Chapitre 10

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 — Théo !

 Il se retourna pour trouver William qui courait depuis l’autre bout du couloir de la fac, ses cheveux noirs devant les yeux, un sac à dos au bras. Deux mois qu’il était là, deux mois que William lui courait après au moins une fois chaque jour. L’avait-il déjà vu marcher normalement comme tout le monde ?

 — T’es partout où je passe et tu me vois jamais. Ah, sérieux… On fait répet’ ce soir ? Vu que demain y a pas tout le monde.

 — Tu aurais simplement pu m’envoyer un message au lieu de courir, sourit Théo.

 — Ttt. Ce soir, 19 heures chez moi ? demanda-t-il en sautillant sur place, incapable de tenir en place.

 — Vendu.

 William posa sa main sur son épaule avec un hochement de tête puis, apercevant une connaissance dans son champ de vision, repartit en courant. Théo secoua la tête et rejoignit Thomas qui l’attendait à l’entrée.

 — On passe faire des courses ? J’ai répet’ ce soir.

 — Cool, j’invite des potes à l’appart’ alors.

 Théo et Thomas avaient vite trouvé leur équilibre dans cette nouvelle vie d’étudiants en colocation. Théo se sentait bien, peut-être pas entier mais bien. Grâce à Clara, il était là où il devait être, il en était persuadé, malgré le trou dans son cœur.

 Deux heures plus tard, Théo était installé dans un garage, sa basse en main, entouré de son groupe. Il n’avait pas imaginé ça quand il pensait aux études supérieures en étant au lycée. Il n’avait pas imaginé qu’il pourrait travailler tout en s’amusant, il n’avait pas imaginé qu’il pourrait faire ce qui le faisait rêver. Le groupe s’était formé très vite, une annonce dans le hall de la fac et c’était fait. William s’était assuré de traquer chacun des intéressés.

 — Théo, on a commencé, lui chuchota David.

 — C’est pas le moment de se déconcentrer, renchérit Louisa, on n’a qu’un mois avant la représentation là ! Hauts les cœurs bébou, et réveille-toi un coup !

 — Arrête de m’appeler comme ça, râla Théo.

 — Bébouuuuu !

 — Louisa, arrête, souffla David. Allez, on commence ?

 Quelques notes de basse lui répondirent avant que William ne se déchaîne sur sa batterie.

***

 Théo passa la ligne d’arrivée le souffle court et continua de trottiner sur quelques mètres. La sueur dégoulinait le long de ses tempes.

 — Félicitations, Théo ! Tu as battu ton record, tu peux être fier de toi !

 Il sourit de toutes ses dents à sa coach.

 — Mets donc une veste avant de prendre froid, intervint Camélia derrière lui.

 Il l’accepta volontiers. En short, t-shirt, il n’était pas paré à la température de début décembre après avoir pris un coup de chaud pareil. Sa coach accapara à nouveau son attention.

 — C’était la dernière course, je suis étonnée que tu aies réussi à faire toutes les courses en revenant de Lyon à chaque fois, c’est ce que j’appelle de la détermination. Bravo champion. Tu seras là à la soirée de remise des récompenses ?

 — Evidemment, répondit-il en bombant le torse.

 Il s’était donné à fond sur la course et était fier d’avoir complété le challenge du Pic Saint Loup. Il faisait probablement parti des meilleurs. Le dimanche, il allait à son club, la plupart du temps à vélo. Il n’avait jamais fait autant de kilomètres à vélo que depuis que Thomas ne le trimballait plus en voiture de partout. Il n’avait jamais été aussi en forme non plus. La semaine, il allait courir avec des potes et il s’était aussi inscrit au même club que Thomas, ils suivaient les mêmes entraînements. Quand il n’était pas en train de faire du sport, il s’entraînait avec son groupe de musique ou il travaillait ses cours, heureux comme tout.

