Mauvaises décisions (Alexis)

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You don't wanna hurt me…Yeah, yeah, yo

But see how deep the bullet lies…Yeah, yeah, yo

Unaware, I'm tearin' you asunder…Yeah, yeah, yo

Oh, there is thunder in our hearts…Yeah, yeah, yo

Is there so much hate for the ones we love?...Yeah, yeah, yo

Oh, tell me, we both matter, don't we?...Yeah, yeah, yo

— Sérieux ? Encore cette chanson ?! Putain, ça saoule là !

Alors que la radio crachait les sempiternelles paroles depuis la millième fois aujourd’hui, je ne pus m’empêcher de lâcher un râle sonore pour couvrir le son de la musique. Je basculai la tête en arrière, priant de toutes mes forces pour que cette torture auditive cesse. Mais à la place, j’eus droit à un rire sarcastique en provenance de l’autre bout de la table.

— Quoi, tu l’aimes pas ?

Je relevai les yeux et les posai instantanément sur mon oncle, une cigarette pendue à ses lèvres qui s’étiraient en un immense sourire. J’aurais presque cru apercevoir ma sœur avec son éternel sourire collé sur son visage, les traits plus fins et la pilosité faciale en moins. Mais étant donné qu’il n’avait rien avoir avec Lola, je m’octroyai le luxe de lui présenter mon majeur en guise de réponse à sa provocation.

— Tss, t’es qu’un p’tit merdeux Alexis !

— J’ai eu un bon professeur.

Ce fut à mon tour d’esquisser un sourire, ancrant mon regard dans le sien, et à lui de s’esclaffer une nouvelle fois.

— Ah, je dois avouer que mon frère a du mérite de t’avoir supporté ces vingt-et-une dernières années… Le pauvre, paix à son âme.

Ces mots suivirent de près le nuage de nicotine qu’il venait de projeter dans les airs. Très vite, j’attrapai mon paquet et mon briquet posés sur la table, lâchant dans le même temps :

— Vingt, s’te plait. Et arrête avec ça, il est pas mort !

Dès que la flamme se dévoila, je la rapprochai de l'extrémité de ma cigarette pour l’embraser. Je tirai quelques taffes, puis renchéris l’air de rien :

— Et toi alors, toujours pas décidé à m’faire un p’tit cousin ?

— Moi ? Tu rigoles j’espère ! T’as vu mon âge ?

— Mais ta nana elle est plus jeune, nan ?

— « Ta nana » non mais, tu t’entends parler sale gosse ?

— Ouais bon, la femme pour qui t’as tout quitté, quoi. « L’élue ».

Dans les détails, tout se résumait à sa famille (à savoir : son frère, ses nièces et son neveu), son salon de tatouage, sa ville natale, ses potes, et j’en passais… Tout ça pour quoi ? Une fille. Certes assez sympa, plus ou moins drôle, pas trop dégueulasse, et aussi plus jeune. Mais le fait restait qu’il l’avait délibérément fait pour une fille. Et plus j’y repensais, plus mon estomac semblait se cribler de balles. Parce que…

— Tu l’aurais pas fait pour « ton mec », toi ?

Je manquai de faire tomber la cendre de ma clope hors du cendrier. Moi ? Si j’avais été assez fou de tout laisser tomber pour… Tom ?

— Q-quoi… ?

D’une certaine manière, je l’avais fait. Mais pas pour lui, à cause de lui. Parce que ma vie était partie en vrille depuis notre putain de rupture. J’avais arrêté l’école d’art avant d’obtenir mon diplôme de graphiste, sans une once de regret. J’avais décidé de délaisser mes amis, d’abandonner ma famille pour me retrouver ici, à des milliers de kilomètres de cette ville qui me rappelait trop de trucs étouffants. Je l’avais fait parce que je me sentais perdu, que mon coeur était en miette, brisé par une putain de déception amoureuse. Juste à cause d’un mec.

Alors ouais, j’avais eu besoin de prendre l’air. Loin de tout. De partir. Mais pas pour lui. Pour moi. Parce qu’il me fallait un nouveau départ. Recommencer de zéro. Replanifier ma vie…

Je me relevai brusquement, poussant la chaise derrière moi dans un horrible son strident, plaquant mes mains contre la surface de la table.

— Tu sais quoi Owen ? Cette putain d’chanson, c’est d’la merde. Et tu sais pourquoi ? Parce qu’elle parle d’une personne tellement désespérée qu’elle est prête à faire un pacte avec celui que tout le monde appelle « Dieu », juste pour échanger sa place avec l’autre, dans le but de mieux comprendre son point de vue et d’enfin arranger les choses. Sérieux, bordel ?! Les gens font vraiment n’importe quoi par amour ! Franchement, qui te dit que t’as pas fait une immense connerie en venant t’installer ici, hein ?! Faut être complètement con pour faire un truc comme ça ! Imagine… imagine une seule putain de seconde qu’un jour elle te tourne le dos, qu’elle se casse à l’autre bout du monde. Parce que… parce que…

Boum, boum, boum. C’était le bronx dans mon corps : mon cœur cherchait à s’extirper de sa cage thoracique, mon sang pulsait fort dans mes veines, des tempes jusqu’au bout des doigts. Il me brûlait la peau, enflammait ma raison. Et merde ! Dire que certains cédaient à de stupides pulsions idylliques pour tenter de vivre le parfait amour, tandis que d’autres n’étaient même pas foutus de rester !

Owen n’avait pas cillé. En revanche, il me sondait de ses yeux émeraude, en quête d’une éventuelle réponse quant à mon pétage de plombs. Le silence s’étira comme un élastique tendu, prêt à claquer fort une fois relâché. Je me sentais tellement con. Cette colère, cette rancœur… elles me rendaient fou. Sans oublier cette foutue blessure d’injustice qui ne voulait pas se refermer. J’avais l’impression qu’on venait carrément d’y verser du sel. J’en avais marre de souffrir à cause de l’amour. Par amour. C’était comme si les étoiles que Tom avait allumées s’étaient éteintes et qu’elles ne pourraient plus jamais briller.

Enfin, j’espérais au moins qu’elles puissent diffuser une faible lueur, le temps de retrouver un semblant de bonheur…

J’inspirai profondément, expirai calmement. Les mots ne vinrent jamais, mais je m’en contrecarrai. Je fis simplement volte-face comme si de rien n’était. Jusqu’à ce qu’on m’interpelle :

— Alexis, demain, rendez-vous à dix heures au salon. Sois pas en retard ou je te ferai regretter d’être venu au monde. Et Dieu sait que ta mère me tuera pour ça.

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