Gurvan se gratta le menton. Cette énigme était différente de la première. Et cette fois, il n’avait reçu aucun indice de la part du Hêtre de Ponthus. Il fallait réfléchir, chaque mot avait son importance. Le grain, le brin, l’herbe. Qu’avaient-il en commun ? Les plantes, la nature, les champs, le blé ? Qu’est-ce qui peut être douce, furieuse, ou pure ? Une femme ? De l'eau ?

Il se prit la tête dans les mains, en proie au doute. Il ne pouvait pas rester coincé ici à cause de cette simple devinette ! C’était de la folie pure !

Gurvan se frappa le front. La folie !

• La réponse, c’est la folie ! Du grain de folie naît un brin de folie qui peut se révéler herbe folle, folie douce, folie furieuse ou pure folie ! s’exclama-t-il.
• Bravo, mon ami, répondit le pont. Vous voyez, ce n’était pas insurmontable. Vous pouvez passer sans danger.
• Merci, répondit Gurvan en s’engageant sur le pont.

Une fois de l’autre côté, Gurvan partit en direction du château avec une impression de déjà-vu. “Et si j’étais en plein rêve ? ”, se demanda-t-il.

Toute cette histoire le dépassait, il avait hâte d’en connaître le fin mot.

Lorsqu’il déboucha dans la clairière, le château fleuri l’attendait, parfaitement identique à la première fois. Avec son dragon furieux sur le toit, qui grognait et crachait de la fumée par les naseaux. Et la princesse à la fenêtre du donjon, hurlant à l’aide.

Gurvan observa la scène avec attention. S’il échouait dans cette dernière épreuve, il ne reverrait plus jamais sa famille, son village, ses amis, son école, son maître d'école si sévère. Il devait réussir. Il n’avait pas le choix.

Il repensa au Hêtre et au pont, à leur sagesse et leur bonté. Il repensa aussi au fantôme, à la colère de Morgane. “La vie est ainsi faite : on rencontre sur son chemin des amis et des ennemis. Il faut apprécier la compagnie des premiers et se défaire des seconds. Et surtout, croire en sa bonne étoile, aucun obstacle n’est insurmontable”, pensa-t-il en observant la lame d’acier de son épée. "Je vais me tirer de là"

Il s’avança prudemment sur l’esplanade gazonnée, l’épée au poing, s’arrêta quelques instants en son centre, aux aguets. Cette fois-ci, aucun signe de fatigue ou de faiblesse, il était en pleine forme, il se sentait d'attaque. Il prit une grande inspiration et défia le monstre.

• Au lieu de t’attaquer à une jeune fille sans défense, viens te battre contre moi ! menaça-t-il d'une voix qu'il ne reconnaissait pas tant elle était pleine d'assurance.

Le dragon tourna sa tête vers lui, puis éclata d’un rire gras et mauvais.

• Ah ah ah ! Petit avorton, crois-tu que tu fasses le poids ? Je suis le bruit et la fureur ! Je suis la haine et la douleur ! Et toi, qui es-tu ?
• Je m’appelle Gurvan et tu es ma dernière épreuve !

Le dragon répliqua par un crachat de feu qui réchauffa l’air glacé. Gurvan ne recula pas, cette tentative d'intimidation ne fonctionnait pas. Au contraire, il fit quelques pas en avant, l’épée pointée vers la bête.

• Je te laisse encore une chance de t’en aller et d’avoir la vie sauve ! provoqua Gurvan.

Le dragon ricana, déploya ses immense ailes, s’éleva dans les airs et s’éloigna au-dessus du couvert des arbres, vers le lointain.

Gurvan n’en croyait pas ses yeux ! “J’ai réussi ! J’ai réussi ! C'était facile ! ” se réjouit-il.

Mais sa joie fut de courte durée. Le dragon changea brutalement de direction et revint vers Gurvan, immobile au milieu de l’esplanade. Pétrifié et minuscule face à la bête immonde. Le monstre plana au-dessus de lui dans un silence de mort, fit demi-tour et vint se poser à quelques mètres. Gurvan prit la réelle mesure du défi qui s’annonçait. Le dragon était encore plus grand et terrifiant qu’il ne le pensait.

"Comment pourrais-je venir à bout de ce géant couvert d’écailles ? En l’attaquant de front ? En l’attaquant au front ? Comme David contre Goliath ? Je peux compter sur ma vivacité et sur l’effet de surprise. Ca vaut le coup de tenter", pensa-t-il.

Sans prévenir, il prit son élan et s’élança vers la bête qui répliqua en crachant les flammes de l’enfer. Gurvan, vif comme l’éclair, effectua un saut de côté, puis un autre tandis que le gazon rougissait et se consumait sous ses pieds. Sa vitesse et sa petite taille lui permirent d’arriver rapidement sous le ventre de la bête, là où le feu ne pouvait pas l’atteindre. Il n'hésita pas : il pointa son épée vers le haut et la planta dans le ventre de la bête. Puis il s’accrocha fermement à la poignée. Le dragon grogna et s’agita. Gurvan tint bon.

• Ah ah ah ! Petit moustique ! Tu penses que tu me fais mal ? Tu me chatouilles !

Gurvan ne répondit pas à la provocation, il était concentré sur son objectif. Il se hissa et s’accrocha avec son autre main à une écaille saillante. Alors, il retira la lame et la planta plus haut, puis répéta l’opération jusqu’à atteindre le dos de la bête qui couinait à chaque blessure et remuait pour faire tomber le petit importun. Balancé à gauche et à droite, Gurvan luttait pour ne pas tomber, pour garder l'équilibre.

Survolté, le jeune garçon grimpa à quatre pattes sur la nuque du dragon en assurant ses prises et parvint jusqu’à l’énorme tête couverte de pustules. Là, il se mit debout, saisit son épée à deux mains pour la planter dans le front du dragon, mais au dernier moment, un mouvement brutal le déstabilisa. Il sentit le dragon se dérober sous ses pieds et se vit tomber dans le vide au ralenti, jusqu’à ce qu’il percute lourdement le sol. Juste devant la bête.

• Tu pensais vraiment pouvoir me tuer ? Pauvre imbécile ! Je vais t’écraser comme une simple mouche ! grogna le dragon en se penchant sur Gurvan.