Révélation

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À huit heures quinze précises, heure solarienne, Ziad Hosseini eut la surprise de voir Vlad Vagner se présenter devant la porte de son bureau. Vlad était l’IA de protocole à la botte d’Æshma. Comme beaucoup d’IA de ce type, il arborait ce qu’on considérait comme le physique parfait à une lointaine époque : il était grand, athlétique, lisse comme une carlingue neuve et blond comme une spatiopute.

Il vient me donner la réponse d’Æshma directement, songea Hosseini en le voyant apparaître sur son écran de surveillance.

— Fais-le entrer, ordonna-t-il à son aide de camp.

Vlad entra sans se départir de son sourire figé, qui lui remontait la peau au coin des yeux et de la bouche comme une marionnette de ventriloque. Hosseini détestait les IA incorporées. Surtout celles qui se choisissaient une interface d’officier SS et servaient délibérément les ældiens.

— Oui ? demanda-t-il froidement lorsque l’androïde s’arrêta devant lui.

— Le seigneur Æshma m’a chargé de vous informer qu’il quitte votre station. Il vous remercie pour votre aimable hospitalité et le cadeau que vous lui avez envoyé.

Hosseini agrippa les accoudoirs ouvragés de son fauteuil, interloqué.

— Le cadeau ? Mais je ne lui ai rien envoyé !

Soudain, il réalisa. Le semi-humain. Gerald Zrivian.

— Oh, mais si, chuinta l’IA en élargissant son sourire factice. Vous lui avez offert quelque chose de très précieux et de très rare : pour cela, il vous remercie.

Hosseini se gratta l’arrière du crâne, puis il appuya sur le bouton de son bureau qui commandait la trappe du bar.

— C’est que… enfin, ravi que ça lui plaise. Et… que compte-t-il faire par rapport à ma requête ?

Le visage du robot redevint froid comme les cubes de glace qui tombait dans le verre.

— Votre requête ?

— Je veux dire, mon humble demande… par rapport à ce manutentionnaire militaire, Sorj Mannel.

L’IA sembla soudain se souvenir.

— Ah, oui. C’est pour cela qu’il est parti. Il va vous l’échanger.

— L’échanger ?

— Tout à fait.

— Contre quoi ?

— Contre le perædhel que vous lui avez envoyé.

— Le peré…

— Le semi-ældien.

Hosseini garda le silence un moment. Sa glotte était si serrée que même le Maker’s Mark de synthèse ne passait pas.

— Les semi-ældiens sont très prisés chez les Maîtres, crut bon de préciser Vlad Vagner. Ils ont à la fois la fragilité humaine et la beauté ældienne, et font souvent des esclaves dociles.

Docile… d’après ce qu’il avait vu de ce Zrivian, avec sa morgue insolente et ses états de service – il avait souvent pris des blâmes pour violence –, les ældiens allaient sans doute déchanter.

— Qu’est-ce qui va lui arriver ?

Hosseini en avait une légère idée : le semi-humain était un petit voyou de spatioport, mais il avait une gueule d’ange, avec ses cheveux blonds, sa moue boudeuse et ses yeux verts. C’est un genre de curiosité malsaine, une envie de se faire mal comme un bouton à gratter, qui l’avait poussé à demander.

— Oh, eh bien, il prendra la place de Sorj Mannel.

— C’est à…

Cette fois, Hosseini sut s’arrêter à temps. Il ne voulait plus savoir. Mais l’IA vissa son regard cristallin sur lui, et articula lentement, dans un large sourire de grand blanc :

— Esclave sexuel. Serviteur assigné au bien-être génital du seigneur Nimrod pendant ses périodes de rut. Et même au-delà, si j’ai bien compris. Le seigneur Nimrod a un goût très prononcé pour les coquelets humains pleins de fougue et de mâle fierté comme votre jeune mécanicien. Il les préfère à vos femelles, qui se révèlent souvent infertiles, d’ailleurs.

Hosseini avala le contenu de son verre cul sec. C’était faire injure à un si bon whisky, mais là, il n’avait pas eu le choix.

Le bien-être génital du Seigneur Nimrod. Ses périodes de rut. Combien de temps encore les humains allaient-ils subir le joug de ces animaux cruels et voraces, assoiffés de sexe, qui ne les aidaient que par pur opportunisme et stupide course au prestige ?

Hosseini revit mentalement les images de Sorj Mannel, impitoyablement violé par les verges monstrueuses et luisantes de foutre extraterrestre des invités d’Æshma. Pour ce qu’il en avait vu derrière le masque terrifiant qui dissimulait ses traits – les invités portaient tous leurs armures de guerre, même pendant le viol –, Nimrod n’avait pas quitté la scène des yeux. Il avait laissé son serviteur humain se faire labourer les entrailles, griffer la croupe et mordre l’épaule comme une vulgaire zubrone de reproduction. Et ces nerds abrutis d’archivistes prétendaient que les ældiens étaient dépositaires d’une culture raffinée, capables des sentiments les plus nobles et passionnés de toute la galaxie… mais tout ce que lui, Hosseini, en avait vu, c’était une poignée de barbares en armure, brutaux comme des nophilim, qui passaient leurs temps à guerroyer, esclavagiser et violer, avant de mourir pour « l’honneur » et le « prestige », en général stupidement.

