il ne fait pas trop chaud.

— On peut aller au New York ?

— Si tu veux, pourquoi spécialement là ?

— J’ai envie de faire un tour dans le roller coaster*.

Je n’étais pas particulièrement emballé à l’idée d’aller faire des loopings dans un manège à ce moment précis, mais je ne voyais pas de bonne raison de lui refuser ce petit plaisir.

— En route ! on fait un tour et on va déjeuner ensuite. L’inverse ne me semble pas prudent.

— Comme tu voudras.

Nous avons occupé une bonne partie de l’après-midi à déambuler sur le Strip, comme n’importe quels touristes, en nous arrêtant pour regarder les artistes de rue, laissant les bonimenteurs nous vanter des spectacles plus extraordinaires les uns que les autres. Nous avons aussi acheté quelques bouteilles de vin blanc, pour la soirée. Il était presque dix-huit heures lorsque nous avons retrouvé Jack et John dans la chambre.

— John, dis-je, j’aimerais que nous retournions ensemble sur le lieu de rendez-vous. Je voudrais revoir avec toi les éléments tactiques. Je ne tiens pas avoir de mauvaise surprise demain.

— Pas de problème Boss, répondit l’intéressé. On prend ta voiture ou la nôtre ?

— Je prends la mienne, puisqu’on aura deux véhicules demain, je vais mieux mémoriser le trajet en conduisant moi-même.

— Oui, tu as raison.

Nous sommes partis en laissant Emily sous la garde de Jack.

— Si tu veux bien, je vais prendre le fusil dans le pick-up, proposa John. Comme ça, on pourra mieux apprécier les angles de tir.

Voyant mon air indécis, il ajouta :

— Ne t’inquiète pas, j’ai un permis pour sortir avec ce joujou !

Le soleil commençait à descendre sur l’horizon quand nous sommes arrivés près de la carrière. Nous avons croisé nombre de véhicules quittant le site. Personne ne prêta attention à nous. En approchant du canyon, je constatai que l’on avait bien le soleil en face, ce qui serait un inconvénient pour les derniers arrivés. John m’indiqua une piste sur la droite avant le défilé. Je m’y engageai. Il serait possible de laisser un véhicule à cet endroit, sans qu’il soit visible du chemin principal. Je validai l’option avec lui et fis demi-tour pour revenir vers la piste principale.

Je stoppai le SUV à proximité des baraquements abandonnés, tourné vers l’unique entrée. John prit la valise contenant le fusil et descendit. Je le suivis rapidement. Il m’indiqua un petit promontoire, un peu au dessus des mobile-homes, dans l’axe de la vallée.

— Je pense m’installer là-haut. On va voir ?

Le terrain n’était pas trop difficile et rapidement, nous fûmes en place. La vue était totalement dégagée, à l’exception des quelques mètres devant les constructions. Pendant que John ouvrait la valise et assemblait son arme, je scrutai le paysage. Le coude sur le chemin devait se situer à trois cents ou quatre cents mètres, mais de notre point de vue, il était possible de voir au-delà. John ne pourrait pas manquer un véhicule approchant du canyon.

John me tendit le fusil qu’il avait fini de monter. L’arme était impressionnante.

— C’est un M40A3, la dernière génération. Efficace à plus de neuf cents mètres. La lunette grossit douze fois.

J’épaulai et plaçait l’œil contre l’oculaire. Il me fallut quelques secondes pour stabiliser l’image.

— Ce n’est pas spécialement prévu pour tirer debout, plaisanta le snipper.

— Je me suis toujours demandé comment faisaient ces gars qui tirent après une course de ski ! ajoutai-je.

— Je serai couché et camouflé. J’espère juste qu’il n’y a pas de rattle snakes** dans le coin.

Dans la lunette de visée, je pouvais nettement distinguer les bâtiments de la base militaire situés à plus de cinq kilomètres. J’aurais pu compter les voitures qui en sortaient.

— J’ai eu l’occasion de tirer quelques fois avec des fusils de précision, mais la visée de celui-ci est exceptionnelle.

— On peut même y adapter un amplificateur de lumière pour le tir de nuit ! Si ton gars bouge une oreille, je peux choisir dans quel œil je lui loge la balle.

— Tu as combien de cartouches dans le magasin ?

— Cinq, mais je peux recharger en moins de dix secondes.

— Je ne pense pas que ce sera nécessaire, mais c’est bon à savoir.

— Tu veux essayer ?

— Pourquoi pas.

— Attends quelques minutes, je descend, mais repose le flingue s’il te plait !

Je lui rendis le fusil. John redescendit jusqu’au coude du chemin. En chemin il ramassa une canette vide près d’un cabanon et la déposa sur une grosse pierre. Quand il fût remonté, il me tendit le M40 après avoir fait monter une balle.

— J’ai réglé la hausse pour trois cents mètres, il n’y a pas de vent.

Je cherchai un endroit favorable pour m’allonger et poser le support sous le canon. Je repris la visée, il me fallut quelques instants pour repérer la cible.

— C’est de la Bud Light !

— Bien vu. Vas-y doucement sur la détente, elle est très sensible.

Je tirai une première balle qui fit fuser un éclat de pierre.

— Vingt centimètres à gauche, commenta John. Pas mal pour un bleu.

Je me concentrai pour un deuxième tir.

— Cinq centimètres à droite. Dans les deux cas, en visant le cœur, tu avais des chances de toucher ton gars.

Je lui laissai ma place. Dix secondes plus tard, la canette volait.

— Tu n’es pas mauvais tireur pour un type du renseignement, complimenta mon instructeur.

— J’ai fait tout le parcours d’entrainement et je me débrouille plutôt bien au pistolet.

— C’est bon pour moi, j’en ai assez vu ici. Allons jeter un coup d’œil en bas.

John démonta et rangea soigneusement son équipement avant de redescendre vers la voiture. Il posa la valise derrière les sièges et se dirigea vers les bungalows délabrés. Il y avait quatre constructions, toutes plus rouillées les unes que les autres. John se dirigea vers l’une d’elle, un peu décalée de l’axe principal. Il poussa la porte branlante et se dirigea vers l’unique fenêtre.

— En se postant ici, Jack aura une ligne de tir dégagée, si tu restes assez près de la voiture, plutôt sur la gauche.

— Compris, chef.

— On aura des radios cryptées avec des oreillettes. Le mieux pour toi sera d’attendre dans la voiture. Je vous préviendrai dès que je les verrai se pointer. Quand ils sont arrêtés, tu sors lentement et tu montres les valises. Si tout va bien, un ou deux gars vont s’approcher. Demande à parler à Pablo en personne, pour conclure le deal ! S’il y en a un qui fait un mauvais geste, il est mort. Et les autres suivront de peu. J’ouvre le feu et Jack conclut si nécessaire.

— Et moi, j’aurai un flingue ?

— Comme tu le sens ! Si ça peut te rassurer.

— J’aimerais mieux.

Le soleil était maintenant couché et la commençait à noyer le canyon dans la pénombre. Nous reprîmes le chemin de Vegas.

La radio diffusait « Fortunate Son »***. J’était trop jeune pour le Vietnam, mais je trouvais la musique de circonstance.





* Roller Coaster : attraction foraine, le grand « huit », l’hôtel-casino New York en a un intégré dans son complexe immobilier

** Rattle snake : serpent à sonnette ou crotale, très fréquent dans les déserts américains

** Fortunate Son : chanson du groupe Creedence Clearwater Revival, vivement opposée à la guerre du Vietnam

https://www.youtube.com/watch?v=ec0XKhAHR5I

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