La rencontre du premier monstre

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Les garçons sont toujours ébahis par ce qu’ils voient. Ils ont grandi sous le soleil, dans un village de trois cents personnes vivant sous des tentes en peau d’animaux. L'air est chauffé par quelque chose qu’ils ne connaissaient. Sûrement de la magie, aussi étrangère que tout cet endroit immense. La magie qu’ils connaissent celle de la Nature. Ils connaissent le monde physique et le monde spirituel, les corps constituant l’être humain, la vie, la mort et la réincarnation... Ils ne connaissent rien en la magie pouvant faire chauffer un lieu souterrain, faire illuminer les endroits sombres, faire pousser des plantes aux feuilles bleues... Non, pour eux, c’était trop beau pour que ce soit fait par la main de l’Homme !

Malgré leur désorientation, Fendri prenait plaisir à contempler ce monde silencieux. Sur le chemin en béton descendant, les frères marchent sans voir au-delà de plus de deux mètres, car l’étoile du monde souterrain n’éclaire pas assez pour qu’ils voient net. Bien qu’ils sachent qu’ils abandonnent derrière eux la grotte sombre et lugubre d'où ils sont sortis, ils ne savent pas ce qu’ils vont croiser sur le chemin devant eux. Peut-être croiseront-ils un monstre sur la route ? Que de l’incertitude dans ce monde étrange !

Après avoir passé le chemin en zig zag qui mène en bas de la colline, ils arrivent devant une intersection. Deux flèches en bois gravées indiquent les chemins qui s’offrent à eux. Fendri se tourne vers Ris :

  • Tu comprends, toi ?
  • Non, les habitants ici ont une drôle de forme d’art.

En effet, les deux garçons sont analphabètes, car dans leur culture, on transmet le savoir par oral donc l’écriture n’existe pas chez eux. Alors, pour eux, les lettres sur les panneaux sont des dessins abstraits. En tournant la tête de droite à gauche, Ris dit :

  • Mon instinct me dit qu’il faut aller à droite...
  • Logiquement, on devrait plutôt aller à gauche.
  • Pourquoi tu dis ça ?
  • Parce que j’ai vu une rivière pendant qu’on descendait la colline. Le courant d’eau pourrait nous aider pour remonter à la surface.
  • Comment elle pourrait nous aider à remonter à la surface ? A ce que je sache, l’eau descend.
  • Justement, en prenant le sens opposé du courant, on remonte à la surface !

Sur ce coup-là, Ris se sent un peu bête. Il a dix-huit ans donc il est censé savoir plus que Fendri... Il sourit :

  • Ah ! Pas con ! Bon, on tourne à gauche alors.

Ainsi, les deux frères prennent le chemin de gauche. Dans cette forêt dense, l’odeur floral plane dans l’air ambiant. Les fleurs des arbres brillent comme des étoiles dans le ciel noir. Leurs pétales aux couleurs vives contrastent avec le bleu des feuilles, et ce malgré la pénombre forestière. Des insectes volants cultivent les pollens, mais certains d’entre eux se font piégés par la couche collante des pétales, qui se referment aussi doucement que la mort.

Un peu plus loin, ils croisent tout à coup une créature mystérieuse. C'est un quadrupède qui mesure presque autant qu’un homme. Il est accroché à un tronc d’arbre grâce à ses vingt griffes. Ses écailles, de la même couleur que le bois, font de sa peau une grande armure. Sa queue est plus grande que sa taille alors que ses pattes sont courtes. S'ils n’avaient pas regardé ses yeux luisant la lumière astrale, ils n’auraient sûrement pas remarqué la présence de cet être vivant. Il arrache un morceau de bois avec sa patte droite et avec sa grande langue collante, il lèche des insectes.

Fendri s’approche de l’arbre et grimpe.

  • Eh ! Qu’est-ce que tu fais ?!
  • Ben, je vais voir cette créature ! Si ça se trouve, c’est mon animal totem !

Ris se rappelle soudain qu’il n’est pas vraiment son frère. En effet, ses oreilles sont pointues, mais à peine pour que ses cheveux cachent ses origines étrangères, et ses yeux sont bridés. Bien qu’il ait la force d’un Humain, il n’a pas le don de parler avec les animaux. Enfin, jusqu’ici, il n’a pas découvert son animal totem... En plus, il a des pouvoirs magiques que normalement, un Humain ne devrait pas avoir. Et en plus de cela, les cheveux de Fendri sont noir corbeau alors que les siens sont blonds, comme ses deux parents. “Un jour, je devrai lui parler de ses origines...” pense-t-il pour la énième fois.