Bon. La bonne nouvelle, c’est que Sorj Mannel allait bientôt être libéré des griffes de ces monstres. Mais dans quel état allait-il revenir ? Il faudrait sans doute le reconditionner, lui laver le cerveau. Cette nouvelle faction paramilitaire antiterroriste en charge de la sécurité du Réseau, ce SVGARD, faisait ça très bien, à ce qu’on racontait. Quant au semi-humain… disons qu’il allait payer pour la part ældienne de son ADN.

Hosseini reposa son verre sur la plaque noire du bureau.

— Bon. Merci de m’avoir prévenu. Transmettez tous mes bons sentiments au seigneur Æshma. Dites-lui qu’il est le bienvenu ici, quand il reviendra.

— Je n’y manquerai pas. Il a bien l’intention de revenir… grâce à vous, il gagnera peut-être quelque chose de précieux dans cette transaction.

Plus précieux qu’un jeune métis semi-humain à violer ?

— Ah oui ?

— Il semblerait que le seigneur Nimrod ait mis la main sur une femelle humaine fertile. Très peu de vos femelles le sont, et les autres conçoivent des difficultés à porter et mettre au monde les portées ældiennes… Or, le Peuple a cruellement besoin de nouveaux petits. Lorsque Nimrod aura eu les siens, il échangera sûrement cette femelle contre le perædhel, avec votre Sorj Mannel. Le perædhel, en lui-même, est un miracle. Très peu survivent, vous savez.

Hosseini serra les dents pour ne pas hurler. Cette conversation allait de mal en pis, et cet enfoiré de Vlad le savait.

— Dites-moi, Vlad… s’enquit Hosseini en remplissant à nouveau son verre. Je voudrais vous demander quelque chose, qui me chiffonne depuis le début… où sont les femelles ældiennes ?

Le regard de Vlad prit une expression hantée, un air d’adoration divine qui étonna Hosseini. Il n’avait jamais vu l’androïde comme ça.

— Les femelles ældiennes… les ellith… si vous les aviez vues, pauvre malheureux, vous ne pourriez plus manger ni dormir ! Ces superbes déesses, ces danseuses célestes, se tenaient à l’apex de la société ældienne autrefois. Tous ces seigneurs de la guerre qui se battent pour vous aujourd’hui, si fiers et terribles, ployaient le genou devant elles, s’entretuant pour le sublime honneur de planter leur semence dans leurs ventres sacrés. Mais – à cause des humains, de leurs poisons, de leur stupide destruction des portails et traque des ellith restées derrière – elles sont devenues infertiles. Puis, petit à petit, elles ont disparu. Il n’y a plus de femelles ældiennes aujourd’hui, même si certains seigneurs continuent de les chercher avidement.

Hosseini faillit en hurler de soulagement. Allah miséricordieux ! Dieu, finalement, était encore avec eux. Privés de femelles et de descendance, les ældiens étaient condamnés. Il allaient disparaître. Et cet idiot de robot qui lui avait révélé cette information cruciale, si sûr de lui…

Je dois prévenir les gradés. Il faut arrêter de fournir des mutants porteurs de doubles chromosomes X aux ældiens.

Mais à qui le dire ? Le Commandant suprême de la Flotte, le grand Ahmed Aden, n’aurait jamais accepté de trahir son maître et amant. D’autres, peut-être, refuseraient de trahir les ældiens, par peur ou désir de bénéfice… il se racontait que les ældiens pouvaient récompenser leurs serviteurs les plus fidèles en les rendant immortels, en leur chair même. Dans cette conjoncture, il importait de se méfier de tout le monde… si on le dénonçait, et même si on faisait mauvais usage de cette information, il était foutu.

Le SVGARD. Hosseini savait peu de choses sur cette faction mystérieuse, si ce n’est que, dans ce qui restait des colonies humaines, elle faisait plus ou moins office de police des polices. On les disait austères, au service d’un idéal désincarné et inhumain, délivré des passions et faiblesses de la chair. Mais il était de source unanime qu’ils haïssaient les ældiens et refusaient la moindre compromission avec eux. S’il y avait des gens à qui transmettre ce qu’il venait d’apprendre, c’était bien eux ! 

Hosseini avait retrouvé son sang-froid et son visage lisse. Il se servit un dernier verre, le tendit devant Vlad – inutile de lui en proposer, les IA ne buvaient pas – et il sourit.

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