 Parfois, il pensait à Clara. Il ne lui avait pas renvoyé de message et elle ne lui avait jamais répondu. Ce qu’il ressentait s’effaçait de jour en jour. Il vivait sa vie de rêve, il ne manquait qu’elle pour que ce soit parfait mais elle avait tracé son chemin alors il faisait de même. Mais il mentirait s’il disait que tout ce sport et toutes ces sorties n’étaient pas en partie destinés à occuper son esprit pour arrêter de penser à elle.

 Il se concentrait sur le positif et son entourage l’aidait bien vers cet objectif.

***

 — Je ne te vois plus avec Thomas, remarqua David à la fin d’une répétition.

 Ils sortaient tout juste de chez Louisa et marchaient côte à côte dans le froid de début janvier. La fatigue du nouvel an pesait encore sur leurs épaules : leurs pieds traînaient, les faisant trébucher à chaque obstacle du trottoir. Leurs corps peinaient à assumer quand ils se donnaient autant à fond dans leurs répétitions.

 — Et ?

 — Vous étiez toujours fourrés l’un avec l’autre au début de l’année, et là d’un coup on dirait que vous êtes des étrangers, vous êtes fâchés ?

 — Comment t’as remarqué ça ? s’étonna Théo.

 — Ahlala Théo, tu me sous-estimes. Je suis observateur, moi.

 — Ça veut dire quoi ça ?

 Théo jeta un regard suspicieux à David. Sans s’en rendre compte, il avait ralenti l’allure.

 — Oh rien, dit-il en sifflotant avant de s’éloigner.

 — Tu voulais pas savoir si j’étais fâché avec Thomas ?

 — Si, j’utilise simplement ma technique pour te faire parler sans insister et paraître lourd.

 — Trop smart pour moi, Dav’.

 David lui sourit et Théo sentit ses lèvres s’étirer en retour.

 — C’est les partiels, je suis stressé, expliqua-t-il enfin, et Thomas passe son temps à faire des soirées. Il respecte pas que je veuille bosser et dormir et ça me saoule. Enfin, attention, j’adore les soirées et il y a toujours une super ambiance, mais les partiels…

 Il expira bruyamment. Il n’aimait pas cette situation, il n’avait jamais été vraiment fâché avec Thomas avant, désormais il avait l’impression que c’était la guerre froide à l’appartement, sauf que Thomas ne s’en rendait même pas compte… C’était peut-être ça le pire.

 — Tu lui as dit ?

 — Ben je lui ai dit que je devais bosser pour mes partiels quoi, dit-il en haussant les épaules.

 David plissa les yeux.

 — Donc tu ne lui as pas dit que les soirées t’empêchaient de bosser correctement et que t’avais besoin de sommeil ?

 — Ben c’est évident ça.

 David soupira à s’en fendre l’âme.

 — Théo… Non, ce n’est pas évident. Et de ce que j’ai vu de Thomas, ça l’est encore moins pour quelqu’un comme lui.

 — Mais j’ai pas besoin d’expliquer les choses à Thomas d’habitude, on se connait suffisamment pour ça.

 — C’était peut-être le cas, mais visiblement ça ne l’est plus. Et est-ce que tu es sûr que c’était le cas ? Est-ce que tu es sûr que Thomas a toujours compris quand quelque chose te dérangeait ?

 Théo s’autorisa à y réfléchir quelques secondes, la réponse lui venant bien vite : bien sûr que non. Thomas n’avait jamais compris que Théo ne supportait pas son silence quand il était en froid avec d’autres amis. Evidemment que Thomas ne pouvait pas savoir tout ce qu’il se passait dans sa tête. Il ne stressait pas, Thomas, et si Théo ne lui en parlait pas, il ne pouvait pas savoir que c’était son cas, qu’il avait trop peur de rater son année (que ce soit justifié ou non) et que les soirées à répétition empiraient son état.

 Théo s’arrêta de marcher et se retourna pour offrir une accolade à David.

