Gerald : un nouveau maître

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J’y suis. Là, au bout de ce couloir. La barge.

Aki n’avait presque plus de batteries. Ce qui voulait dire qu’il devrait se débrouiller pour piloter la barge de secours, sans pouvoir télécharger de manuel ou bénéficier de l’assistance.

Bah, de toute façon, c’est de la technologie ældienne, se rappela Gerald. Y a pas de manuel pour ça.

Sa seule chance, c’était de compter sur son hypothétique « instinct » ældien. Une sorte de mémoire atavique, qu’on prêtait à ces créatures. Malheureusement pour lui, Gerald semblait n’avoir hérité que des désavantages de la condition ældienne, comme les crocs apparents, ou le rut, qui le torturait tous les six mois.

— Plus que cinq mètres, l’informa Aki.

Elle s’éteignit juste après. Mais la barge était là, ouverte et lumineuse comme un cocon accueillant. Gerald sauta dedans et appuya sur le premier bouton qu’il trouva. En guise d’instinct ældien, c’est celui du mécano qui le sauva.

La porte se referma et Gerald se retrouva enfermé dans un silence assourdissant. Rien ne lui permettait de communiquer avec l’extérieur, de voir ce qui se passait. Mais il sentit la barge bouger, décrocher. Il avait pris son envol et s’éloignait du vaisseau : il en était sûr. Mais comment programmer sa destination ? Il n’y avait aucun moniteur accessible, juste ces étranges sinuosités entrelacées comme des sculptures. Un ældien aurait su. Mais lui, il n’était que semi-ældien.

Je vais mourir ici, comprit Gerald après de longues minutes à fouiller dans les moindres recoins. Ce cocon sera mon cercueil.

Une tombe volante, qui allait dériver dans le vide pour l’éternité... une mort assez banale, somme toute, pour un homme né et élevé sur une station spatiale. Toujours, son salut avait dépendu d’aléatoires constructions de tôle et d’acier qui flottaient dans le vide. Qu’avait-il connu d’autre ? Rien.

C’est toujours mieux qu’être bouffé par les ældiens, se résigna Gerald. Au moins, ces salauds ne m’auront pas.

Il n’y avait plus qu’à dormir, à attendre la mort. Alors, Gerald se pelotonna contre la paroi ronde, comme un fœtus dans un utérus. Il ferma les yeux et s’évada dans ses rêveries, sans se rendre compte de la fumée verte qui, lentement, montait dans l’habitacle.

*

Ce fut le froid qui le réveilla. Le froid, et une sensation de gêne à la limite de la douleur dans la bouche. Dans la bouche... et plus bas, dans un endroit aussi intime qu’incongru.

Gerald ouvrit les yeux d’un seul coup. Il se trouvait dans le noir complet, mais ses pupilles s’habituèrent vite à la pénombre. En revanche, il ne pouvait pas parler. Quelque chose dans sa bouche, entre ses dents, l’en empêchait.

Un rayon de lumière vive troua la nuit. Gerald tenta de se redresser, en vain. Il était attaché sur une surface froide et plane.

— Alors c’est lui, le fameux perædhel... fit une voix froide et maitrisée. C’est un beau petit mâle, pour ce que j’en vois ! J’aime beaucoup cette robe platine. Il a les yeux verts ou jaunes ?

— Entre les deux. Oui, il a une superbe chevelure, malheureusement très abimée. Et il lui manque ses deux canines supérieures. Son panache a également été excisé, à la naissance vraisemblablement. Une honte, mais on ne peut rien y faire.

Gerald reconnut la voix de Vlad, l’IA sadique qui bossait pour l’ældien. Il était donc retombé entre ses pattes ! Sa fuite n’avait servi à rien. La colère lui remonta le long de la gorge, mais aussi la panique. Qu’allaient-ils faire de lui ? Vlad avait parlé de le livrer à un autre ældien... pourquoi ? Gerald se mit à s’agiter dans ses entraves, en vain. Il ne pouvait pas bouger d’un centimètre. Il ne pouvait pas protester non plus, juste grogner.

— On fera ce qu’il faut, reprit la voix inconnue, aussi synthétique que celle de Vlad. Pour la chevelure, du moins. Pour le reste, on avisera. Il a l’air d’avoir un sacré caractère...

— C’est un jeune mâle fier et insolent, crut bon de préciser Vlad, une nuance d’amusement dans sa voix suave. Je l’ai plugué pour le casser un peu. Si vous me pardonnez cette initiative...

« Plugué » ! C’était donc ce qu’on lui avait fait ! Indigné, Gerald s’agita encore un peu, tentant vainement d’expulser le corps étranger. Pourquoi lui avait-on mis ça ? Ce robot était taré !

