Ça va aller comme sur des roupettes

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Dans la salle d’escrache où on m’avait enfermé, j’avais dû piquer un roupillon parce que je fus réveillé par une grosse claque indirecte, un coup du plat de la main sur la table qui me fit vibrer les esgourdes internes. Ça sonna comme un grelot à la parade et je me redressai prêt à saluer le drapeau.

— Carneski… Si je m’attendais à ça. Tu savais qu’on allait sortir un mandat d’arrêt pour ta pomme ?

 La paire de condés qui s’est assise en face de mézigue ne m’était pas inconnue. Les officiers Édelfose et Crassicolle étaient le genre de balochards qu’on retrouve dans n’importe quel comico et qui passent leur temps à lambiner sur des affaires sans intérêt. Chacun arborait le même gras-double qui déborde de la ceinture, une calvitie squameuse et un manque d’hygiène général qu’on ne remarquait pas trop tant qu’on leur demandait pas de bouger leur derche du bureau où ils étaient encroutés. Si on ne les captait pas au premier coup de châsses, il suffisait de les écouter, toujours sur le point d’entamer leur taf ou interrompus alors qu’ils étaient à deux doigts de commencer une tâche importante. Bien entendu, ils n’avaient pas encore eu le temps de s’occuper de mon mandat alors que ma disparition datait déjà de plusieurs heures.

— Vu que tu nous facilites le boulot, on va être tendres avec toi, fit Édelfose.

 La torgnole de Crassicolle me rappela que les gonzes pratiquaient le sarcasme à un niveau professionnel. C’était même une de leurs plus grandes fiertés.

— Si t’avais pas pigé, guignolo, c’était du sarcasme, m’informa Crassicolle. T’es cuit, ducon. T’as fourré ton nez dans la merde de trop et on va te faire payer.

 Leur jeu moisi de mauvais flic, flic pas très bon commençait déjà à me courir. Si j’avais eu à faire avec des argousins plus sérieux, j’aurais pas donné cher de ma couenne. Mais face à cette la paire de pendeloques plates, j’étais presque déçu par la gageüre. Le daron Massepain avait vraiment pas envie de boucler l’affaire de la bouquetière. Ou personne d’autre était disponible. Tout le monde était occupé à quoi exactement ?

— Messieurs, vous êtes la fine fleur de la police et je suis venu ici de mon plein gré pour coopérer, pas besoin de me rudoyer.

 Crassicolle armait déjà sa mandale, aussi j’accélérai le processus.

— Je sais qui est responsable de la mort de la fleuriste Félicia Vistemboir et je suis au courant de l’opération qui avait lieu par le truchement de sa boutique. Je sais que la fleuriste recevait une cargaison de came qu’elle répartissait dans des bouquets. Ces bouquets étaient ensuite achetés par un individu connu dans le milieu sous le pseudo de Milord. Milord payait la came avec la tune de ses dealeurs et le cycle recommençait. Vous suivez jusque-là ?

 Les deux se léchaient le blanc de l’œil, l’air de demander à l’autre ce que je balnavais exactement.

— Mais tu balnaves quoi exactement ? fit Édelfose. On va juste te coffrer pour… pour quoi au fait ?

— Pour… commença Crassicolle en fouillant dans un dossier qui ne contenait que deux fafiots à peine noircis d’encre.

 Il fit laborieusement défiler un boudins gras le long des premières lignes du premier papelard.

— … pour conspiration et évasion.

— Je me suis pas évadé, on m’a kidnappé. Et je ne conspire pas, je déconspire. Je suis venu demander votre aide, je suis une victime.

 Édelfose frappa du poing sur la table.

— Si t’es pas coupable d’évasion, pourquoi tu t’es évadé ?

— On m’a kid-nap-pé.

— Et pourquoi on t’aurait kidnappé ?

— Parce que j’en sais trop !

 Édelfose fit la moue.

— C’est vrai que t’as l’air d’en savoir beaucoup. C’est qui, cette… Bistouquette ?

— Vistemboir. C’est la fleuriste qu’on a retrouvée morte ce matin, rue Chandrabindu.

— Ah oui, c’est son copain qui l’a tuée, askip.

— Askip on est sur l’affaire aussi !

 Les deux caves éclatèrent d’un même rire gras.

— Dis voir, toi qui sais tout : où il se planque ?

— Qui ça ?

— Noxal Coudelattes, le copain de la fleuriste.

— Pourquoi vous dites qu’il l’a tuée ?

— Dettes de jeu.

— Oh. Ça explique pas mal de choses, alors. Mais il l’a pas tuée. Il a sans doute provoqué la série d’emmerdes qui ont mené à sa mort, mais il l’a pas tuée. Elle s’est suicidée.

 Pour faciliter la réinvention de l’arithmétique par deux zéros, j’additionnai deux et deux pour eux, pour qu’ils déboulent sur l’inévitable conclusion : je venais de faire leur taf et de boucler l’enquête. Avec des dettes de jeu, si Coudelattes connobrait les magouilles de sa largue – et j’aurais mis mes aumônières sur la table qu’il les connobrait –, il avait dû être tenté d’endormir un sac ou deux de grisbi confié à Félicia en croyant pouvoir se refaire, puis de remettre la tune “empruntée” là où il l’avait trouvée. Et la loi des probabilités me disait que Coudelattes avait foiré et perdu tout le blé chouré, qu’il avait mis les bouts, laissant la bouquetière dans la mouise. Ça expliquait le chambard dans l’ordre des choses et le coup de cafard de Félicia, entre le crève-cœur de la judacerie par son Jules, les foies de ceux qui chapeautait le trafic et que sais-je encore. Si Coudelattes avait claqué Félicia, ça aurait été dans un coup de sang, ça aurait été violent. Ça ne collait pas avec l’empoisonnement.

— Édi, j’t’avais bien dit qu’il nous faciliterait la vie, siffla Crassicolle. On vient de résoudre notre premier meurtre par suicide !

— Faisons une pause. J’ai jamais autant bossé de toute ma vie.

— Hep, je les stoppai. Vous oubliez la chnouf.

 Ils me lorgnèrent comme si j’imposais des heures sup’ à leurs neurones à temps partiel.

— Vous avez juste à mettre la brigade des stups au jus que Milord dort sur de la came. Si vous voulez le coffrer pour son biz, c’est maintenant ou jamais.

— Bof, renifla Crassicolle, on a rien à gagner.

— Si mon tuyau fait tomber un daron de la chnouf, vous gagnerez quelque chose.

— L’attention des patrons. Genre, ils attendront des résultats.

— Ou vous pouvez demander une valse vers une bonne planque.

— Non, mais on est bien où on est.

— Croyez-moi, vous allez vouloir la planque. Parce que j’ai pas dit qui était mouillé dans le biz.

— Qui ça ?

 Je les sentis soudain fébriles comme s’ils sentaient que j’allais leur coller le bourre-pif dans la merde surnuméraire mentionnée au tout début de l’escrache. Je savais que je risquais gros, mais je me disais qu’ils étaient trop teubés pour être si malhonnêtes, aussi je crachai le morceau.

— Votre daron en ligne directe, le commissaire Massepain.

— Je t’avais bien dit qu’il nous faciliterait pas la vie, le con !

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