 — Merci, oh grand sage, qu’est-ce que je ferais sans toi…

 David se tendit avant de lui rendre son accolade.

***

 Certes, Théo n’avait pas reparlé à Clara. Certes, il lui avait dit au revoir. Certes, elle ne lui avait pas reparlé. Mais le 18 mars, c’était son anniversaire, et il ne pouvait pas ne pas lui souhaiter. C’était contre ses principes.

 Il était allongé sur le sol du salon de la colocation de Louisa. Tout le groupe était présent pour parler des représentations qu’ils allaient donner.

 Théo fixait son écran depuis dix bonnes minutes, incapable de se décider à envoyer le message. De toute façon, elle ne le recevrait probablement pas, comme tous les messages précédents.

 Il n’écoutait que d’une oreille discrète les autres. William et Louisa griffonnaient des dates sur un calepin en marmonnant, criant de temps en temps parce que c’était leur quotidien.

 — Un problème, Théo ? demanda David, allongé à ses côtés.

 Il verrouilla son portable et le posa écran contre le sol.

 — Non non.

 Clara appartenait au passé. Et devant lui se trouvait un très beau jeune homme qui était bien présent. Et dont il n’avait cessé de se rapprocher depuis le début du groupe.

 — Ça te dit d’aller marcher un petit moment ?

 — Là maintenant ?

 — Dites-le si vous en avez rien à faire du groupe, hein, les accusa Louisa.

 — Tu sais que c’est pas le cas, répondit Théo. On s’absente juste dix minutes.

 — J’ai pas dit oui, s’étonna David mais il ne résista pas quand Théo lui offrit sa main pour l’aider à se relever.

 — Eh bien, maintenant, tu l’as dit !

***

 — Tu te trouves un mec et je suis même pas le premier au courant, s’indigna Thomas.

 Théo leva les yeux au ciel. Ce n’était pas un scoop. Il ne savait même pas ce qu’il faisait lui-même, ça lui avait semblé être la chose à faire.

 — Techniquement, je n’ai rien dit aux autres et tu es le premier à qui je le dis.

 — Oui, enfin l’embrasser devant tous les autres du groupe, c’est assez explicite.

 — Mmh oui, mais…

 Théo s’enfonça davantage dans le canapé du salon de leur appartement.

 — M’en fous, ce qui importe c’est que… putain merde t’es vraiment passé à autre chose et je suis super content pour toi mec ! s’exclama Thomas en le gratifiant d’une tape sur la cuisse. J’espère que ça va marcher.

 — J’espère aussi, sourit Théo.

***

 — Comment ça, ça marche juste pas ?

 La surprise et la déception dans les yeux et la voix de Thomas ne firent qu’accentuer la culpabilité que ressentait Théo. Trois mois, c’était le temps qu’il lui fallait pour se lasser.

 — Ben on s’entend super bien mais juste en tant que potes, en fait. Je sais pas, il manque quelque chose. C’est cool et tout mais c’est trop plat… Du coup, on en a parlé et on a rompu.

 — Mais pour le groupe c’est ok ?

 — On est restés en bons termes alors, oui, ça va. Un peu bizarre au début mais ça va se tasser.

 S’il y avait bien une chose pour laquelle Théo était reconnaissant, c’était la maturité et le calme de David. Il ne se sentait même pas triste, peut-être juste déçu lui aussi. Il avait vraiment pensé que ça pourrait marcher… Pourtant, au fond de lui, c’était comme s’il l’avait toujours su.

 — Et tu cherches quelqu’un d’autre ? Je peux te présenter plein de mecs et de meufs si tu veux, sourit malicieusement Thomas.

 — Pour une fois que tu me proposes des meufs… T’as pas trop peur que je te vole la vedette ?

 — Je me suis fait une raison… Bon et accessoirement, j’ai peut-être une touche…

 — Ouuuh, raconte.

 — Soirée film et je te raconte ?

