Chapitre 9

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 Une fois rentré, Théo passa la journée à comater, allongé sur son lit. Il était bien content que la température descende enfin en dessous des 30 degrés. Les lendemains de cuite étaient plus compliqués quand la chaleur était de la partie. Une sensation étrange l’avait écrasé toute la journée, une sorte de mal lointain qui menaçait de lui compresser l’estomac. Il mettait ça sur le compte de l’alcool. Pourtant, quand la sensation se fit plus présente vers 18 heures et qu’elle commença à remonter le long de l’œsophage jusqu’à enserrer sa gorge, il dut admettre qu’il n’y avait pas que l’alcool dans l’équation. Allongé sur le dos, les mains sur son ventre, les yeux fixant le plafond, il ressemblait presque à un homme mort. Est-ce à ça que je ressemble sans Clara ? se demanda-t-il. Quelle drama queen.

 Respirer devenait difficile, son torse se soulevait de plus en plus fort et il serra les dents. Il avait cru être un peu heureux la veille. Ce n’était que temporaire, bien sûr qu’il n’allait pas aller mieux avec un claquement de doigts, qui croyait-il berner ? Bien sûr qu’il n’acceptait pas le départ de Clara. Bien sûr qu’il n’acceptait pas que sa relation avec ses potes se détériore. Bien sûr qu’il flippait à l’idée de la rentrée. Bien sûr qu’il en voulait à ses parents de ne pas s’y intéresser. Bien sûr qu’il en voulait à lui-même de ne pas savoir faire mieux.

 La boule grossit et il finit par laisser un sanglot sortir. Un autre et il était en larmes. Pathétique. Il était censé être heureux et lumineux, où était passé le Théo que tout le monde adorait ?

 Il ne mangea pas ce soir-là. Entre la soirée et les pleurs, il était épuisé et tout son corps le suppliait de rester couché et de ne surtout rien avaler.

Dernière fois que je bois comme ça, pensa-t-il. Mais il savait déjà qu’il ne respecterait pas cette énième promesse.

***

 — Bon, mon grand, c’était ton dernier jour ? Prépare-toi bien à ta rentrée, j’espère que ça se passera bien tes études.

 Le patron de l’épicerie était un homme avec une bonne bedaine qui était adorable. Il abattit sa main d’ours sur l’épaule de Théo et lui offrit une tablette de chocolat.

 — Tu m’auras bien soulagé cet été, bon travail. Tiens, j’ai vu que tu aimais bien ça.

 Théo accepta le cadeau avec un petit sourire. Le chocolat, ce n’était pas pour lui mais toujours pour Clara. Il n’y toucherait pas mais la rangerait là où trainait toujours une tablette de chocolat, au cas où.

***

 Ses parents lui proposèrent un restaurant le samedi soir, pour fêter la fin de l’été eux aussi. Pour Théo, ce n’était plus une fête. La fin de l’été, c’était un dur retour à la vie.

 — Alors, prêt pour ta rentrée ? demanda sa mère.

 La rentrée…

 — On a une coloc avec Thomas.

 — C’est top ça, sourit-elle. Alors, musicologie ? Qu’est-ce que tu veux y faire ?

 Les regards inquisiteurs de ses parents le déstabilisèrent. Il n’avait pas l’habitude de leur pleine attention.

 — Que me vaut cette attention soudaine ? demanda-t-il avec précaution.

 Son père leva les yeux au ciel.

 — Tu es notre fils.

 — Ça ne t’a pas empêché de me parler de droit l’autre jour alors que je vous ai dit que je voulais aller en musicologie.

 — Tu ne t’étais pas étendu sur le sujet…

 — Bah bien sûr ! Vous m’aviez à peine écouté !

 — Théo, doucement, intervint sa mère. Je suis désolée si tu t’es senti délaissé, ton père et moi sommes toujours un peu ailleurs, la tête dans nos dossiers… Là que nous sommes en vacances, on arrive mieux à penser à autre chose.

