Préambule

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Marseille 1989

La guerre des gangs sévissait à Marseille. Un groupe de proxénètes lyonnais, particulièrement actif et puissant, infiltrait les équipes locales, et en prenait le contrôle.

Rolando était fou de rage, il n'avait rien vu venir . Qui étaient ces Lyonnais qui venaient pour le chasser du quartier ?

Quand il avait voulu sortir de chez lui, Michel, son premier adjoint l’en avait dissuadé :

Patron, restez chez vous. C’est un ordre du Lyonnais. Je ne suis pas venu seul. Il avait désigné de la tête les deux individus qui l’accompagnaient, et du geste, deux autres positionnés à quelques mètres de là. Il était sous-entendu dans l’avertissement que tous étaient armés.

Michel était donc passé à l’ennemi.

À contrecœur, il avait obéi.

Depuis, Rolando tournait en rond dans son appartement. De temps en temps, il se penchait vers la fenêtre, d’où il pouvait voir une partie de la place Général de Gaulle, et la rue Paradis en enfilade. Il regardait surtout les deux hommes immobiles qui grillaient cigarette sur cigarette. Ces hommes étaient remplacés régulièrement, et ils se positionnaient toujours au même endroit. Il était bel et bien prisonnier.

Quand il ne tournait pas en rond, il s’asseyait dans le grand fauteuil disposé face à la porte. Dans ses garnitures, il avait placé un pistolet de chaque côté. Il savait qu’il ne s’en servirait pas. Il était encore jeune, mais il ne désirait plus mourir pour de l’argent.

Quelques années plus tôt, il succéda à son frère qui avait fondé son business en débutant avec deux prostituées. Ce dernier avait fait croître le cheptel, et quand il avait été tué dans une rixe, Rolando s’était trouvé là à point nommé pour reprendre le flambeau.

Il s’était engagé à fond dans cette aventure, et il avait géré son équipe et ses prostituées en faisant comme on le dit, suer le burnous. Il en était fier.

Depuis que l’argent rentrait à flots, il s’était dégagé des tâches matérielles, se reposant sur ses assistants. Il avait extrait du trottoir Flora, une des gagneuses, pour sa consommation personnelle. Et, la jeune femme lui servait aussi de souffre-douleur.

Rolando aurait dû se méfier. Depuis quelque temps, il avait fréquemment rencontré ses collaborateurs dans des bars en présence de gens qu’il n’avait jamais vus. Ses prostituées rapportaient moins que d’habitude. Michel lui avait bien signalé des tentatives de concurrents de pénétrer son secteur, mais ce dernier s’était entendu répondre qu’il était payé pour résoudre ce genre de problèmes.

Rolando fulminait. Personne ne venait le voir. Il ignorait totalement ce qu'il se passait. Lorsqu’il téléphonait, ses interlocuteurs ne répondaient pas.

Seule Flora disposait de la liberté d’entrer et de sortir librement. Cela rendait furieux Rolando qui se sentait comme une souris coincée dans une souricière. Il l’avait envoyée s’informer. À son retour, elle avait prétendu que personne n’avait accepté de lui parler. Rolando ne voulait pas la croire.

Il fallait qu’il s’en prenne au seul bouc émissaire à sa portée pour apaiser sa rage.

Quand elle lui avait indiqué qu’elle n’avait aucune information à lui fournir, il l’avait frappé.

– Toi, tu t’en fous. On dirait que tu espères quelque chose d’eux. Moi, je te baise, tu travailles moitié moins que les autres femmes, tu as la vie facile. Qu’est-ce que tu attends d’eux ? En quoi mes putes vont-elles gagner au change ?

Rolando était seul avec Flora qui lui tenait tête. Il avait pris du plaisir pendant des années à tenter de mater cette femme qui lui résistait toujours. Désormais, il considérait cette attitude comme un rejet de sa personne, une joie dissimulée de le voir déchoir.

Flora se tenait la joue et le fixait dans les yeux, l’ultime provocation.

La sonnette de la porte d’entrée mit fin à leur joute.

Avec l’assentiment d’un Rolando résigné, Flora alla ouvrir. Un homme de haute taille attendait sur le seuil. Flora constata qu’il n’était pas venu seul, et le fit entrer. Trois hommes le suivirent et se positionnèrent dans les angles de la pièce. Michel était l’un d’entre eux.

Rolando vint l’accueillir. Les deux hommes se serrèrent la main.

Pendant quelques instants, ils se jaugèrent du regard.

L’inconnu était habillé aussi simplement que ses hommes, mais il dégageait une autorité naturelle, bien qu’il n’ait prononcé aucune parole.