 — Soirée film et tu me racontes.

 — Putain, on est des vraies meufs, rit Thomas.

 — Et j’aime ça.

 — Tu veux de la glace pour te remettre de ton chagrin d’amour ?

 — Ne poussons pas le vice trop loin non plus.

 Son cœur se gonfla de joie. Sa petite embrouille avec Thomas n’avait duré que quelques jours mais depuis qu’ils en avaient discuté et s’étaient réconciliés, Théo profitait à fond de chaque moment avec son meilleur ami. C’était bien la dernière personne qu’il souhaitait perdre.

***

 — Super mignonne ta pote, remarqua Théo à la fin de la soirée qui fêtait la fin de l’année de cours. Et super cool.

 — J’adore jouer les cupidons, sourit Thomas. Mais dépêche-toi avant la fin du week-end, tant qu’elle est encore là, qui sait ce qu’il peut se passer pendant l’été…

 L’été… Une saison devenue à double tranchant pour Théo. Les vacances étaient là, il rentrerait le lendemain et il ne savait pas s’il avait hâte.

 — Il y aura tout le monde à Montpellier, non ?

 — Yep ! Ça va être comme si on était encore tous au lycée, mais en mieux. Trop hâte de rentrer. Pas toi ?

 Théo haussa les épaules.

 — Je peux pas m’empêcher de penser à Clara et me demander ce qu’elle va faire de son été… Mais oui j’ai hâte de repasser du temps avec les potes, je me demande où en est chacun, il y en a avec qui ça a été dur de garder contact.

 Théo n’était franchement pas emballé de sa vie. L’anxiété de la fin d’année, probablement. Pourtant, il se sentait bien. Il n’avait simplement pas très envie de rentrer, ni de rester pour être seul.

 Théo pensa à ce que Thomas lui avait dit mais il ne contacta pas son amie, décidant que, si un « nous » devait exister, elle serait libre à la rentrée. Approcher quelqu’un avant les vacances d’été ressemblait à une trahison. A moins que ce ne soit son stupide espoir de retrouver Clara, comme si son fantôme ne hantait déjà pas suffisamment son esprit.

***

 Pendant l’été, Théo se rendit deux fois sur la tombe de sa tante : une première fois seule, pour lui raconter sa vie, et il en revint plus apaisé, et une seconde fois avec Camélia qui s’y rendait pour la première fois depuis l’enterrement. Il était soulagé de pouvoir être là pour elle et de voir qu’elle allait bien, qu’elle avançait. Le deuil se vivait différemment selon les gens : lui l’avait fui, Camélia avait appris doucement à relever la tête, quant à Clara… Clara s’était laissée dévorer par il ne savait quels sentiments liés à la mort de sa mère. Il espérait qu’elle pourrait un jour réapprendre à vivre comme Camélia le faisait. Avec un peu de chance, elle revivait déjà. Il le lui souhaitait.

***

 Une nouvelle année était passée. Théo et Thomas étaient installées au comptoir de la cuisine de chez Théo qui n’avait pas ouvert la bouche depuis qu’ils étaient entrés. Tout juste arrivés de leur trajet depuis Lyon, ils grignotaient avant de décider quoi faire de leur premier week-end de vacances.

 — Dis donc, sourit Thomas, ça commence à durer avec Thaïs. Bientôt trois mois, non ? Je fais un merveilleux cupidon !

 Thaïs qu’il avait commencé à approcher en début de deuxième année, une fille très sympa, assez intéressante, avec qui il avait commencé à sortir mi-avril, en laissant les choses se faire doucement.

 Théo ne sourit pas en retour et demanda :

 — Tu viens avec moi au club ? On va passer dire bonjour à la coach.

 — Ouhla, ça va pas avec Thaïs ?

 — Club, oui ou non ?

 Il n’avait rien contre Thomas, pourtant il était agacé.