 Théo les regarda tour à tour, une moue sceptique sur les lèvres.

 — Alors, Théo, pourquoi la musicologie ? Et tu commences quand ?

 — Je veux faire des musiques de films.

 Sa mère hocha la tête d’un air entendu.

 — Et je commence le 12. Comme Thomas. Mais le 11 il y a la course de Saint Gély.

 — Ça ne te laissera pas beaucoup le temps de t’y préparer, ça ne t’inquiète pas trop ?

 — La course ou la rentrée ?

 — Les deux, répondit-elle avec un haussement d’épaules.

 Finalement, il était un peu inquiet de sa rentrée mais sans plus, ce n’était pas la panique des autres années. Il se sentait assez confiant. Ou peut-être était-ce simplement parce qu’il n’y pensait aucunement. L’absence de Clara avait creusé un vide rempli par l’angoisse de son absence. Il n’y avait pas la place pour d’autres inquiétudes.

 Il haussa simplement les épaules.

 — Tu sembles un peu ailleurs, fit remarquer sa mère.

 Alors, il leur raconta. Le départ de Clara et l’éloignement des amis, parce que, pour une fois, ses parents étaient là, ils l’écoutaient, et il avait besoin de sortir tout ça, qu’on l’épaule. Ils l’écoutèrent sans le couper dans un silence respectueux.

 — Ce sont les expériences qui forgent la jeunesse, dit son père.

 Théo leva les yeux au ciel. Ça ne voulait rien dire.

 — Vous devriez discuter avec tes copains, conseilla sa mère. Mais il n’y a pas grand-chose à faire avec Clara, il y a des personnes sur qui on n’a aucune emprise. Et au contraire, elle en avait trop sur toi.

 Il hocha la tête.

 — C’est comme ça qu’on apprend, ajouta-t-elle.

 — Bon, et alors, cette rentrée ? Tu as tout ce qu’il te faut ?

 Il n’y avait pas réfléchi.

 — Il va falloir t’y intéresser un peu, remarqua sa mère. Votre coloc est meublée ? Il faudra faire la liste de ce que tu dois emmener.

 Tout ça épuisait déjà Théo. Du stress ajouté à sa détresse sentimentale.

 Quand ses parents s’intéressaient à lui, c’était toujours très logistique, et ça ne durait jamais bien longtemps. Mais c’était tellement rare qu’il prenait sur lui pour ne pas écourter ces conversations qui le stressaient. Un jour peut-être arriverait-il à leur en parler, à leur expliquer ce qui le peinait, ce qu’il attendait et espérait d’eux. Pour le moment, il profitait de leur intérêt, de leur présence et, plus tard, quand il aurait pris en confiance, il en parlerait.

 Ça avait son avantage aussi d’avoir des parents qui n’était pas chagrinés de voir leur enfant partir pour ses études.

 Ça rendait la séparation plus facile en un sens. Et, en même temps, il les voyait si peu que, de son côté, il n’avait pas hâte de les voir encore moins.

 — Bon, on va gérer tout ça la semaine qui arrive, sourit sa mère.

 — Dites, je peux inviter les potes demain midi pour faire un barbecue ? J’ai besoin de leur parler, tant qu’ils ne sont pas encore tous partis…

 — Bien sûr mon grand.

***

 — Mais Papa, laisse-moi payer.

 — Prends ça comme un cadeau avant que tu partes.

 — N’importe quoi…

 — Non, c’est « merci Papa » qu’on dit.

 — Merci Papa, marmonna Théo.

 A peine sorti de l’entraînement d’athlétisme du matin, son père l’avait emmené à la boucherie pour acheter de quoi nourrir tout ce petit monde qui n’allait pas tarder à débarquer pour le barbecue. Thomas et quelques-uns du club étaient déjà là et aidèrent à lancer le feu.

 Alex ne tarda pas à arriver, en même temps que Boris.

 — Tu t’es rappelé de l’existence de tes potes ? demanda-t-il d’entrée de jeu.

 — Mec, commence pas.