— L’entrainement le ramènera à de meilleures dispositions. Pour quand sont prévues ses chaleurs ?

— On n’en sait rien. Chez les perædhil, c’est assez aléatoire... et je n’ai pas vraiment eu le temps de l’examiner. Sa prostate m’a l’air assez grosse : pour moi, il est vierge.

Gerald rugit intérieurement. Mais de quoi parlaient ces deux robots déglingués ?

— Très bien. Le seigneur Nimrod sera satisfait. Il les préfère intacts.

— C’est le cas de beaucoup de seigneurs...

Les voix s’affadirent alors que les deux robots s’éloignèrent. Gerald voulut hurler, mais seuls s’élevèrent de pathétiques gémissements.

On l’avait ficelé et empalé comme un poulet à la broche. Tout ça pour être livré aux sombres appétits cannibales d’un ældien... une larme de rage coula au coin de son œil effilé. Finir comme ça... c’était trop bête !

*

Cependant, il n’eut pas à rester longtemps ainsi. Au bout d’un temps indéfini – Gerald avait perdu toute notion du temps – la lumière s’alluma d’un seul coup, et il sentit que les bracelets qui le retenaient s’ouvraient. Gerald s’empressa de se redresser. Il n’avait qu’une hâte, retirer le corps étranger qui l’embrochait comme un poulet.

Il était en train de chercher un coin faisant office de lieux d’aisance lorsqu’une voix résonna.

— Retirez vos vêtements et posez vos mains sur le rebord de la couchette. Il y a deux bracelets et un collier de contention sur le bord : si vous les passez, nous vous enlèverons le plug de dressage.

Gerald releva la tête vivement, cherchant des yeux la provenance de la voix. Il avisa deux petites caméras dans un coin du plafond, assorties de ce qui ressemblait à un micro.

— Vous voulez que je m’attache à nouveau, c’est ça ? Allez-vous faire foutre !

Comme vous voulez.

Et la lueur sur le micro s’éteignit.

Gerald grogna et balaya la pièce du regard. À part une couchette minimaliste, il n’y avait rien pour se dissimuler de l’œil intrusif de la caméra. Tant pis, il allait retirer ce plug au vu et au su du robot. Ce n’était qu’une machine, de toute façon.

Mais en passant la main sous la blouse de polymère transparent qui lui servait de vêtement, Gerald découvrit que le plug était fixé à son aine par un harnachement aussi serré que rigide. Lorsqu’il tirait dessus, les courroies entre ses jambes comprimaient douloureusement ses bourses. C’était impossible de l’enlever.

Après s’être acharné pendant de longues et douloureuses minutes, Gerald jura.

Le micro se ralluma aussitôt.

Il faut un code. Passez vos poignets dans les bracelets et placez le collier sur votre cou. Quand se sera fait, je viendrais vous enlever le plug de dressage.

Dressage... comme s’il était un animal ! Gerald lâcha un chapelet d’insultes. Puis, le micro restant silencieux, il se résigna.

— D’accord, murmura-t-il. Je vais les passer, vos trucs !

Le collier ressemblait à un simple morceau de métal noir, souple et ouvert. Mais lorsqu’il le posa contre sa peau, il s’ajusta parfaitement, et se referma autour de son cou avec un léger chuintement.

Les bracelets, maintenant.

Gerald s’exécuta en grommelant. Les bracelets étaient plus voyants. Épais et faits de métal argenté, ils ressemblaient presque à un bijou. Une petite boucle sur chacun d’eux permettait d’y fixer quelque chose, comme une chaine. A l’instar du collier, ils se fermèrent automatiquement.

Foutu tech’ ældienne, jura Gerald intérieurement.

Il y avait quelqu’un derrière lui. Gerald se retourna et se trouva nez à nez avec un grand type blond, dont la silhouette parfaite se découpait sur la porte ouverte. Une IA.

— Suivez-moi.

*

Gerald s’était attendu à ce qu’on l’enchaine à nouveau, mais l’IA le laissa libre de ses mouvements. Il le conduisit le long de couloirs interminables, jusqu’à une pièce si lumineuse que Gerald en cligna des yeux. Un bureau d’une plate banalité, constituait l’unique meuble de la pièce.

— Asseyez-vous, lui ordonna l’IA en lui désignant une chaise.

Gerald, après avoir prudemment contrôlé les alentours, s’assit. Le robot fit de même, de l’autre côté du bureau.