Sur un signe discret de Rolando, Flora se retira.

Le Lyonnais s’installa dans le fauteuil habituellement utilisé par Rolando. Ce dernier dut en choisir un autre. Il songea à ses deux pistolets.

Le visiteur prit aussitôt la parole :

– Appelez-moi Albert. Vous savez pourquoi je suis venu m’installer dans votre quartier, donc vous vous doutez certainement du motif de ma visite.

Rolando tenta de sauver la face, mais comme il avait vu Michel installé dans un des angles du salon, il savait que c’était mission impossible :

– Non, pas du tout. Mes adjoints m’ont informé que des étrangers armés tentaient de les soudoyer. Je constate que l’un d’eux a accepté, mais je suis certain que les autres ont refusé. Ils m’ont dit que vous vouliez virer mes Marseillais pour les remplacer par des Lyonnais.

– Vous êtes très mal renseigné. Très, très mal, même. Certains de mes hommes sont ici depuis plus de six mois, et ils m’ont remis des rapports loin d’être élogieux à votre égard. Vos adjoints, que j’ai d’ailleurs embauchés entre temps, étaient très mécontents de leurs conditions. Vos prostituées n’acceptaient pas les maltraitances dont ils abusaient pour qu’elles tiennent leurs chiffres d’affaires, et leurs rémunérations qui supportaient des pénalités de toutes sortes les révulsaient. Toutes ont rapporté des brutalités de votre part. Nous avons constaté que votre couverture du territoire était digne d’un amateur, et rendait les clients insatisfaits. En clair, ils allaient trouver leur plaisir ailleurs.

En plus, je constate que vous n’êtes au courant de rien de ce qui se passe dans votre secteur.

J’ai passé un accord avec toutes vos prostituées, ainsi que tous vos adjoints. Il ne me reste plus qu’à trouver un arrangement équilibré avec vous. Je ne suis pas là pour remplacer le pastis par du beaujolais, c’est une galéjade.

Rolando, tassé au fond de son fauteuil, et dont les mâchoires se serraient de plus en plus au fur et à mesure qu’Albert parlait, se redressa brusquement et ses yeux reprirent vie :

– Vous voulez racheter mon fonds de commerce ?

La réponse du Lyonnais le renvoya dans les cordes :

– Non, un accord équilibré. Vous devenez un de mes adjoints, ou vous allez faire votre vie ailleurs, et qu’on ne vous revoie plus ici.

– Vous plaisantez ?

– J’ai de grands projets pour ce secteur. Décidez-vous, j’ai assez perdu de temps.

Rolando n’aurait jamais imaginé ça. Dans son milieu, on peut tuer pour reprendre le business d’un concurrent, car si on ne le tue pas, c’est pour utiliser ses capacités. On fait son éloge devant tout le monde, et on ne l’humilie pas. Maintenant, oui, il aurait souhaité pouvoir mettre la main sur ses pistolets pour sauver son honneur. Il en bafouillait :

– Vous ne pouvez pas me faire ça !

– Si, nous ne sommes pas des enfants.

Albert patienta quelques instants, puis il ouvrit la porte d’entrée :

– Dehors !

Il pointait la porte du doigt. Ses hommes de main se rapprochaient du centre de la pièce.

Rolando abasourdi s’accrochait à son fauteuil. Il ne put que gémir :

– Mais je suis chez moi !

Albert se rapprocha de lui, et fit signe à ses hommes :

– Maintenant, c’est moi qui suis chez moi ici. Allez réfléchir dehors, et vous m’informerez de votre décision.

Les hommes qui avaient accompagné Albert aidèrent Rolando manu militari à quitter sa maison.

Quand il fut sorti, le silence régna un moment dans la pièce.

Albert tâta les pourtours du fauteuil et dénicha les deux pistolets. Il hocha la tête.

Flora qui avait tout entendu sortit de la chambre.

Albert la scruta quelques instants avant de s’adresser à elle :

– Flora, j’ai beaucoup entendu parler de vous, et je pourrais presque dire que je vous connais. Je vous propose de vous occuper de la santé des femmes de notre secteur. Vous n’en rendrez compte qu’à moi. Maintenant, si vous souhaitez rejoindre Rolando, vous le pouvez.

Flora éclata en sanglots. Elle était soulagée. Elle ne voulait plus subir les violences qu'elle devait accepter tous les jours. Elle avait eu peur qu’on lui impose de le suivre, aussi elle accepta sur le champ la proposition.

Quelques jours plus tard, Rolando rallia le gang du Lyonnais, et devint l’un des cinq adjoints d’Albert.

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