 — Ah pardon, on fait selon tes règles, c’est ça ?

 — Je crois qu’on a tous compris que tu lui en voulais, intervint Boris, mais dès l’arrivée c’est dur.

 — Attends au moins que tout le monde soit là pour ça, compléta Thomas avec un sourire en coin.

 Théo leur adressa un regard ennuyé mais il était bien content qu’ils soient là.

 Ses parents partirent déjeuner chez des amis au moment où les derniers arrivèrent.

 Quand tout le monde fut là et que Théo eut finit de sortir sur la table extérieure les gâteaux apéritifs et les olives, il se racla la gorge.

 — Un discours, un discours, se moqua Thomas.

 Théo le fusilla du regard mais il ne put s’empêcher de sourire.

 — Bon, tout le monde est là. Enfin, il manque notre bon vieux Malo…

 — Il était trop pressé de nous quitter.

 — Il voulait peut-être juste fuir Théo…

 — Alex, s’il-te-plaît, soupira Théo. Bref, j’appellerai Malo plus tard. Pour le reste, je me suis dit que c’était maintenant ou jamais. Un dernier barbecue avant de partir un peu partout, sauf pour ceux qui restent dans le coin. Mais avant ça, je voulais vous parler un peu… Parce qu’il y a eu certaines… tensions.

 — La faute à qui ?!

 — Pas que la mienne, Alex. Et j’apprécierai de pouvoir parler sans qu’on me coupe ou qu’on marmonne dans son coin, vu que j’aimerais bien qu’on redevienne potes comme avant.

 — Attention les gars, Théo montre les crocs, observez bien le phénomène, c’est assez rare, se moqua Boris.

 — Très drôle, merci, répondit Théo sarcastique.

 — Eh, détends-toi…

 — Ouais déso…

 Il inspira fortement.

 — Bon. J’ai eu pas mal de reproches sur mes absences. Alors, certes, je n’ai pas passé TOUT mon été avec vous comme prévu, certes. Mais merde les gars, on n’a jamais reproché à qui que ce soit de faire sa vie à côté alors pourquoi commencer ? Et non, je ne vous ai pas juste lâché pour une fille, dit-il en mimant des guillemets sur le mot juste. J’ai partagé mon temps. Mais c’est vrai que j’ai peut-être pas été super fun cet été, ça a été un peu les montagnes russes pour moi. Certains l’ont su, d’autres non, mais je suis sorti avec Clara…

 Quelques sifflements fusèrent.

 — Tu nous reviens parce que tu t’es fait jeter ? demanda Alex.

 Théo l’ignora.

 — J’ai fait moins de soirées et sorties que d’habitude, j’ai fait des choix. Mais je ne vois pas en quoi tout ça devrait impacter notre amitié, je ne vois pas en quoi on devrait m’en vouloir. Par contre, au début de l’été quand j’ai retrouvé Clara, il y en a qui se sont montrés… macho… sexistes… beaufs, et j’ai pas trop aimé traîner avec des personnes qui n’étaient pas capables de respecter mes autres amis et se basaient uniquement sur les apparences.

 Théo commençait à se sentir un peu moins à l’aise à s’exprimer comme ça, devant ses potes en arc de cercle qui le regardaient, attendant de voir où il voulait en venir. En réalité, Théo n’était pas sûr d’où il voulait en venir. Il tourna la tête, posa son regard sur un bol d’olives pour se raccrocher à quelque chose.

 — Donc il se pourrait que je me sois effectivement éloigné et, si c’est le cas, c’est à cause de ces comportements… Je veux pas des potes qui rejettent mes autres potes. Je veux traîner avec des gens ouverts d’esprit et respectueux…

 — Mec, tu peux pas dire qu’on n’est pas ouverts d’esprit, regarde on a rien à dire sur les gays !

 — C’est vrai que vous m’avez jamais fait de remarques sur le fait que je sois bi, ni à Luc d’ailleurs… Merci pour ça. C’est aussi ce qui a rendu plus dur le fait de me rendre compte que vous pouviez être des vraies merdes sur d’autres trucs, notamment par rapport aux meufs.

