Arc 1: Moi, impératrice (p1)

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Je me suis toujours vue comme un arbre, soumise aux quatre vents, mais toujours aussi solide après la tempête. C’était probablement l’une des différences avec Amélia, une femme qui n’a jamais cherché à s’échapper de son purgatoire, mais qui a fait de son mieux pour vivre avec ses démons.

Elle et moi, avions vécu nos vies de façon différente et pourtant, toutes les deux, nous n’avions jamais cru aux contes de fées. Si elle avait vécu à mon époque, aurait-elle autant souffert ? J’en doute. Malgré son statut au sommet, sa nature de femme la reléguait à une position inférieure à tout homme libre.

Après un repos bien mérité, j'ouvris les yeux. Avant même d’émettre un bâillement, mon cerveau se mit à surchauffer. J’étais assommée d’informations diverses, je poussais alors un cri à réveiller les morts. Je vis entrer avec fracas de nombreuses femmes, que je devais connaître et pourtant que je savais n’avoir jamais vues. Je les vis s’activer à mes côtés, m’habiller, me coiffer, me maquiller et me parfumer.

L'armature du corset non doublé en coutil beige écru, rentrait dans ma chair empêchant toute respiration abdominale. La robe en lin qui vint par-dessus était en deux partie. Le haut bleu couvrait les épaules à la manière d'une petite veste et était finement brodées de lys. La jupe haute rouge complétait la tenue et cachait mes bottines à lacet noires. Mes lèvres rougies, seul maquillage sur mon visage et mes cheveux nattés reposaient sur mon épaule gauche.

Je n’arrivais pas à comprendre ce qui pouvait bien se passer, où que ma vue se dirigeât, rien ne ressemblait à mon appartement. Un décor sublime : un mobilier somptueux et chargé de dorures. Au centre trônait un lit à baldaquin monumental, fermé par des tentures qui isolait du froid. Son sommet était orné d’un arbousier tissé avec de la laine et de l'or. Une balustrade dorée empêchait l’accès au lit : elle permettait de sacraliser les espaces entre le lit et la coiffeuse. Sur la cheminée, on pouvait admirer un buste de pan sculpté dans du marbre.

Je m’étais pourtant bien mise au lit, la nuit dernière, ma tête semblait attaquée de tous les côtés. Mon corps était violé, mis à nu devant ces inconnues. Je voulais protester à leurs assauts, mais aucun son ne sortait, mes doigts me semblaient différents, cette peau pâle, qui se devait être mienne était bien plus vive que la chair dont j'avais l'habitude. Des minutes comparables à des heures s’écoulèrent alors que tant de gens s’occupaient de moi. Je n’arrivais pas à bouger, mon corps rejetait tous les ordres de mon esprit.

Après la fin de ce mal de crâne, je me regardai dans le miroir. Je vis une autre que moi. Mon cerveau fit des connexions et, sans m’en rendre compte, j’arrivais à savoir tout du reflet. Celle que je voyais était Amélia de Sol, l’impératrice de l’Empire d'Azur. Je ne savais pas si, à ce moment, je devais rire ou pleurer. Je venais de finir un joli dossier et j’allais profiter d’une journée de congé bien méritée. Hélas, j'étais devenue une femme au destin funeste. Je pris une grande inspiration et me mis à réfléchir. Une des servantes à mes côtés se mit à parler.

« Votre majesté, vous le désirez nous pouvons vous amener votre repas dans la chambre »

Une jeune fille baissa la tête en signe de révérence après avoir soufflé ces mots. Elle devait a peine avoir quitté l'adolescence. Ses cheveux court tenait difficilement dans son chignon et sa frange masquait ses yeux.

Je devais sortir de cette pièce et rassembler mes idées, c'était la seule chose à laquelle je pensais. Cela ne servait à rien de paniquer : si quelqu’un découvrait qui j’étais, j’aurais plus d’ennuis. Le mieux était d’être Amélia. Je ne sais pas comment j’avais atterri ici, ni si c’était un rêve. Dans le doute, je me devais d’éviter tout problème.

Il me fallait d’abord m’adapter à mon environnement, puis en apprendre plus sur ma position dans l’histoire. Si j’étais encore loin de la fin, alors il était possible d’éviter l’enfer. Si je comprenais comment je m'étais retrouvée ici, je pourrais peut-être m’échapper de cet abysse. Je me levais de mon siège avec une grâce que je n’avais jamais connue, puis je pris la route pour une destination inconnue, comme si mon corps effectuait ses mouvements de son propre chef. Mon âme était prisonnière, je ne voulais pas bouger, quitte à choisir j’aurais préféré m’effondrer dans un coin.

Je traversais les couloirs du palais, un contraste saisissant se fit à mesure que je quittais la chambre de l'impératrice. Il aurait été facile de croire qu'il s’agissait de deux lieux parfaitement distincts. La première moitié était décorée avec le même faste que la pièce de mon réveil. Les murs montraient des gravures élégantes et encore vives malgré l'usure du temps, preuve de leurs entretiens réguliers, leurs couleurs pouvaient concurrencer la pâleur de mon teint. La façade donnait sur les jardins, sa décoration représentait les moments les plus glorieux de l'histoire de l'Empire. Une séparation se fit dès ma traversée de la cour mitoyenne. Cette cour était empruntée par l'empereur à chaque fois qu'il visitait l'impératrice. Elle était agrémentée de nombreuses statues et d'arbres majestueux, les galets immaculés jonchaient la cour. Après ce paysage entretenu, un lieu à l'abandon, voire à l'agonie. Les murs jaunis et déparés m'accompagnaient dans mon voyage, les jardins manquaient d'entretien. Les roses mortes s'accordaient avec l'atmosphère enlaidi des alentours. J'avais envie d'accélérer pour quitter ce lieu lugubre mais l'impératrice semblait sourde à mes réclamations.