 — Oui oui, let’s go, mais hors de question que tu t’en tires comme ça. Qu’est-ce qu’il y a avec Thaïs ?

 Théo haussa les épaules.

 — Rien de spécial. Allez, viens, avant qu’il fasse trop chaud.

 Les températures de juillet à Montpellier étaient toujours aussi impardonnables. Elles ne s’arrangeaient pas depuis les incroyables vagues de canicule de 2022, au contraire, chaque année amenait de nouveaux désagréments.

 La coach les accueillit à bras ouverts. Théo ne venait plus aussi souvent, il avait quitté le club, il ne rentrait pas de façon assez régulière. Mais il passait toujours dire bonjour dès qu’il pouvait.

 — Alors, comment allez-vous les garçons ?

 — Théo est encore blasé, se plaignit Thomas.

 — Mais non, arrête.

 — Oui oui, monsieur je suis trop au-dessus pour profiter de mes relations amoureuses.

 — C’est pas ça, se défendit Théo. Juste, c’est trop plat.

 — Et c’est pas toi qui rend ça plat aussi ? Platiste, va !

 — Ça n’a aucun rapport, ça. Je l’aime pas vraiment, c’est tout. Elle est adorable mais elle manque de caractère.

 Devoir se justifier le faisait froncer les sourcils et il était encore plus agacé envers Thomas.

 — David devait avoir raison quand il m’a parlé de la théorie des trois mois : un mois pour voir si ça tient, trois mois pour voir si c’est fait pour toi, et si t’atteins six mois, c’est que ça vaut le coup de se battre pour ça.

 — Depuis quand tu parles à David, toi ?

 — Depuis qu’il vient à l’appart’ avec toi de temps en temps, tête de nœud.

 La coach les regardait échanger en souriant.

 — Bon, à part ça, tout va bien ? Comment ça se passe en athlé ?

 La discussion s’apaisa et Théo finit par se calmer.

***

 Pour Halloween, Théo avait évidemment une soirée de prévue. Qui se déroulait évidemment à la colocation avec Thomas, les amis de Thomas, les amis de Théo. Il était évidemment déguisé en squelette, petit clin d’œil à son premier Halloween avec Clara où elle l’avait menacé de lui faire manger les squelettes en plastique de déco. Ce souvenir le faisait toujours sourire tout seul. Mais il n’avait évidemment pas prévu de recevoir un message de Clara juste avant que la soirée ne commence.

Clara – 31/10 – 19h43

 Tu sais, Halloween, ça me fait toujours penser à toi. J’avais toujours trouvé ça stupide et tu m’as fait aimer cette fête.

 Désolée de ne jamais avoir répondu à tes messages. De ne jamais les avoir lus aussi d’ailleurs. Ça fait plus de deux ans maintenant et beaucoup de choses se sont passées. J’ai beaucoup avancé. Je ne te remercierai pas pour le coup du psy parce que ça a été mal fait, mais sache que je vois un psy (celui que ma grand-mère m’avait conseillé) depuis deux ans et ça m’a aidée. Pas forcément énormément mais ça m’a permis d’avoir un appui, de savoir comment aller mieux. Je reprends doucement contact avec tout le monde : mon père depuis cet été, j’ai appelé Mamy il y a quelques jours.

 Je comprendrais que tu ne veuilles plus entendre parler de moi mais te connaissant tu seras encore trop gentil. Je suis ouverte à ce qu’on reprenne contact. Passe une bonne soirée.

 Il cligna des yeux, relu plusieurs fois le message, quitta l’application pour la rouvrir et vérifier que le message était toujours là et, enfin, soupira.

 — Clara… Tu es toujours pleine de surprises.

 Il verrouilla son portable et retourna à la préparation de la soirée.

 Il ne répondit au message que quelques jours plus tard.