 — Tu nous as appelé pour nous faire un procès en fait ?

 — Non, pour qu’on s’explique. Disons que j’ai eu l’impression d’être entouré de gens toxiques quand j’ai commencé à traîner avec Clara. J’ai été moins présent et on a mis en doute mon amitié parce que j’étais moins là, dit-il en grimaçant en direction d’Alex, et pour quelqu’un qui ferait tout pour ses potes, bah ouais j’ai pas trop apprécié. Donc bref… Je tiens à vous tous et j’aimerais bien qu’on retrouve notre amitié normale, mais il y a certains comportements que je ne peux plus tolérer. Et je remercie Clara de m’avoir bien ouvert les yeux sur certaines choses. J’aimerais dire que je veux être amis avec tout le monde, parce que c’est le cas, mais les macho beaufs ce sera sans moi… Voilà.

 Théo croisa le regard de Thomas qui hocha la tête en soutien.

 — Et comme on va me le demander, comme Alex l’a fait, oui c’est fini avec Clara, elle est partie loin pour ses études. Et pour ceux qui ne sont pas encore au courant puisqu’on a très peu parlé, je rentre en musicologie à Lyon à la rentrée… Et, hésita Théo, quand même, vous m’avez manqué. Je voulais passer un été de ouf et, ça a été un été particulier, merci d’être là…

 — Merci drama queen, applaudit Thomas. Levons un toast aux non-machos.

 — Franchement, je sais pas ce que je fous là, intervint Alex. Amusez-vous bien entre tapettes qui se prennent pour des acteurs de séries hollywoodiennes.

 Il leva la main en guise de salut et s’éloigna. Ils le regardèrent monter sur sa mobylette et partir sans un regard en arrière.

 — Ça, c’est fait, remarqua Boris. D’autres machos qui veulent le rester ?

 Théo sourit, heureux d’avoir des amis comme Thomas et Boris.

 — Mec, intervint un de ses amis de l’équipe d’athlétisme, désolé qu’on ait été cons comme ça. Je crois qu’on se rendait pas forcément compte. Pourquoi tu nous en as pas parlé plus tôt ?

 — C’était pas si simple, soupira Théo. Je voulais pas foutre la merde dans l’équipe et dans mes potes…

 — Franchement, ça aurait pas été le cas… Mais je vois.

 — Ecoute, si ça devait être la merde, je préférais que ce soit avant que tout le monde parte aux quatre coins de la France plutôt qu’au début de l’été et qu’on passe tous un été de merde.

 — Tu t’es un peu gâché ton été tout seul en faisant ça…

 — J’ai passé un été ok, sourit Théo. Et enrichissant.

 — Et alors cette Clara ? On a été con la concernant mais on a bien vu que tu tenais à elle…

 — Je préfèrerais ne pas en parler…

 Théo fut sauvé par d’autres amis qui arrivaient : ceux qui n’étaient pas concernés par le drama mais qu’il voulait revoir avant de partir, ça incluait donc une bonne partie de ceux et celles avec qui il partageait des options au lycée, quelques-uns du collège, son voisin, des gens du solfège et ceux des autres niveaux en athlétisme. Il se demanda un instant s’il avait bien prévu assez de nourriture.

 — Bon, s’exclama Thomas, c’était un peu la mise au point mais à la base on est quand même là pour une raison bien plus fun… Maintenant que les chieurs ont déserté, dit-il en faisant référence à Alex, on peut le dire : bon anniversaire BG !

 Il leva son verre et les autres firent de même. Théo laissa un grand sourire lui manger le visage, reconnaissant.

 Il le fut encore plus quand Thomas lui apporta ses cadeaux. Tout le monde s’était cotisé et il sortit des paquets un livre « La guitare basse pour les nuls » qui le fit pouffer, une banderole « 18 ans » mais surtout un étui de basse qu’il pensa vide avant de le soupeser. Il fit les gros yeux, cherchant confirmation sur les visages souriants de ses amis.

