Mettre du beau moqueur

5 minutes de lecture

Après un bon quart d’heure de mamours avec des apôtres turgescents et des groles éléphantesques, je déboulai à peu près debout dans la fleuristerie. Un exploit. Ça tenait presque du miracle. J’avais l’impression de flotter sur l’eau de cuisson en p’tit Jésus de la vinaigrette. Le côté mi-épique miasmatique de la performance allait bien à l’affaire. Même que les raisins crachés par grappes en accentuaient l’effet, les bouloches de chaussettes qui m’entravaient la gargue aussi.

Près de l’entrée, une mirante occupait tout le mur. J’y zyeutai ma gueule en quinconces, la peau tatouée de pointures entre 36 et 46, mes bras ballant dans le mauvais sens. Mon reflet augurait de lendemains difficiles. Pourquoi je me donnais autant de peine alors que j’avais pas encore de client ? Je préférai ignorer la question, j’aimais pas la réponse. Demande-toi plutôt pourquoi Brumidhose t’attend sur un banc au milieu des bouquets de fleurs.

J’époussetai mon poitrail pour faire bonne figure, mais surtout pour me palper les barreaux de la cage. Si ça lui prenait de me coller d’autres mandales, je préférais lui présenter des bouts de gras qui avaient été épargnés, histoire d’égaliser entre les bosses. Sauf qu’il n’en fit rien. À la place, il sortit une boite à cachous de sa poche, la tapota pour se servir et me la tendit. Je haussai des épaules et approchai, mais déclinai l’offre avec un brin d’asticotage :

— J’aurais jamais dit que t’étais du genre à toucher ton cachou.

Si Brumidhose avait pris la mouche, il ne le montra pas trop. C’est-à-dire qu’il ne me tamponna pas la boite à cachous sur le front..

— C’est une insulte ? il demanda dans un souffle.

— Bien sûr, mais pas dans le sens que tu crois.

On se bigla dans le blanc des yeux façon chiens de faïence. Finalement, il lâcha un ricanement et rangea sa boite dans une grimace. C’est là que je vis le filet rouge sous l’étagère à mégots, les doigts comme des pilons trop frits, les coutures déchirées… Il ne faisait pas la paix, il demandait une trêve que je n’avais ni le cœur ni la force de refuser. Je vins poser mes miches osseuses sur le banc et lui tapotai l’endosse.

— Je te traitais juste d’idiot, rien de neuf. Par contre, depuis quand tu cognes aussi dur ?

Peut-être qu’il allait baisser un peu sa garde. Je venais d’admettre qu’il m’avait pas raté.

— Ordres du nouveau taulier.

— Quoi ? je fis dans un sourire faussement jouasse. Ton daron t’a personnellement mis la pression pour apprendre à cogner ?

— Tout comme. Quand il s’est pointé il y a six mois, il a fait le ménage dans les défectifs de la police. Obligation de rendement, qu’il disait. Et comme je suis que simple agent…

— Mais de rien.

— … ça consistait pour moi à apprendre à mieux avoiner. Il fait aimer le boulot, voilà, je l’ai dit. Et puis, c’est un mec de terrain. Avant lui, aucun taulier se serait déplacé pour une vulgaire fleuriste. Ça fait chaud au cœur de voir le patron s’impliquer en chien à nonos dans ce saucisson.

Un saucisson chez la poulaille, c’est une affaire sans intérêt, un dossier vite ficelé et vite rangé. Le mot collait pas vraiment avec tout le bastringue qui avait été déployé dès l’aube. Entre deux migraines qui pointaient, je glissai l’info derrière l’oreille. Je sentais qu’il faudrait approfondir la question, mais j’oubliais pas à qui je causais, à un condé qu’avait plus d’une ratiche contre mézigue. Je changeai de sujet :

— En tout cas c’est le cran au-dessus niveau peignée. Tes collègues et toi, vous y allez plus au peigne fin. C’est plutôt le peigne gros.

