Vue sur l’océan

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Coyote Canyon Court, La Quinta

Nous avons pas mal discuté avec Lucy et j’ai dû me ranger à son avis. Le logement que je choisirai à Los Angeles sera loué à son nom. Il nous semble plus raisonnable de ne pas me faire apparaitre officiellement à une nouvelle adresse. Nous avons évoqué plusieurs options. Pour des raisons de commodité, j’avais envie de rester proche de mon quartier. Lucy, au contraire voulait m’éloigner pour m’éviter de croiser des personnes susceptibles de me reconnaitre, au cas, peu probable, où Leonardo faisait surveiller mon adresse actuelle. Une fois de plus, je lui ai donné raison, mais j’ai obtenu de choisir une nouvelle résidence à proximité de l’océan. J’avais aimé ma période de vie à Santa Barbara. Les étudiants vivaient dans un endroit de rêve, à Isla Vista, une petite station balnéaire face aux Channel Islands. On y trouvait plus de boutiques de surf que de librairies universitaires et la bière y coulait à flots.

Nous avons rapidement éliminé Malibu. Restaient Santa Monica et Venice Beach. À Venice, toutes les locations à proximité de la plage étaient uniquement disponibles au travers de plateformes touristiques. Lucy a mis le doigt sur un appartement à Santa Monica, dans un condo[1] sur Ocean Avenue. Selon l’annonce, la terrasse ne donnait pas directement sur le Pacifique, mais en se penchant un peu, on pouvait voir le coucher de soleil sur les iles. Le propriétaire, travaillant pour une société de conseil, partait pour une mission de trois mois en Asie et mettait son appartement en location meublée durant son absence. Lucy a appelé et l’affaire s’est conclue rapidement. On se retrouve devant l’ordinateur à envoyer les justificatifs demandés par le loueur et faire le virement pour le loyer. Je vais pouvoir emménager à la fin de la semaine. Encore trois jours à passer ici, seul, Lucy doit retourner s’occuper de ses affaires. Tout ne peut pas se gérer à distance.

Je me suis remis au travail, j’ai passé du temps en appels vidéos avec Jeff et Martin. Nous n’avions jamais pratiqué ça auparavant, même pendant la période Covid. Nous avons vite compris qu’il n’était pas réaliste de vouloir jouer en même temps, chacun chez soi. J’ai enregistré les nouveaux thèmes et je les ai envoyés à mes partenaires. Chacun y a rajouté sa partie. Bien sûr, ça ne vaut pas le travail en studio, mais ça me permet d’affiner un peu les compos.

Le jour baisse, je suis encore sur mon clavier. Lucy vient m’interrompre.

« Tu prévois de t’arrêter pour aller diner ou je sors seule ?

— Quelle heure est-il ? demandé-je.

— Bientôt six heures. Tu es au piano depuis le début de l’après-midi.

— Je n’ai pas vu le temps passer. Je me sens mieux depuis que je sais que je vais pouvoir rentrer et reprendre une vie normale, ou presque.

— Tu auras tout le temps de travailler les jours qui viennent. Ce soir, je suis encore là et j’ai bien envie d’en profiter ! Où veux-tu aller ? demande Lucy.

— J’ai lu un article sur le Bar Cecil. Ça a l’air cool. Tu veux essayer ?

— Je vais les appeler. Sept heures, ça te va ? »

Une heure plus tard, Lucy gare la Mustang sur le parking de l’établissement. C’est une construction de style espagnol avec une grande terrasse. La plupart des tables sont installées à l’extérieur. Les derniers rayons du soleil laissent apparaître un halo orangé sur le sommet de la montagne. La plupart des clients ont fait l’effort de s’habiller, nous aussi. Lucy fait tourner quelques paires d’yeux dans une robe qui met en valeur sa silhouette élancée. Je remarque que nous sommes les seules personnes de couleur. Les afro-américains sont plutôt rares à Palm Springs, par contre, tout le personnel est d’origine hispanique.

« Tu as remarqué comme les gens te regardent ? fais-je à ma partenaire.

— Tu veux dire : nous regardent ? Il n’y a pas de blacks ici, même pas pour faire le ménage. Ils ont les chicanos[2] pour ça.

— Raison de plus pour rentrer en ville ! répliqué-je. »

Je commence à regretter mon choix. Nous serions passés inaperçus dans un restaurant plus modeste. Lucy, elle, en rajoute dans la provocation. À la fin du repas, le malheureux serveur qui s’occupe de notre table reste un instant bouche-bée quand elle sort sa carte de crédit de son décolleté.

« Tu as vu la tête de ce gars quand je lui ai tendu ma carte ? s’esclaffe Lucy sur le parking.

— Comment tu as fait ça ? Tu avais prévu le coup ?

— Oh non, je l’ai glissée là quand je suis allée aux toilettes, à la fin du repas. Tu n’a rien remarqué non plus ? Pourtant, tu avais les yeux fixés sur mes seins pendant tout le repas.

— Je devrais jouer à Geocaching[3], avec toi, on n’est pas à l’abri des surprises.

— Il y a peut-être encore quelque chose à découvrir, qui sait ? Tu devrais essayer.

— Alors dépêche-toi de démarrer. J’ai hâte de rentrer. »

[1] Condo ou condominium : appartement dans une copropriété

[2] Chicanos : désignation péjorative des immigrés mexicains aux USA

[3] Geocaching : loisir consistant à cacher ou trouver à l'aide d'un GPS une boite appelée « cache » ou « géocache »

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