Déjà-vu

4 minutes de lecture

Gerald voyait très bien dans la pénombre. Il n’eut aucun mal à discerner les fleurs étranges et la végétation tentaculaire qui prospérait entre les entrelacs d’or – les mêmes sculptures qu’il y avait sur la porte – ni la silhouette qui se découpait au bout de ce goulot moite comme une bouche. Quelqu’un l’attendait, les bras croisés dans le dos comme un général sur le champ de bataille. Gerald ne se laissa pas impressionner. Ce n’était qu’un humain, comme lui, et toute la mise en scène du couloir l’avait laissé de marbre. Il l’avait rejoint sûrement plus vite que ce qui était prévu. Du reste, il dépassait ce sous-chef au visage glabre d’une bonne tête.

— Vous êtes l’envoyé du Contre-Amiral Hosseini ? demanda l’homme en le scrutant.

Gerald hocha la tête. Le type dégageait une odeur de silicium et de polymère. C’était un androïde.

— J’ai une missive de sa part, fit Gerald en faisant mine de sortir quelque chose de sa poche.

L’IA le regarda lutter avec ses gants de sortie – qu’il dut enlever afin d’être à même d’accéder à sa poche interne.

— Vous pouvez retirer votre casque, l’air est respirable pour vous, ici, l’informa l’IA.

— Je repars tout de suite. Voilà la lettre.

L’IA baissa les yeux sur la main fine et gantée qui lui tendait la missive. Il la prit, puis son regard revint distraitement sur Gerald, avant d’être accroché par la chaine qui sortait de sa veste entrouverte. Cela ne dura pas longtemps, car Gerald s’empressa de la zipper à nouveau. Il n’avait qu’une hâte : repartir.

Mais c’était trop tard. L’IA l’avait vu.

— Ce sont des crocs d’ældien… commença-t-il en plissant les yeux.

Gerald, qui avait remis ses gants, s’apprêtait à reprendre le couloir.

— Mhm ?

— Ce que vous portez autour de votre cou, au bout de cette chaine… montrez-voir !

Gerald secoua la tête.

— J’ai pas le temps. Je dois retourner à mon poste le plus vite possible. Je suis payé à la tâche, moi. Je ne suis qu’un manutentionnaire.

Il lui avait lancé ce leurre comme un pilote larguerait de la ferraille pour tromper les missiles. Et, comme tel, il n’attendit pas la riposte de l’ennemi. Il se dirigea vers le couloir, qui avec cette petite lueur au bout – la porte était encore ouverte – ne lui avait jamais paru aussi accueillant.

Mais, au moment où il s’apprêtait à poser le pied sur la ligne dorée, une poigne de fer lui broya l’avant-bras.

Gerald ne supportait pas qu’on le touche. Adolescent, il avait tué quelqu’un pour ça. Il se battait comme une teigne, comme un animal acculé. Sa réaction fut à la hauteur de l’agression, et il se dégagea avec une force qui parut surprendre l’androïde, en le repoussant en arrière du même coup.

L’IA tituba. Puis il releva les yeux sur Gerald, dont le visage derrière l’écran fondu du masque reflétait un rictus de pure rage.

— Me touche pas papy. C’est la dernière fois que je te le dis, lâcha-t-il avant de poser le pied dans le couloir.

Le robot ne répondait pas : en fait, il avait l’air hors tension. Parfait. Gerald avait toujours son petit « pic à glace » dans sa poche, un outil de mécano qui servait de surin aux voyous et pouvait aisément mettre hors de nuire un androïde, si on était habile et qu’on savait où frapper.

Gerald reprit le chemin inverse. Mais cette fois, le couloir lui parut moins accueillant, encore plus étroit. Le petit point lumineux au bout qui indiquait la présence de la station semblait minuscule. Il était loin, si loin ! Gerald se rappela cette ancienne et monumentale fusée abandonnée dans un quartier évacué dans les bas-fonds de Taros qu’il avait visité une fois avec une petite bande de voyous. On y entrait par une porte latérale qui, une fois débloquée, était aspirée au fond sur plus de cinq cents mètres. Mais le système était défaillant, et, une fois à l’intérieur, Gerald avait entendu un sifflement lointain : c’était la porte qui revenait. Ils avaient couru vers la sortie comme des dératés pour ne pas faire pulvériser par ce couvercle de titanium renforcé catapulté à une vitesse folle, puis s’étaient jetés dans l’eau jaunâtre et contaminée dans laquelle baignait la fusée. Grâce aux sens de Gerald, ils avaient pu sortir, mais un des gamins y laissa sa jambe.

Gerald était animé par le même sentiment d’urgence aujourd’hui. Cette fois, c’était la porte qui s’éloignait, ou lui qui n’avançait pas. Il avait même l’impression de s’enfoncer, comme de la mélasse… le sol était devenu mou. Gerald ne parvenait plus à lever ses pieds, et le glacis noir montait à vue d’œil, jusqu’à ses genoux.

Qu’est-ce que c’est que c’te merde…

Sa taille était prise. Et la mélasse montait de plus en plus.

Putain… putain !

Gerald voulut se débattre, mais c’était inutile. Il ne parvenait plus à bouger d’un centimètre. Il était englué dans cette matière noire, comme un insecte dans une toile d’araignée.

Avant qu’elle ne le submerge entièrement, il jeta un dernier regard à la porte, au loin. Elle s’était refermée.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0