Quand il arrive derrière l’insectivore, Fendri parle d’une voix douce et gentille :

  • Eh ! Coucou, toi ! Comment vas-tu ?

L'animal l’ignore et grimpe encore plus haut. Déçu, il descend et atterrit sur ses deux jambes. Ris s’esclaffe de rire, ce qui fait baisser encore plus l’humeur de Fendri.

  • Oh ! Aller, tu trouveras bien ton animal totem !

Mais son petit frère ne répond pas ; il se contente juste de grogner. Ris a de la peine pour lui. Chaque humain doit découvrir son ham, l’âme. Dans sa culture, tout être humain était un animal dans sa vie antérieure. Dans le monde des esprits, Mère-Nature offre un hoom, l’intelligence aux âmes d’animaux qui reviennent sur terre sous forme de bébés humains. Puis, à leur mort, ils sortent de leurs corps sous leurs vraies formes. Ainsi, c’est pourquoi chaque être humain sait parler à un animal. En général, les enfants de son village découvrent leur ham autour de sept ans, ce qui n’est pas le cas de Fendri qui lui, a déjà onze ans...

De temps en temps, Ris lève les yeux au ciel pour vérifier si les corbeaux sont toujours là. Malheureusement, ils le sont encore. Ils n’arrêtent pas de changer des branches pendant que les garçons poursuivent leur chemin. Depuis le début du voyage, les deux volatiles noirs les suivent sans relâche, les observant avec leurs yeux de démon tels des espions, comme s’ils attendaient leur mort... Devant cette pensée, Ris a l'impression de s’approcher de plus en plus vers le vide...

De temps en temps, Ris lève les yeux au ciel pour vérifier si les corbeaux sont toujours là. Malheureusement, ils le sont encore. Ils n’arrêtent pas de changer des branches pendant que les garçons poursuivent leur chemin. Depuis le début du voyage, les deux volatiles noirs les suivent sans relâche, les observant avec leurs yeux de démon tels des espions, comme s’ils attendaient leur mort... Devant cette pensée, Ris a l'impression de s’approcher de plus en plus vers le vide...

Enfin, ils arrivent devant la rivière. Ils voient quelqu’un, dos à eux et accroupi près de l’eau... Tout nu. Cet homme chauve mange quelque chose qu’il tient entre ses mains. Il est tellement maigre que sa colonne vertébrale se voit sous sa peau pâle, qui est étrangement couverte de mucus. Ris remarque que ses oreilles n’ont pas de pavillon mais juste des trous. Insouciant comme il est, Fendri s’exclame :

  • Génial ! Nous ne sommes pas seuls dans cet endroit !
  • Attends...
  • BONSOIR !!! Nous sommes là !

Quand Fendri fait un pas en avant, Ris attrape fermement son épaule.

  • Quoi ?! se plaint-il.

Fendri saisit pourquoi son frère l’a arrêté quand la tête de l’homme chauve tourne lentement sur le côté gauche. Ses joues sont creuses et son nez aplati. Sa bouche tâchée de sang frais laisse entrevoir des dents acérées. Mais la partie la plus frappante est l’absence de yeux. À la place, les orbites sont totalement recouvertes de peau. Devant ce visage hideux et inhumain, les frères deviennent horrifiés.

La créature lâche le poisson cru à moitié consommé. Elle se lève en laissant voir ses longs membres rachitiques. Ses doigts se terminent par des griffes acérées et ensanglantées. Ses pieds sont très longs contrairement aux mains qui paraissent humaines. Le monstre pousse un cri aigu et strident en tirant la langue aussi longue et fine que celle d’un serpent. À l’aide de ses longues jambes, il saute très haut. Par réflexe, Fendri fait apparaître un bouclier devant eux pour bloquer leur prédateur. Celui-ci se cogne contre celle-ci, est projeté en arrière et roule sur le sol pour atterrir dans l’eau.

  • Cours ! ordonne Ris.