Théo – 03/11 – 11h54

 Je suis content pour toi

 Théo – 03/11 – 11h55

 Mais tu sais en deux ans, j’ai eu le droit d’évoluer et de changer moi aussi…

 Théo – 03/11 – 11h57

 Je suis comme toujours ouvert à la discussion, mais j’aimerais juste savoir ce que tu attends de moi

 Clara – 03/11 – 13h20

 Rien de spécial, retrouver la seule personne qui ait réussi à me faire rire même quand rien n’allait. Couper les ponts était drastique et j’aimerais que ce ne soit pas définitif. J’ai super mal géré il y a deux ans, je suis désolée. C’était trop difficile alors j’ai préféré fermer la porte à tous, pour que tout le monde puisse avancer. Je sais que j’aurais pu faire mieux. Je veux faire mieux maintenant, je veux avancer.

 Théo – 03/11 – 13h22

 Ok

Théo – 03/11 – 13h22

 Mais ne t’attends pas à ce que je t’aide et te mâche le travail

 Clara – 03/11 – 13h26

 Ça me va

 Clara – 03/11 – 13h27

 Ton ego s’est développé

 Théo – 03/11 – 13h28

 Et le tien s’est calmé je vois

 Clara – 03/11 – 13h29

 Il fallait bien

 Théo – 03/11 – 13h30

 Alors, toujours à Nantes ?

 Clara – 03/11 – 13h31

 Oui, j’y suis bien. Et toi Lyon ?

 Théo – 03/11 – 13h32

 Yep, avec Thomas, je vis ma meilleure vie

 Pourtant, il avait beau dire ça, il savait aussi que quelque chose lui manquait.

 Il préférait ne pas creuser ce qui se cachait dans son cœur.

***

Théo – 18/03 – 09h03

 Hey, bon anniversaire Clara !

 Clara – 18/03 – 21h45

 Merci

 Il sourit : il avait droit à une réponse maintenant.

***

 Enfin. Le mois de juillet 2025 attendait Théo au tournant.

 Il l’avait fait. Il avait réussi sa L3 haut la main. Et il était pris en M1. Thomas à ses côtés, ils accueillaient les potes qui venaient célébrer la fin de l’année à l’appart. Toutes les semaines, ils se félicitaient d’avoir trouvé un appartement aussi grand : trois années de soirée dans le salon leur avait appris qu’ils auraient difficilement supporté de ne pas pouvoir inviter tout le monde s’ils avaient eu plus petit.

 — Alors BG, t’as un diplôme mais toujours pas de meuf à ton goût ? demanda William.

 — Ni de mec, renchérit David, joueur.

 — Oh arrêtez, rit Théo.

 — Ça ne va peut-être pas tarder, il reparle à Clara le coquin, annonça Thomas.

 — Mais dévo pas comme ça toi ! Et puis il y a rien, se défendit-il en se cachant derrière ses bras. On a juste échangé quelques messages.

 — Certes. Mais il pourrait y avoir.

 Théo haussa les épaules. Ils laissèrent tomber le sujet et Théo s’autorisa jusqu’à trois bières durant la soirée. Il avait arrêté de boire, sauf une bière de temps en temps, il voulait continuer de s’améliorer en athlétisme. Son nouveau club lui avait proposé un entraînement personnalisé, il avait du potentiel alors il avait décidé de l’exploiter à fond.

 — Tu seras là pour le concert dans deux semaines ? demanda William.

 — Bien sûr, confirma Théo. Je rentre sur Montpellier demain mais je reviendrai exprès pour le concert.

 — Parfait, en route pour devenir riches et célèbres alors.

 Ils rirent de bon cœur.

***

 Thomas conduisait le lendemain soir pour rentrer à Montpellier. Théo sur le siège passager s’amusait à choisir une musique qui caractérisait chacun de leurs potes.

 — Comment tu fais pour avoir autant d’énergie, soupira Thomas.

 — D’habitude, c’est l’inverse mais je me suis surtout pas mis une mine hier. Et ça te garde réveillé. Regarde la route au lieu de me regarder de travers !

