Quel retour étrange

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Notes de l’auteur : Je recommence à raconter nos aventures par le récit d'un retour. Un retour Siquijor - Bruxelles. Le nôtre, en juillet 2020.Après une saison touristique très particulière. Pour les lecteurs qui n'ont pas lu notre premier carnet de voyage "appelez-moi Seigneur Patate", des feedbacks et des présentations seront nécessaires ... tout un programme pour les récits à venir ...

 Patras pleure, Gnocchi s’agite, même Bruno se lève pour voir ce qu’il se passe. 
Vous êtes entre de bonnes mains les loulous, 
Et puis, nous reviendrons très vite ...
Nous revenons toujours, vous le savez.

 Les amis sont tous là, notre famille de l’île, 
Et Léa est toute heureuse de mettre en pratique son nouvel apprentissage : le « bye-bye façon Léa ». « Babbao » dit-elle, tout en ouvrant et fermant ses petites mains. 
Tout un programme pour un premier mot prononcé. 

 Il y a ensuite la douce compagnie de Simon, avec son look post apocalypse. 
Il y a le bateau qu'on attend. Une heure, puis deux, puis trois, puis on arrête de compter. 
Les doutes au bord du sable ...
... « On reste, Zozo ? »
... « Alors vous faites quoi ? », charrie en écho Simon. 

 Finalement nous montons sur le bateau. 
Un bateau vide, qui part d’un port vide. 
La lune nous sourit timidement. 
Un croissant lumineux dans la brume nocturne. 
Si Alice était alors apparue, cela ne nous aurait pas surpris. 

 Et puis, Siquijor n’est plus qu’un amas d’étoiles. 
Il paraît que lorsque les espagnols sont arrivés "once upon a time", ils auraient eu la même vision. Sauf que ce qu’ils voyaient alors étaient des tas de lucioles en vadrouille. 

 L'équipage du bateau, arrivés à Dumaguete, photographie la ville au loin, sans mettre un pied au dehors du navire. Avant de repartir direction Siquijor. 
Avec leur retour s'envolent toutes nos chances de rester. 
C'est à partir de là, que nous plongeons dans un décor digne d'un film d'anticipation que l'on trouve de piètre goût. 

 Dumaguete nous accueille dans une ambiance futuriste. 
La police, puis les infirmières exécutent les protocoles derrière des bâches en plastique transparent tendues entre nous et eux. Pistolets à température, tenues de protection, vérification de la tonne de papiers qu'il nous faut pour entrer à "Duma". 

 Au port de Dumaguete, la nuit est très courte, ou très longue - selon le point de vue. Il fait mourant dans notre tente, le ballet bruyant des camions de marchandises fait trembler le sol dur sur lequel nous sommes couchés, les lumières blanchâtres du port ne s'éteignent pas de la nuit. 
Nous somnolons, parmi une flopée de philippins qui dorment en attendant leur bateau. 
Nous sommes des échoués de mi-parcours. 

 Au petit matin, le film continue. 
Nous entrevoyons les premières personnes en combinaisons intégrales, on veut être bienveillant avec nous mais cela ne fait qu’alimenter la peur « very dangerous for the baby, should wear a mask», et l’incrédulité, « very dangerous ». 

 Nous sommes escortés jusqu'à l’aéroport, en mode « colis avec option traçage ». 
Il ne nous manque plus qu'un code barre aux fesses mais c'est un peu comme si on l'avait, vu le nombre de fois qu'on a dû écrire nos noms en mode « on est là, à cet instant précis ». 
Notre chauffeur porte une combinaison intégrale et se fait photographier par un garde devant la camionnette qui nous transporte, « les étrangers sont dans la boîte, j'ai ma combinaison ». 

 Dans l'avion, certains passagers portent une double voire une triple protection au visage : masque chirurgical sous un masque en tissu sous un « bouclier plastique spécial visage », sous les couches de peur et de méfiance. 
Dans la brume générée par l’airco, les hôtesses et stewards en combinaison intégrale se meuvent tels des voyageurs du futur.

 Puis très vite, Manille arrive. 
Et nous découvrons les règles d'un jeu grandeur mégalopole. 
Au supermarché, la file est kilométrique, des agents en uniforme appelés « social distancing inspectors » veillent au bon respect de la distanciation sociale, « madame vous êtes trop proche, monsieur s'il vous plaît avancez ». Des croix, des traits, des autocollants partout par terre, une étrange marelle à laquelle nous jouons tous masqués, alors que les enfants sont priés de rester à la maison. 

 On comprend qu'avec Léa, ce sera difficile de mettre le nez dehors. 
Nous restons alors dans la chambre, et voyons Manille de la fenêtre, à l'abri de la chaleur. À l'abri de l'orage qui gronde, à l'abri de la pluie battante, avec vue sur les sentinelles de verre et d'acier de Makati, ces immeubles qui se dressent entre l'asphalte et les nuages. 

 Nous revenons doucement à la civilisation, après neuf mois sur l'île : naviguer sur le net, allumer la télévision, ne pas se protéger contre les moustiques, ne pas transpirer, allumer le robinet et redécouvrir la sensation de l'eau chaude, pas de mouches, pas de scorpions, pas d'araignées, pas de serpents, pas d’armées de fourmis attelées à on ne sait quelle cause, en 9 mois sur notre Siquijor, nous en avons vu du beau monde ! 

 Puis, après deux nuits à Manille, nous reprenons la route. 

 Quel retour étrange. 

 La route pour l'aéroport est dégagée. 
Le garde à l'entrée du bâtiment nous demande nos billets et, apparemment distrait, peut être fatigué, sûrement en mode automatique, il essaie de prendre la température de nos billets d'avion. Sans succès.

 Quel retour étrange. 
Le terminal est comme vide. Les magasins sont presque tous fermés. 

 À l'entrée de l'avion, on nous invite à porter un bouclier facial en plastique, en plus du masque, et de nos peurs. 

 Quel retour étrange .
Le food court de l'aéroport de Doha devient un endroit de liberté. 
On peut y baisser nos masques. Les bouchées de nourriture n'ont jamais été aussi savoureuses. 

 Le deuxième avion est presque vide, nous occupons 15 sièges et le personnel est aux petits soins. 

 Et puis Bruxelles nous accueille enfin. 
Un saut dans le temps, un saut dans l'espace, un saut dans une nouvelle portion de vie pleine d'incertitudes et d'espoir. 
Nous redécouvrons la ville, notre Belgique, notre maison de béton. 
Les sirènes ont remplacé les grillons.
Les images de la télévision remplacent les arbres qui s’agitent, la pluie qui tombe, les voisins qui passent et leurs vaches qui paissent.
Mais nous sommes revenus.
Pour mieux retourner. 
Car vous le savez, bon vieux Patras, douce Gnocchi, et petit Bruno, nous revenons toujours.

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