Brumidhose me toisa comme si j’étais né de la dernière bavure.

— T’as eu que ce que tu cherchais. Tu crois que ça valait la peine de te prendre cette peignée ? Tout ça pour quoi ? Pour un client qu’est même pas là. Pourquoi t’es pas rentré chez toi, hein ?

— Et toi, pourquoi tu vas pas pisser dans les glaïeuls ?

Et bouse. Je venais de déclencher le chrono de fin de la trêve. C’était plus fort que moi, mais le condé me tapait vraiment sur les nerfs.

— T’es bouché à la mairie ou quoi ? bava Brumidhose lui aussi à cran. Il est pas ici, ton client ! Y’a personne !

— J’ai dit que mon client m’attendait, j’ai jamais dit qu’il était ici.

Au fond, je savais que jouer sur les mots face à un gonze à peine plus lettré qu’un cahier de coloriage était se battre contre des moulins à vent. Je justifiai ça par l’idée qu’il ne faisait que tendre la carotte pour se faire carotter. Même si les badigoinces refusaient d’obtempérer, je tentai de sourire pour faire passer mon entourloupe. Ça n’eut pas l’air d’en retourner une chez Brumidhose qui levait les yeux au ciel, les mains jointes, l’air d’implorer un dieu qui avait pourtant permis que ses parents le baptisent Ignare.

— Et on peut savoir qui est ton client ? il demanda une fois de retour sur terre.

Je haussai les épaules et montrai le guichet d’un mouvement de gargante. Le geste me colla un petit vertige. Je devais rester prudent, ça carillonnait toujours sous le capot.

— Faut juste que je jette un œil au fafiot.

— Quoi ? il se frappa la cuisse, plié en deux. T’as pas du tout de client en fait, baltringue, va !

La trêve s’effritait sous mes yeux. Cette tête d’âne de Brumidhose allait être plus qu’une épine dans mon pied. Il ajouta après sa quinte que de toute façon, le registre faisait partie des pièces à conviction. Tout était sous scellés. L’affaire me glissait des doigts, ça sentait le roussi. Pourtant, j’en étais persuadé, je voyais encore le bout de ficelle qui ne demandait qu’à être tiré pour détricoter tout ce fourbi. Il me fallait simplement trouver comment le choper. Ou j’aurais beau essayer, la solution, trop glissante, me filerait entre les doigts. Comme si elle était enduite d’huile.

Une huile qu’était là bien avant la cavalerie.

Pour le meurtre d’une bouquetière.

Je tentai le tout pour le tout et montrai mes cartes.

— Dis voir, c’est quand la dernière fois que t’as vu une huile sur une scène de crime ?

— Quoi ?

— Tout ce que je dis, c’est que pour qu’une huile monte au créneau, il faut qu’elle ait déjà les mains dans le cambouis. Soit parce que ça vient d’en haut, soit pour défendre son steak, pour limiter la casse, préparer une mexicaine ou faire le ménage. Alors il faisait quoi ton daron dans cette turne ? Si t’étais moins occupé à lui lécher le derche, tu sentirais sa merde.

Il me toisait avec l’air du colis jamais oblitéré. Je pige pas, qu’il disait. Mézigue, je m’étais tellement chauffé à blanc, j’additionnais deux et deux et deux encore. J’étais pas loin d’inventer la multiplication.

— Je te dis qu’une huile s’invite pas au dernier bal d’une grisette de la zone. Je te dis que ça rime à rien si tu connais pas le dessous des cartes. Je te dis que ton daron est mouillé jusqu’à la glotte et qu’il fait tout pour garder ses burnes au sec.

— Hein ?

Je me faisais l’effet du sage qui montre du doigt la lune à l’idiot. Puis l’idiot prit mon doigt et se cura le nez avec. Ça aurait pu être pire. Ça aurait pu être une olive.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire billetcognitif ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0