Un ersatz de plan finit par germer après le second spliff, roulé par les doigts d’orfèvre de Porc-Salé. Entretemps, Tupinet avait envoyé deux larrons aller à la retape là où ils trainaient d’habitude au cas où Milord aurait voulu les toucher, mais après une heure sans nouvelles, même lui commençait à se rendre à l’évidence qu’ils n’étaient plus en odeur de sainteté. Le gonze ne tenait plus en place et faisait les cent pas dans la boucherie désaffectée.

— Je te dis, c’est un plan de merde, répétait-il à chaque passage.

 Désidérata, qui jouait avec un couteau papillon, laissa échapper un ricanement.

— Il a pas tort, Floflo. Je te croyais un peu plus futé que ça quand même.

— Appelle-moi Carneski, je répondis par habitude. Et mon plan est solide.

 Mon plan était un veau à peine né, il tenait à peine debout et il biglait pas plus loin que le bout de son mufle. Mais c’était tout ce que j’avais pour le moment. Je blâmais les trop nombreux coups sur la carafe de ce reluit.

— Je sais, vous avez pas envie de fricoter avec la rousse. On balance pas ses potes. Mais c’est moi qui vais la tuyauter. Vous aurez rien vous reprocher, je suis pas des vôtres. Dites-vous qu’on fait que conclure une transaction entre capitaines d’industrie. C’est du bizness, voilà, c’est tout. Vous me tirez une épine du pied, je vous tire une épine du pied.

— J’aime pas trop qu’on se fasse du pied avec l’épine, et puis c’est toujours un plan de merde, marmonna Tupinet.

 Porc-Salé éclata de rire. D’autres suivirent.

 Le plan, au mieux bancal, consistait à faire agir l’une contre l’autre des forces contraires, puis de grinchir ce qu’on voulait de sous leur tarin. D’abord, Tupinet devait faire circuler le bruit que la rousse avait une opération dans les bacs, que ça visait Milord et sa combine avec la bouquetière. C’était une manière de mettre les choses au point sur pourquoi Tupinet et ses collègues faisaient profil bas, mais le but était surtout de forcer la main de Milord, de l’empêcher de distribuer la came et de révéler où était la care.

 Pendant ce temps, en tuyautant la police sur le trafic de la fleuriste et du rôle joué par Milord, on donnait corps à la menace. Si ça créait l’occasion de faire tomber Milord, Tupinet et Désidérata avaient l’opportunité de prendre sa place. Pour que ça marche, il faudrait avoir le cul bordé d’un sacré paquet de nouilles, aussi consacrai-je moins d’énergie à améliorer le plan qu’à trouver une voie de sortie pour mézigue. Pour l’instant, tout ce que j’avais était de faire mes valises, de faire mes adieux à Parcimonie et d’aller me mettre au vert quelque part où il fait un temps de clebs et où l’affe est encore plus misérable. Tout le monde cherche une herbe plus verte, moi je préférais opter pour une herbe plus sure.

 Je tirai une dernière taffe et écrasai le spliff, l’air de dire que tout était décidé et que s’ils avaient quelque chose à redire, il pouvaient en parler à mon cul de joint.

— Lambinez pas trop pour faire remonter le tuyau jusqu’à Milord. Moi, j’ai rendez-vous avez la maison poulaga. Je sais pas combien de temps ils vont me faire manger l’annuaire, mais vous pouvez compter sur une descente dans la soirée ou demain matin à l’aube.

— Floflo, dis-moi qu’on peut te faire confiance.

— Je vais pas vous doubler si c’est ce que tu insinues, Dési. Et appelle-moi Carneski.

— Pourquoi tu l’appelles Floflo ? Tupinet demanda.

— Quand j’étais gamine, je l’appelais comme ça pour l’emmerder, parce qu’il aime pas son blase.

— C’est quoi, son blase ?

— Phlomide.

 Je quittai la boucherie sur cette trahison et sous de nouveaux éclats de rire.

***

À la maison poulaga, toute la volaille était en ébullition. Bien sûr, l’attaque du panier à salade en était la cause. On ne crame pas des collègues sans mettre toute la maison sur les dents. Je repensai à Brumidhose, victime collatérale de l’embuscade, et me sentis malgré moi envahi d’un sentiment étrange. Il allait me manquer, ce con. Et je pensais presque pas à la trop brève promesse de toucher le grisbi.

 Un argousin sans grade interrompit mes contemplations. Il me demanda ce que je venais faire ici, alors j’inspirai un bon coup, encore pris par les émotions. Au moins, la mort de Brumidhose me servirait à quelque chose. Quand je lui répondis, j’y mis du trémolo entre deux reniflements.

— Monsieur l’agent, j’ai été victime d’un enlèvement. J’étais dans le fourgon de police qui a été attaqué ce matin et ces mal-en-train m’ont enlevé, ils… c’était une bande de trafiquants de drogue !

 Tous les cognes à portée de voix ne bougeaient plus. Ils me fixaient avec intensité, hésitant entre m’arracher les vers ou les poils du bourre-pif. Un coup de châsses sur tous ces gusses à cran et qui portaient tous une arme à feu me rappela une dernière fois combien mon plan était foireux.