Je ne m’offusquai pas de ne pas rencontrer de garde dans mon sillage. Les informations récoltées depuis mon réveil m’avaient permis d’avoir une vue d’ensemble de la gestion de la Cité impériale. Le périmètre du lieu de vie de la famille souveraine était, si importante qu’elle était une mini ville dans la capitale, appelée Cité impériale. Elle regroupait une quinzaine de bâtiments, entourés par une forteresse imposante en béton. Les murs extérieurs astucieusement couverts avec un parement, mettait en valeur la forteresse. Ce lieu était protégé par des gardes à l’extérieur et l’accès nécessitait une autorisation ; parfois une fouille des visiteurs était effectuée. À l’intérieur, des patrouilles circulaient, mais rare s’aventuraient près du palais de l’impératrice. Pourquoi ? Parce que je n’avais pas les faveurs de l’empereur, à quoi bon protéger une femme que le dirigeant négligeait ? Cette pragmatique vérité s’appliquait aussi aux princes. Une fois par mois seulement, Amélia apercevait l’écusson pourpre garni d’un dragon dorée des gardes.

Proche de ce qui semblait être ma destination, de l'autre côté de la balustrade, un magnifique jardin de roses. Un berceau épargné, qui laissait flotter des effluves exquis. Au loin, j’entendis des rires d’enfants.

Mon enveloppe s'était rapprochée silencieusement. Il y avait trois femmes qui devaient être des nourrices et, assis par terre, un enfant à la chevelure de corbeau semblait jouer, non loin, je pouvais distinguer des mains de bébé dépasser d'un coussin. Une autre migraine me frappa. J’arrivais à peine à retenir mes cris. De nouveaux, des souvenirs : cette fois, Amélia se disputait avec l’empereur qui lui informait qu’en tant que mère, il était de son devoir de s’occuper des enfants, à ses côtés un sourire malicieux c’était étiré sur un squelette. Ce corps horrible qui désirait fusionner avec mon mari était sa concubine préférée.

Dans l'Empire ainsi que certaines contrées voisines, il était d'usage que l'épouse élève les enfants. Même les reines acceptaient cette fatalité. Amélia n'avait pas pu honorer ses devoirs de mère de la nation, la grossesse difficile du second prince l'avait contrainte à déléguer l'éducation des enfants. Le début d'une longue série de malheurs...

« Maudite femme ! »

Une rage me vint à ces mots en pensant à la créature au côté du souverain. Je m'étais éloignée hâtivement, presque comme si le diable me pourchassait. Oscar, ce nom provoquait en moi une haine et une profonde tristesse. Pourtant ce n’était pas mes sentiments, ce corps ne me donnait pas seulement accès à la mémoire de l'impératrice. Les émotions remontaient à la surface tel un tsunami que mon âme ne savait combattre. Pour la première fois, le corps de la souveraine réagi à mes tourments, je me mis à haleter comme si l'oxygène ne parvenait plus à mes cellules.

« Partir ! Partir aussi loin que possible ! »

Je ne savais pas comment réagir à cette attaque, ce fut mon instinct qui prit le contrôle. Pourtant, si je voulais éviter ma fin, je me devais de dominer ce feu intérieur. Oscar Elisum, le premier fils de l’empereur et de la reine Anne. Une larme m’échappa, dans le coussin cela devait être Jonathan Elisum… Mon fils. Une des raisons de la déchéance de la méchante avait été son incapacité à surmonter ses émotions. Elle détestait Oscar, mais aussi Jonathan. Pour des raisons différentes certes, mais cela l’avait conduite aux portes de la souffrance. Je réussis avec difficulté à essuyer cette goutte orpheline, vestige de ma pensée pour Jonathan.

Mes pas me menèrent jusqu'à la grande salle où nous prenions nos repas. Les informations accumulées en quelques minutes me permettaient presque de me sentir familière avec ce nouvel habitat. Je ressentais cela dans ma chair, comme un sentiment de déjà vu…

Comme à son habitude, je supposai, je m’installai à ma place seule, les servantes m’avaient laissée et une unique dame restait à mes côtés. Au vu des dernières informations, je n’étais pas dans le livre, mais probablement avant. L'ouvrage ne parlait que d’une courte période de la vie du héros. De ses quinze années à son ascension, à dix-huit ans. Or, à l’heure actuelle, Oscar n’avait que trois ans.

L’histoire principale ne débutait pas avant de nombreuses années, une chance pour moi de changer la fin. Je n’avais pas vécu trente ans pour mourir à cause d’une famille et d'un empire fictifs. Je n’avais pas faim, l’attente qui suivit ne me gênait pas. Je n’avais pas à me battre avec l'enveloppe charnelle de l'impératrice, un sursis me permettant de rassembler quelques pensées. Je pus admirer ce qui aurait dû être un lieu grandiose : les fenêtres à carreaux étaient sales et le vernis du parquet avait disparu, la peinture était écaillée et, de temps à autres, des lambeaux en pendaient du plafond. Regarder ce décor me déprimais. Un tel contraste dans le palais était affligeant mais aussi, une preuve s’il en fallait du manque de moyens cuisant. La pause déprime fut terminée à l’arrivé de mon repas, mes membres s’activèrent sans mon consentement encore une fois ; après avoir à peine touché mon assiette, mon corps s’était approché de la fenêtre.

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