 Thomas rit en secouant la tête avant de grimacer.

 — Ahhh ma tête. J’ai hâte d’être arrivé. Je te pose chez toi ?

 — Nan, je peux rester chez toi ? Tu me déposeras demain en allant voir ta grand-mère.

 — Ok parfait.

 Théo n’avait pas envie de rentrer pour trouver une maison vide. Il savait que ses parents ne seraient pas là mais seraient là le lendemain. Les choses ne changeaient pas toujours.

 — Tu te rends compte mec qu’on est en 2025 et déjà à la moitié de l’année ? dit soudain Théo.

 — Arrête, t’es déprimant. Je devais trouver l’amour de ma vie avant fin 2025 dans les plans de vie.

 — Fais pas genre t’as des plans de vie, toi.

 Un ricanement lui répondit.

***

 Quand Théo entra chez ses parents, sa mère était en train de cuisiner.

 — Je me demandais quand tu rentrerais.

 — Ah oui, j’ai oublié de te mettre un message, j’étais chez Thomas hier soir.

 — Je m’en suis doutée. C’était cool votre soirée ?

 — Yep !

 — Félicitations pour ton année, fils, dit son père qui venait d’entrer dans la cuisine. Je ne suis toujours pas convaincu de ce que ça te promet pour l’avenir mais c’est indéniable que tu es bon dans ce que tu fais.

 — Merci Papa. Mais tu aurais pu garder la fin de ta phrase pour toi tu sais, sourit Théo.

 Mieux valait en rire qu’en pleurer.

 — Au fait, dit sa mère, Clara est dans le coin.

 — Hein ?!

 Théo tourna la tête si vite qu’une de ses vertèbres émit un craquement sonore. Il grimaça.

 — Clara est dans le coin.

 — Oui oui, j’avais entendu mais… depuis quand ?

 Il vérifia son portable au cas où : elle ne lui avait pas envoyé de message.

 — Elle est rentrée il y a quelques jours et elle est passée avant d’aller chez ses grands-parents. Elle pensait que tu serais déjà là, je lui ai dit que tu rentrerais probablement ce week-end.

 — Elle voulait me voir ? s’étonna Théo.

 Sa mère fronça les sourcils.

 — Pourquoi est-ce qu’elle n’aurait pas voulu ?

 Il balaya la question d’un mouvement de la main.

 — Donc là si je vais chez ses grands-parents, elle devrait être là ?

 — Tu y vas à vélo ?

 Théo leva les yeux au ciel.

 — Je vais surtout utiliser un truc génial qui s’appelle un téléphone.

 Théo – 06/07 – 11h05

 Je viens d’arriver chez mes parents

 Théo – 06/07 – 11h06

 Tu es où ?

 Clara – 06/07 – 11h08

 Devine.

 — Ok, je file, à toute !

 Il sortit en trombe de la maison, hésita sur le seuil, fit demi-tour pour récupérer le bonnet de Clara dans sa valise, ressortit et enfourcha son vélo. A nouveau, il avait 18 ans et bravait le soleil de juillet et ses températures intenables. Chaque coup de pédale plus rapide que le précédent, il ne laissait pas de place à la réflexion.

 Il arriva en nage au chemin qui menait au château de Viviourès. Il fouilla son sac et engloutit la moitié de sa bouteille d’eau avant de monter. C’est ce moment que choisirent les paroles de Camélia pour lui revenir en tête : « Ça fait longtemps que Clara a cette emprise sur toi. », « Avec Clara, c’est ancré en toi… ». Trois ans ne suffisaient donc pas ? La première fois, quatre ans n’avaient pas suffi. Il prit le temps de respirer. Pourquoi accourait-il de la sorte ? N’apprenait-il jamais la leçon ? Il fit une pause, releva le regard vers la pente qui l’attendait, recouverte de débris de roches blanches. Les lieux n’avaient pas changé. Tant de choses qui ne changeaient pas, malgré les variations de la vie. Des variations, il en avait vécu des tas pendant ces trois dernières années. Mais ses constantes restaient les mêmes. Était-ce un problème ? Comme l’arbre qui changeait au fil des saisons, Théo se sentait différent et le même à la fois, peut-être avait-il juste pris un peu plus de feuilles.

