Journal de Clara

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11/09/2022

Ok. Peut-être que tout n’est pas si rose. Peut-être que la solitude commence à me peser. Peut-être que partir n’a pas miraculeusement résolu mes problèmes. Peut-être. Mais c’était nécessaire et ça l’est toujours. Peut-être que ce n’est pas suffisant, oui. Peut-être que c’est trop dur seule. Je ne sais pas par où commencer. J’espérais naïvement n’avoir rien besoin de faire, que l’air d’ici, vierge de souvenirs, suffirait à effacer la peine. Mais ça ne marche pas comme ça. Sinon je n’aurais pas passé 4 ans à broyer du noir.

12/09/2022

J’espère que la course de Théo s’est bien passée hier.

22/09/2022

J’ai retrouvé le nom du psy que Mamy m’avait donné. Parait que ça pourrait m’aider. Si je le veux.

J’ai envie d’avancer, je crois. Mais je ne sais pas comment. Je pensais qu’il suffisait que je vive ma vie loin de tout mais je n’arrive pas à profiter. Je n’ai quasiment pas lu depuis que je suis ici, je n’arrive pas à me mettre dedans… Ecrire dans ce carnet ne me suffit pas à évacuer. Evacuer quoi ? … Je n’arrive même plus à poser des mots.

10/10/2022

Je suis allée voir un psy : c’est étrange à écrire. C’était la première séance, il ne s’est pas passé grand-chose, j’ai juste parlé. Je ne sais pas si ça m’a fait du bien, je ne sais pas si ça va m’apporter, c’est un vieux, il ne m’a pas contrariée, n’a fait que hocher la tête en posant quelques questions, je ne sais pas ce qu’il peut m’apporter. Il a noté des trucs, m’a juste dit qu’on commencerait le travail la semaine prochaine. D’ici là, je dois réfléchir à ce que j’aime dans la vie. Je n’ai pas envie de répondre à cette question.

17/10/2022

Je ne sais pas pourquoi j’ai abordé le sujet du théâtre. De moi-même. Il m’a demandé mes loisirs avant que Maman ne meure et c’est sorti tout seul. Comme s’il VOULAIT sortir. Je n’ai pas voulu développer et il n’a pas insisté, c’était bien comme ça. J’ai cru m’en sortir. Mais au moment de partir il m’a suggéré d’aller au théâtre pour sortir. Parait que ça pourrait me faire du bien de voir du monde et de renouer avec le théâtre.

Je ne veux pas.

19/10/2022

Mais quand même je n’arrête pas d’y penser.

Il fut un temps où j’écrivais des scènes. Dans mes anciens carnets.

Ça ne me ferais pas de mal de reprendre ?

Maman aurait sûrement voulu que je continue.

Ecrire n’est pas jouer. Théo m’aurait dit de le faire.

24/10/2022

La scène se déroule dans une pièce blanche. Il y a un cadre avec une peinture de bateau derrière le bureau. LE PSY est assis dans son fauteuil, le calepin sur les genoux. LA FILLE est assise en face, voûtée.

LE PSY : Alors, vous avez repensé au théâtre ?

LA FILLE (elle regarde par la fenêtre) : Oui.

LE PSY : Vous êtes allée voir une pièce ?

LA FILLE : Non. (Une pause.) J’ai décidé d’en écrire à nouveau.

LE PSY : Donc vous en écriviez. C’est bien, ça vous fait du bien d’en écrire ?

LA FILLE : Je crois.

LE PSY : Et vous jouiez avant ?

LA FILLE : Mmh. (Elle tourne le regard vers lui.)

LE PSY : Vous n’auriez pas envie de rejouer ? Imaginez-vous sur scène, que ressentez-vous ?

LA FILLE (elle réfléchit un moment avant de secouer la tête et répondre) : Ça me donne l’impression de me trahir. De trahir Maman.

LE PSY : Quelle émotion est associée ?

LA FILLE : La colère.

LE PSY : Vous êtes en colère contre le théâtre ?

LA FILLE : Non. (Elle se redresse soudainement.) Je suis toujours en colère contre Maman pour… C’est ridicule.

LE PSY : Ça ne l’est sûrement pas si ça vous pèse toujours. Qu’est-ce qui vous met en colère ?

LA FILLE : C’est… (Elle soupire.) Je devais jouer le premier rôle d’une grande pièce l’année où Maman est morte. Ça aurait pu m’ouvrir beaucoup de portes, c’était une grande opportunité. On m’a annoncée que j’avais le rôle, je l’ai refusé parce que l’état de ma mère se dégradait… Elle est morte un mois plus tard… C’est à cause d’elle que je n’ai pas pris ce rôle et elle est morte derrière. Ça me donne l’impression de… de…

LE PSY : D’avoir fait ce sacrifice pour rien ?

LA FILLE (honteuse) : Oui.

LE PSY : N’en ayez pas honte. C’est normal, on vous a pris quelque chose qui comptait visiblement beaucoup pour vous, puis votre maman, c’est normal de trouver ça injuste.

LA FILLE : Ce n’est pas ça. Ma mère s’est suicidée ! Alors, oui, je lui en veux, ce n’est pas une question d’injustice de la vie.

LE PSY : Et si vous aviez su que votre maman allait mourir bientôt, vous auriez pris le rôle ?

LA FILLE : Non, probablement pas…

LE PSY : Alors c’est vous qui avez pris cette décision, elle est de votre responsabilité. Et votre maman, elle savait pour ce rôle ?

LA FILLE : Je lui en avais parlé rapidement, oui. Et j’ai peur que ça ait servi d’argument pour elle, d’argument comme quoi elle était un boulet pour nous…

LE PSY : N’aurait-elle pas voulu que vous avanciez maintenant qu’elle n’est plus là ? Que vous puissiez vous mettre au théâtre sans que vos proches vous limitent ? Que vous soyez libre d’être jeune ?

LA FILLE : Peut-être. Sûrement. Oui. Mais elle ne nous a pas concerté avant de décider de mourir.

LE PSY : Vous vous êtes sentie trahie.

LA FILLE (relève la tête) : Oui.

LE PSY : Et vous pensez la trahir en reprenant le théâtre ? Mais qui avez-vous trahi en arrêtant le théâtre ? Qui trahissez-vous tous les jours en vous en tenant éloignée ?

LA FILLE ne répond pas. Ils connaissent tous les deux la réponse à ces questions : elle-même.

LA FILLE baisse la tête et LE PSY sourit avant de noter quelque chose sur son carnet. Le rideau tombe.

31/10/2022

Aujourd’hui, on a parlé de Théo. Parce que c’est Halloween et que j’associerai toujours Halloween avec Théo, ça n’a été une tradition que de 3 ans. Je l’ai brisée quand Maman est morte. Pourtant, ça aurait pu durer 20 ans que ce serait pareil. Halloween est profondément associé à Théo, c’est lui qui m’a fait aimer cette fête.

LE PSY : Et pourquoi vous ne lui envoyez pas de message ?

LA FILLE : Pour pouvoir avancer, tous les deux.

LE PSY : Qu’est-ce qui vous dit qu’il avance où il est ?

LA FILLE : C’est Théo. Il ne sait pas reculer. (Elle sourit.)

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