 — Bande de fous…

 A l’intérieur de l’étui se trouvait une basse toute neuve. Il laissa ses doigts glisser sur le bois sombre, subjugué.

 — On s’est dit que ce serait pas mal d’avoir ta propre basse pour partir, expliqua Thomas. Celle du papy de Clara est vieille… Et, je te rassure, tes parents ont participé aussi.

 Théo secoua la tête, comme pour retrouver la réalité. Il se pinça les lèvres, remontant les yeux pleins de larmes vers ses amis.

 — Merci… Merci. Vous êtes les meilleurs.

 — Allez, maintenant que c’est fait, à table, intervint Boris au barbecue. La viande est cuite.

 S’ensuivit une journée à penser à autre chose, entouré de ses amis. Théo resterait en froid avec Alex, c’était un ami de longue date mais après cet été il était prêt à le laisser partir. Restaient ceux qui en valaient la peine. Théo était heureux. Ou presque.

***

 Il pensait à Clara. Tout le temps. Quand il se levait, quand il mangeait, quand il parlait avec les autres. Elle était partout, même dans ses rêves. Et son silence n’en était que plus impactant. Il n’avait pas pu résister à lui envoyer quelques messages : lui demander comment ça allait, lui souhaiter une bonne rentrée, lui donner des nouvelles… Evidemment, elle n’avait pas répondu. Elle ne les avait même pas vus. Peut-être l’avait-elle bloqué.

 Théo n’attendait plus de réponse mais il n’en avait pas moins mal pour autant. Ça faisait deux jours qu’il était avec ses parents chez son grand-père et il commençait à saturer de voir Clara de partout. Il lui semblait qu’elle surgissait à chaque coin de rue alors qu’il n’était jamais venu à Toulouse avec elle.

 Après avoir marché en ville toute la fin d’après-midi, ils rentraient enfin à l’appartement. Théo rêvait d’un monde où cet appartement était en fait celui de Clara. Il soupira, ses longs cheveux blonds imprimés sous ses paupières. Il devait dire au revoir lui aussi pour pouvoir avancer. Elle avait dit qu’il était temps d’avancer, il n’y avait pas de raison que ça ne concerne qu’elle. Lui aussi devait avancer.

Théo – 06/09 – 17h56

 Salut Clara

 Tu sais, j’en ai marre de te voir de partout

 Mon esprit n’a pas compris que tu es partie on dirait

 Je ne te dirai pas que je te comprends, ce n’est pas le cas, je pense toujours que tu aurais pu faire ça autrement, partir autrement, même sans garder contact, mais je n’y peux rien et si ça te permet d’avancer alors c’est tout ce qui compte

 Je t’aime

 Et j’arrête de t’embêter

 Bon courage pour la suite

 Il ne savait pas si le message lui parviendrait, ce n’était pas grave. Il se donnait l’occasion d’avancer.

 — Théo, viens donc m’aider à ranger ça, appela son grand-père.

 Encore dans l’entrée, Théo souffla un bon coup, déposa ses chaussures et se rendit dans la cuisine où était son grand-père. Encore deux jours de vacances ici.

***

 Après avoir couru tous les jours depuis le dimanche précédent, malgré son absence de régularité pendant l’été, Théo se sentait en forme et prêt pour la course. Il ne s’attendait pas à faire des miracles mais il se devait de faire honneur à la ville des grands-parents de Clara. Il faisait le tracé de 15 km avec Thomas. Les autres de l’équipe n’étaient pas intéressés et préféraient privilégier leurs déménagements. Il n’y avait que Théo et Thomas pour participer alors qu’ils partaient le soir pour Lyon. Théo avait prévu de faire le challenge du Pic Saint Loup en entier mais il n’avait pas encore réfléchi à la logistique pour revenir de Lyon à chaque fois. Ou plutôt, il ne voulait pas y penser. Et il était presque sûr de regretter, attendant de voir de quelle manière son stress allait se manifester.

