La Grande Forge

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Il court.

Fendri est poursuivi par des monstres, aux dents et aux griffes acérées. En plus de leur calvitie et de leurs joues creuses, le manque de yeux leur rend encore plus effrayants.

Il court.

Il se trouve dans une forêt sombre, lugubre et vide de vie. Tout est noir, même le ciel ; il ne voit pas au-delà de deux mètres de lui. Il entend juste l'écho des cris inhumains de ces prédateurs sauvages.

Il court.

Fendri est à bout de souffle, son cœur bat très vite, sa respiration devient saccadée et ses jambes s’alourdissent, mais il n’abandonne pas : il continue de courir. Pour survivre.

Soudain, l’un des monstres, venu de nulle part, apparaît brusquement devant lui, à cinq centimètres de son nez.

***

  • Eh ! Réveille-toi, Fendri ! On doit partir !

Le petit frère se lève en sursautant. En haussant les sourcils, Ris questionne :

  • Est-ce que ça va ?

Le garçon reprend son souffle avant de répondre :

  • Oui, ça va. J'ai juste eu un cauchemar.
  • C'était quoi ?
  • J'ai rêvé que des monstres couraient après moi. C'était effrayant.
  • Comme tous les cauchemars. Ne t’en fais pas ; plus vite nous quitterons ce monde, plus vite nous serons saufs.

Ris se lève et se dirige vers un coin de la pièce pour prendre une pelle. Fendri lève un sourcil et dit :

  • Pourquoi tu prends ça ?
  • Je prends ça pour me défendre contre les monstres aveugles, au cas où on les croiserait. Ce n’est pas grand-chose mais ça fera l’affaire.
  • Une pelle ? T’es sérieux ? Tu n’as pas trouvé mieux ? Comme un caillou, par exemple ?
  • Ne sois pas de mauvaise foi. Il vaut mieux ça que rien du tout.
  • Si tu le dis..., grommelle-t-il.

Fendri se lève. En se massant le visage, il se rappelle qu’il a une perle rouge sur le front. Il se pose tellement de questions là-dessus... Qui les a envoyés dans cet endroit maudit ?

  • Je te jure que quand nous trouverons le responsable de tout cela, je lui trancherai la gorge ! dit soudain Ris.
  • Ah oui ? rit-il.
  • Oui, et il regrettera d’avoir croisé mon chemin !

Fendri fait mine de ne pas répondre, connaissant son frère si impulsif. Ris va jusqu’à la porte. Il enlève la barre de métal et ouvre tout doucement. Il jette un coup d’œil vers l’extérieur pour voir s’il n’y a plus de monstre, car il craint leur présence dans les parages. Même s’il ne les voit pas, ils pourraient se cacher dans l’ombre, en train d’attendre que leurs proies sortent de leur cachette pour bondir sur elles. Fendri s’impatiente :

  • Alors, on y va ?
  • Oui, on y va !

Il ouvre grand la porte et sort avec Fendri. Il pose la main sur son épaule et lui chuchote à l’oreille :

  • Ne faisons aucun bruit : tu as vu qu’ils n’ont pas de yeux donc qu’ils ont de bonnes oreilles ?
  • Oui, je sais, répond-il en levant les yeux au ciel.
  • Je suis sérieux. Soit, nous survivons, soit ils nous bouffent. T'as compris ?
  • Oui, compris.

Ainsi, les garçons poursuivent leur route. Dans cette forêt, un lourd silence règne, aussi dérangeant que la mort. Aucun écureuil ne se déplace d’arbre en arbre, aucun oiseau ne chante en volant, aucun vent ne souffle entre les branches : aucun signe de vie. En partie, cela est dû à une faune caractéristique d’un monde souterrain mais aussi parce que, pas loin d’eux, les monstres rôdent encore. Les frères, souhaitant rester en vie, ne font aucun bruit. Ils regardent chacun de leurs pas, pour éviter de marcher sur une feuille morte ou un bâton. Ils chuchotent aucun mot.

Au bout d’une demi-heure de marche, ils voient au loin un grand bâtiment de pierre, tout en blanc et noir, d'une dizaine d'hectares. Quatre dragons sont placés sur les autre extrémités du toit. Vingt cheminées adjacentes ressemblent à des colonnes salomoniques. Deux statues de soldats moustachus, portant une robe en métal et un casque avec des cornes, gardent la porte d’entrée. Elles mesurent presque autant que la porte, c’est-à-dire trois mètres de haut. Elles tiennent des hallebardes. Sur les deux battants de la porte en métal gris, deux dragons quasi-identiques ont un corps de serpent et une tête de lion. Ils sont de couleurs opposées : blanc et noir.

Les deux garçons restent debout devant la porte, à contempler les statues et les dragons. Fendri questionne :

  • On entre ?

Ris secoue la tête :

  • Non.
  • Pourquoi ?! J’ai envie de voir ce qu’il y a là-dedans !
  • Voir quoi ?! Nous devons retourner à la maison : je te rappelle que nous ne sommes pas ici pour visiter, surtout avec les monstres qui rôdent par-ici...
  • Oh ! Aller, juste une minute ! Après, on part !