— Gerald, c’est ça ? Je m’appelle Brüder. Je suis l’aide de camp du seigneur Nimrod : c’est moi qui serait chargé de votre confort et de votre sécurité pendant votre séjour parmi nous.

Le susnommé garda un silence obstiné. Le dénommé Brüder finit par reculer sur sa chaise.

— Bon... on aura tout le temps de faire connaissance plus tard. Pour l’instant, Vlad doit nous quitter. Je vous laisse lui dire au revoir.

Derrière lui, la porte s’ouvrit avec un chuintement suave. Vlad... il était donc encore à bord. Gerald tourna un regard luisant de rage envers l’IA qui l’avait capturé. Ce dernier affichait un air contrit.

— Mon Maître n’a pas accepté le cadeau offert par le Seigneur Nimrod. Mais il offre tout de même le perædhel. Nous repartons en quête d’une femelle ældienne.

— Une offre bien généreuse... j’espère que le seigneur Æshma finira par trouver son bonheur.

— Je l’espère aussi.

J’espère qu'il crèvera en essayant, pensa Gerald très fort.

Mais Vlad s’était tourné vers lui.

— C’est une chance que le seigneur Nimrod t’ai repêché lors de ta pathétique tentative de fuite. Quoique tu ne serais pas allé bien loin... enfin. Il saura te dresser. Je me réjouis que tu aies cette opportunité de découvrir qui tu es vraiment, et d’apprendre quelle est ta vraie place en ce monde. Le Seigneur Nimrod est un très bon maître. Implacable, peut-être, mais juste.

Gerald lui rendit son regard. Dans la pénombre, son visage si agréable prenaient des angles félins, le faisant ressembler à un prédateur.

— Toi, asséna-t-il en pointant un doigt menaçant sur l’IA. Je t’oublie pas. Un jour viendra – n’importe quand, dans six mois, un an, dix ans – où me trouveras derrière toi. Je sortirai tes circuits imprimés de ton putain de cerveau de robot et je les dézinguerai à coup de fer à souder, jusqu’à ce que ta personnalité ne soit plus que de la poussière de silice. Tu verras…

Vlad resta immobile et silencieux. S’il avait été humain, sa pâleur aurait pu être interprétée pour de la peur.

— Tu sais ce qu’on dit, Vlad, sourit vicieusement Brüder. Les perædhil se souviennent toute leur vie de qui leur a fait du tort... et celui-là n’a pas l’air de plaisanter. Mais il n’y a pas lieu de s’inquiéter : après l’entrainement, il deviendra doux comme un agneau, et lorsque tu le recroiseras, il te remerciera. Sinon... l’univers est vaste !

*

Avoir passé ses nerfs sur le robot avait redonné des forces à Gerald. Il se sentait près à en découdre avec n’importe qui, y compris avec l’exogène qui l’avait acheté. Il savait que ce dernier n’allait pas le dévorer : les ældiens ne mangeait pas leurs pairs. Il veut sûrement m’utiliser comme singe savant, pensa Gerald. Je vais lui montrer les bons tours que je connais ! Il sera pas déçu, ce salopard.

Mais rien de tout cela n’arriva. Le robot lui avait rendu ses vêtements et l’avait conduit dans une pièce étrangement agréable, qui évoquait l’opulence d’un monde qu’il n’avait jamais connu. Banquettes immaculées, fournitures confortables, minimalistes mais toujours pratiques : la cellule où il se trouvait ressemblait plus au living d’un astronef de croisière qu’à la cuisine d’un extraterrestre anthropophage. Gerald se laissa prendre par ce décor inoffensif. Ce ne fut qu’en entendant le déclic du verrouillage de la porte qui venait de se refermer derrière lui qu’il comprit qu’il avait été berné.

Tant pis. Quoiqu’il arrive, je vendrai ma peau trop cher pour eux, décida-t-il en effleurant la lame de rasoir qu’il avait réussi à cacher dans sa veste.

La sensation d’une présence l’incita à se retourner immédiatement, son surin en main. Il n’était plus seul. En face de lui se tenait un autre homme, bien organique celui-là. Entre trente-cinq et quarante-cinq ans, la constitution robuste, le crâne presque rasé, un début de barbe noire sur sa mâchoire solide. Des yeux gris glacier, durs, qui le fixaient. Plutôt beau mec. Les deux hommes se fixèrent en silence, sans bouger, figés entre la défiance et l’hostilité.

La voix désincarnée de Brüder résonna alors.

— Sorj, je te présente ton nouveau camarade, dont on ignore le nom pour l’instant. Il est nouveau, sois gentil avec lui.

Nouveau ? Gerald comprit alors, que, quoiqu’on lui demande de faire, il ne serait pas tout seul.

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