 Il avait hâte de revoir Clara mais il avait surtout hâte de retrouver cette Clara qu’il n’avait jamais vraiment retrouvée trois ans auparavant. Il lui avait dit qu’elle n’avait pas changé mais il savait en ce jour-là qu’il avait eu tort, il savait combien la Clara de 18 ans était dévorée par son mal-être, il savait maintenant qu’il s’apprêtait à trouver une Clara en forme. En forme pour de vrai.

 Et c’était peut-être ça qui le pressait tant : savoir qu’elle était prête, que c’était elle qui avait fait le premier pas. Que, pour une fois, il ne se sentirait pas seul fautif de leur relation, pour une fois il n’agissait pas seul pour créer ce qui existait et pourrait exister entre eux.

 Si elle faisait ce pas, alors il était déterminé à faire tous les pas qu’il faudrait.

 Arrivé en haut, ses yeux tombèrent immédiatement sur elle, allongée sur la même roche que trois ans auparavant. Le lieu n’avait pas bougé d’un poil. Elle avait son portable en main et lorsqu’elle vit Théo, elle le leva pour le prendre en photo. Il entendit le « clic » de l’appareil photo. Il devait être beau, tout transpirant, la bouche grande ouverte.

 — T’as laissé le clic, dit-il en souriant.

 Clara s’était coupé les cheveux, ils lui arrivaient désormais tout juste aux épaules mais étaient toujours aussi blonds. Elle avait à ses côtés un nouveau chapeau de paille.

 Il s’approcha prudemment, comme si elle risquait de s’envoler à tout moment. Mais elle semblait bien ancrée dans le réel.

 — Tu es en retard, dit-elle en faisant mine de regarder une montre imaginaire.

 — Tu ne m’avais pas donné d’heure.

 — Tu aurais dû le savoir.

 Il sourit à pleine dents. Elle était là, en chair et en os, un sourire flottant sur les lèvres. C’était une excellente journée.

 — Tu es revenue… murmura-t-il, encore un peu sous le choc.

 — Jamais deux sans trois, répondit-elle en écho à ses pensées.

 — Est-ce que ça veut dire que tu repartiras une nouvelle fois ?

 — J’en ai fini de fuir.

 Il laissa échapper un soupir qu’il ne pensait pas retenir.

 — Alors, tu revois tes grands-parents maintenant ?

 — C’est la première fois que je retourne chez eux, oui. Ils étaient trop contents. Mais ça fait quelques mois que je les appelle toutes les deux semaines grosso modo. Ça te dit de venir manger à la maison ce soir ? Ça leur ferait trop plaisir de te revoir.

 Un deuxième pas. Il ne ferait pas que les pas qu’il faudrait, il ferait tous ceux qu’elle lui demanderait de faire.

 — Ça va un peu vite entre nous, se moqua-t-il.

 Elle souffla du nez et il reprit :

 — Mais ça me va. Je suis prêt à affronter tes grands-parents je crois.

 — Fais pas genre, je sais que tu les as vus pendant ces trois ans.

 — Han ! s’exclama-t-il en posant une main au niveau de son cœur. Ils t’ont tout dit, quelle trahison !

 — Drama queen, dit-elle en souriant.

 — Il y a des choses qui ne changent pas.

 Ils se fixèrent quelques instants. Ses yeux étaient toujours aussi bleus mais n’avaient jamais été si vivants. Théo se sentait revivre lui aussi. Voilà longtemps que son cœur n’avait pas battu si fort.

 — J’imagine que non, confirma-t-elle.

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