Il lâche un long soupir et capitule. Fendri saute de joie et se précipite sur la porte pour tirer l’un des deux battants. Ris vient l’aider. Étant plus grand que son frère, sa force aide beaucoup. Après un dur mouvement en arrière, ils arrivent enfin à ouvrir la porte en grand pour entrer à l’intérieur, dans le noir.

Face à eux, ils découvrent une forge aussi gigantesque qu'une montagne. Seule la lumière passant par les fenêtres sales éclaire le lieu poussiéreux. Vingt fours éteints sont pleins de charbon de bois, et les bassines remplies d’eau croupie. Un grand nombre d’enclumes sont fixées sur des cubes en pierre. Beaucoup d’outils de forgeron et de briques d’acier sont posés sur des tables ou laissés par terre. Ris sent un picotement quand son pied nu marche sur un clou rouillé. Quant à Fendri, il sent l’excitation traverser ses membres ; il voit sous ses yeux une galerie d’armes impressionnantes, tous alignées sur le mur à droite.

  • Eh ! Regarde, Ris ! Des armes !
  • Ouais, super ! Fais-toi couper tant qu’on y est !
  • Je n’ai plus cinq ans, tu sais ?
  • Je sais mais n’oublie pas que tu es très fragile...
  • Et toi, tu es allergique à l’argent, répond-il en tirant la langue.

En effet, tous les villageois, sauf Fendri qui a des origines inconnues, sont sensibles à l’argent. C'est pourquoi tous les forgerons du village fabriquent des armes de guerre avec de l’argent, afin de pénétrer la peau des ennemis. En-dehors de la guerre, les armes de chasse sont fabriquées avec de l’acier ou de la pierre polie.

Fendri s’approche des armes. La plupart sont des épées mais d’autres sont des couteaux, des lances, des hallebardes et des arcs. Certaines sont même décorées de créatures fantastiques et de symboles étranges. Ses yeux pétillent devant la splendeur des lames.

  • En tout cas, c’est mieux que ta pelle, commente-il en souriant d’un air coquin.
  • Je t’emmerde, répond Ris en retour.

Le grand frère regarde de son côté les armures. Elles sont larges et couvrent de la tête aux pieds. Dans son village, les guerriers se battent seulement avec des vêtements en peau d’animaux pour favoriser la liberté des mouvements durant le combat. Les habitants du monde souterrain n’avaient pas l’air d’avoir le même avis...

Il observe l’un des casques de plus près. Cette pièce d'armure, dont l'intérieur est recouvert de fourrure blanche, possède des oreillettes baissées, qui permettent de protéger les oreilles du froid. Une tête de dragon en argent est sculptée sur le sommet du casque. Il a déjà remarqué que le dragon est présent sur le toit et la porte d’entrée, mais il n’avait jamais pensé qu’il serait aussi omniprésent que cela ! En constatant la fourrure blanche qui recouvre l'intérieur du casque et des autres pièces d'armure, il pense : "On ne doit pas être loin de chez nous."

  • Ris ! Est-ce que je peux prendre ça ?

Il se retourne et voit son frère avec une épée. Comme il est petit, le bout de la lame touche le sol. Il pouffe de rire.

  • Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? questionne Fendri, vexé.
  • Tu ne t’es pas vu ? Tes bras sont tellement frêles que tu ne peux même pas tenir une arme !
  • Je ne suis pas faible ! Je peux me battre !
  • Oui, certes...

Ris s’approche d’une des tables et saisit un couteau. Il la tend vers lui en disant :

  • Tiens !
  • Quoi ?! Ça ?!
  • Oui, c’est déjà mieux que rien, non ?
  • Mais... Mais...
  • Repose ça tout de suite ! Tu ne peux même pas la tenir avec deux mains !

Fendri boude, fait demi-tour et part remettre l’épée à sa place en marmonnant des mots incompréhensibles. Il pose son regard sur une arme de siège en métal, une baliste, dont la corde est détendue. Il appuie sur le bouton d’une pièce rotative qui se trouve en bas du coulisseau, faisant bouger le treuil qui fait tirer la corde en arrière. Grâce à la manivelle automatique, la préparation de tir est plus courte qu’avec une manivelle manuelle qui nécessite la force des bras. Une fois que la corde ait fini de se tendre, Fendri pose son regard sur le chargeur. Il voit trois trous ; il conclue alors que la baliste lance trois flèches par tir. Il touche un crochet et la corde se lâche d’un coup. S'il y avait eu des flèches, elles seraient sûrement envoyées vers l’étage du dessus et casseraient du matériel.

Ayant entendu le bruit, Ris arrive en courant.

  • Qu'est-ce que tu fous ?!
  • Rien, je regarde seulem...
  • Eh bien, arrête de toucher ! Qui sait si ces objets ne sont pas dangereux ?! Aller, on part...

Fendri remarque l'arme que tient Fendri, rangée dans son fourreau. Il a aussi pris une ceinture pour la tenir.

  • Tu as pris une épée ?
  • Oui, et alors ?! C'est mieux qu'une pelle, non ?!
  • Quand est-ce que je pourrais en avoir une ?
  • Quand tu seras assez fort pour tenir un sac.
  • Eh ! C'est méchant, ça !

Les deux frères quittent la Grande Forge. Ce qu’ils ne savent pas, c’était que cet endroit occupait une activité importante de fabrication d’armes et d’armures, représentant la puissance de l'armée d'antan.

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