Retour offensif

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Sunset Boulevard, Hollywood

C’est sur Sunset Boulevard que nous jouons ce soir. Le Catalina est un bel endroit, plutôt classe, avec une belle scène et un vrai grand piano. La salle est assez grande, les tables sont chics et le public sait se tenir. Nos deux baby-sitters déparent un peu dans l’ambiance cosy et la patronne, un peu gênée, leur a demandé de rester un peu en retrait, dans un coin sombre. C’est à la défection de dernière minute du groupe initialement programmé que nous devons cette chance. Quatre jours se sont écoulés depuis notre passage au Baked Potato et notre moral est remonté au plus haut. Nous avons refait deux séances avec Stan au studio de Thousand Oaks et nous sommes proches du résultat espéré. Encore une semaine ou deux et ce devrait être bouclé. Ce soir, nous avons le temps de dérouler tous les titres de l’album et même un peu plus. Lucy n’a pas pu se libérer, mais Nash est présent.

J’ai joué dans pas mal de clubs et de bars de Los Angeles et des environs, mais jamais au Catalina. J’y suis déjà venu en tant que client et je me suis préparé pour ne pas trop jurer sur scène. J’ai choisi un costume sombre et une chemise blanche, le col ouvert. Pas de négligé ni de tapageur ici. Jeff a fait un choix identique. Martin a renoncé à la veste. Nous avons pris quelques verres pendant le passage du premier groupe et nous nous sentons presque euphoriques.

Le public applaudit, les gars sur scène reviennent pour un dernier morceau. Nous filons dans la petite salle qui sert à la fois de loge et de remise pour le matériel. Jeff vérifie l’accord de sa grand-mère et lorsque le show se termine et que les musiciens rentrent dans la pièce, nous la quittons pour prendre leur place. Le patron du club monte dire quelques mots d’excuse et nous présente. Les lumières baissent dans la salle, le niveau sonore diminue. Martin lance le set. Nous jouons trois-quarts d’heure avant de faire une pause.

Dans la loge, nous descendons chacun une bouteille d’eau et comme toujours, nous échangeons sur notre ressenti. La confiance revient avec les automatismes. Nous validons la liste des morceaux pour la deuxième partie quand Nash entre dans la pièce. Je vois sur son visage que quelque chose ne va pas et je connais déjà la raison de son air tourmenté.

« Les gars, je ne veux pas vous perturber, mais je crois qu’il faut que Mike soit au courant.

— Au courant de quoi ?

— Un des sbires de Giordano, le plus petit, est dans la salle. Il est avec la fille que Lucy est allée rencontrer l’autre jour. Ça ne peut pas être un hasard.

— Comment sont-ils au courant qu’on passe ici, ce soir ? demande Jeff.

— Je viens de téléphoner à Mary et elle a vérifié. Le club a changé son programme hier soir et votre nom apparait. S’ils ont mis une alerte, ils ont été avertis.

— Qu’est-ce qu’on fait ? s’inquiète Martin.

— Pour le moment, vous ne risquez rien. Faites votre show normalement, on avisera après. Je vais aller parler avec les bikers pour qu’ils les gardent à l’œil. Si vous voulez mon avis, ils sont juste en repérage, mais on ne va pas les laisser continuer comme ça. On se reparle après le set. »

Pas la peine de vous dire que mon moral vient de retomber dans mes chaussettes. J’ai un moment de doute. Je bois un verre, du Jack. Je décide que cette fois, je ne fuirai pas. Je suis prêt à leur rentrer dedans s’il le faut. On reprend nos places et on attaque. J’ai l’impression d’avoir encore plus de motivation. Les morceaux s’enchainent sans problème. Le public en redemande. Nous reprenons des standards, Moon River, puis Autumn Leaves. Nous nous éclipsons après avoir salué l’audience. Jeff remballe la contrebasse. Jeff range ses accessoires. Moi, je me contente du petit porte-documents qui contient mes notes et quelques transcriptions. Nous rejoignons le bar. Je parcours la salle du regard.

« Ils sont partis, me confirme mon ami. Les boys de Sam les ont suivis dehors. Je crois qu’ils ont eu une conversation.

— Tu crois qu’ils…

— Sur Sunset Boulevard ? Non, je suppose qu’ils leur ont expliqué que tu n’étais pas seul.

— Et tu penses que ça va suffire ?

— On verra bien, mais on a déjà des arguments pour le coup d’après.

— Tu ne voudras pas m’en parler, n’est-ce pas ?

— Tu me connais…

— Mais cette fois je ne veux pas rester en dehors. S’il doit se passer quelque chose, je veux en être.

— On en reparlera le moment venu. Je te comprends, mais tu n’as pas la carrure pour jouer cette partie là.

— C'est pas une question de muscles, mais de motivation, dis-je. Pas besoin d’avoir le gabarit d’un lineman[1] pour tenir un flingue. »

[1] Lineman : joueur de première ligne au football américain

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