Fendri fait disparaître son bouclier magique et suit son frère. Ils courent. La créature qui les a agressés appelle ses congénères. Les frères ne ralentissent pas, le cœur battant comme un tambour et les jambes aussi légères que des plumes. Pourtant, malgré tous leurs efforts, ils ne vont pas assez vite. Ils entendent les cris de tous les côtés, s’approchant dangereusement d’eux. Ils n’arriveront pas, c’est clair, mais leur instinct de survie dit le contraire. Ils ne lâcheront pas, même jusqu’à la mort. Ils refusent d’abandonner et de se livrer à ces monstres carnivores. Tour ce qu’ils peuvent faire pour survivre, c’est courir...

  • Là ! Un abri ! hurle Ris.

En effet, il y a une petite maison sans fenêtre, tout droit devant eux. L'espoir regagné, ils accélèrent un peu. Elle paraît si loin, alors que les prédateurs les rattrapent derrière eux. Pourtant, ils n’abandonnent pas, car la distance entre eux et leur but se fait de plus en plus petite. Certes pas très vite mais elle se rapetisse. Les cris ne sont plus loin désormais, assez proches pour vriller les tympans des garçons. Ils résonnent comme une chorale, en symphonie avec les battements de cœur des garçons. Ils sentent la fatigue arriver mais ils ne lâchent aucun effort ; ils tiennent le coup pour saisir la porte en métal, point de sortie de leur cauchemar.

Ris ouvre la porte et laisse passer son frère. Il la claque en faisant cogner au passage le premier monstre arrivé. Encore un peu et ils seraient attrapés et dévorés ! Le garçon remarque une barre en métal et la met devant la porte pour qu’elle reste coincée. Les frères entendent les griffes sur le métal. Les cris inhumains traversent les quatre murs de la maison. Entourés par ceux-ci, ils se sentent oppressés et fragiles. En s’enlaçant dans les bras, ils espèrent de tout cœur que les monstres ne s’infiltrent pas ici.

Enfin, les monstres partent. Ils lâchent un soupir de soulagement.

  • C'était quoi, ça ?! s’exclame Fendri.
  • Je ne sais pas. On aurait dit des Wendigo mais... Quoique, ils ressemblent étrangement à des Wendigo.
  • Mais ils ne sont pas poilus ! C’est un mélange entre un homme, une grenouille, un serpent et je ne sais pas trop quoi après !
  • Qu’ils soient des Wendigo ou non, dans tous les cas, ils ne sont pas beaux.

Fendri fait apparaître une boule de lumière pour allumer la pièce sombre. Ils sont dans une pièce unique, où pleins d’outils de mineurs sont rangés. Il dit, la voix tremblante :

  • Je sens que je vais avoir un cauchemar cette nuit !
  • Moi aussi...
  • AH !!!

Fendri sursaute en voyant un squelette juste derrière lui. Ceci, assis et adossé au mur, porte une longue robe bleue avec un dragon doré dessus. Les os ont jauni et toute la chair a disparu avec le temps. Ris, bien que dégoûté, garde son sang-froid ; ce squelette inanimé n'est pas aussi pire que les monstres qu’il vient de rencontrer dehors.

  • Ce n’est qu’un squelette, Fen.
  • Je sais mais... Mais il est là !

Ris pose un regard sur le squelette puis sur la barre de la porte. Une question occupe son esprit.

  • Pourquoi barrer une porte si cette une pièce sert à stocker des outils ?
  • Je ne sais pas. À cause des monstres peut-être ?
  • Dans ce cas, personne n’a l’air d’avoir remarqué son absence, dit-il en désignant le squelette du menton. Mais... Personne n’est revenu ici ? Parce que les outils sont encore utiles à ce que je sache!
  • J’ai remarqué aussi les charrues encore remplies de minerais devant la grotte. On dirait qu’elle a été abandonnée depuis longtemps. C'est peut-être pour ça que personne n’a retrouvé son corps pour l’enterrer...
  • Mais quand même, c’est honteux !

En effet, dans leur culture, on enterre les morts en signe de respect, car tout être vivant doit retourner là d’où il vient : la terre. Ne pas respecter cette tradition revient à manquer de respect aux morts, car même si les âmes sont parties, les corps ne le sont pas.

Fendri observe le squelette. Après avoir fui de justesse à la mort, il se demande où sont les autres habitants. Est-ce qu’ils sont vivants, ou morts de soif et de faim comme ce squelette ? Ou alors, dévorés par les monstres dehors ?

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