 Pour l’instant, il patientait près de la ligne de départ aux côtés de Thomas. Camélia, qui restait à Montpellier pour ses études, était un peu plus loin, venue l’encourager avec une amie.

 L’air matinal était frais et c’était agréable. Enfin, ce fut le départ pour leur tracé, Théo commençait à trépigner. Il échangea un check avec Thomas avant de s’éloigner pour ne pas se déranger mutuellement. Trop de fois Théo s’était calé sur Thomas sans le réaliser, ce qui lui avait valu d’aller trop doucement au début et de devoir trop forcer à la fin pour rattraper son temps. Thomas faisait des temps de courses plus longs mais avait surtout une stratégie de course différente qui ne correspondait pas à Théo. Et Théo avait une réputation de favori à tenir, même si ce n’était rien de bien sérieux, il comptait bien à ce que ça le devienne un jour.

 Le coup de sifflet retentit et Théo se lança, respirant profondément la brise rafraîchissante de septembre. Il se concentra sur le bruit de ses pas sur lequel il cala sa respiration. Un mouvement dans le coin de l’œil lui fit tourner la tête : les grands-parents de Clara étaient là, souriants. Angélique transportait une boîte de cookies à offrir aux bénévoles. Théo leur fit un signe de la main avant de se reconcentrer sur le tracé devant lui. Il y avait bien longtemps qu’il n'avait pas fait cette course, en plus le tracé avait changé. Il avait refusé de la faire chaque année après le premier départ de Clara, puis c’était devenue une habitude de ne pas la faire, on ne lui proposait plus. Cette année, il avait décidé de faire le challenge alors la question ne se posait pas, évidemment qu’il allait faire la course de Saint Gély. Mais Clara était revenue puis repartie. Et il faisait quand même la course, parce qu’il le devait. Et peut-être aussi parce que Thomas l’avait menacé de lui faire faire toutes les tâches ménagères de l’appartement s’il ne le faisait pas… Peut-être. En serait-il au même point de sa vie sans Thomas ? Probablement pas.

 Le bruit de ses pas foulant le sol forestier le mettait dans une sorte de transe. Les arbres défilaient en périphérie de sa vision et ses yeux restaient fixés sur l’horizon en face. Un pied après l’autre. C’était comme ça qu’on avançait. Et c’était comme ça qu’il devait reprendre sa vie : un pas après l’autre. Il en oubliait ceux qui l’entouraient. Courir lui permettait de penser sans aucun stress, au contraire il était rarement aussi calme.

 Arrivé au milieu de la course, il jeta un œil à sa montre : il n’allait pas faire son meilleur temps. Il accéléra quand même la cadence, il n’était pas question de faire un temps inférieur à sa moyenne habituelle alors qu’il était en forme.

 Les derniers kilomètres approchaient.

Tu cours loin des emmerdes de cet été. A la ligne d’arrivée t’attend un monde merveilleux où tes potes sont trop cool, Clara va bien et tu es ok sans elle, tu es apaisé et fais ce qu’il te plait. Allez, encore un petit effort, se disait-il.

 — Numéro 15 ! s’exclama le compteur quand Théo franchit la ligne.

 Il continua de trottiner sur quelques mètres avant de s’arrêter. Il accepta la bouteille que Camélia lui tendit, respirant difficilement. Sa coach le retrouva bien vite.

 — C’est bien, dit-elle en posant sa main sur son épaule. Tu es légèrement en-dessous de ton temps moyen. Mais il va falloir te remettre un peu plus dedans, je sais que t’as pas été très régulier cet été. Va marcher un peu pour récupérer, j’attends que Thomas finisse.

 Théo acquiesça et s’éloigna la bouteille à la main, se concentrant pour respirer lentement. Il se sentait beaucoup plus léger que les jours précédents.

 Il passa une main dans ses cheveux pour les décoller de son front et grimaça sous la sueur.

 Thomas le rejoignit rapidement, encore essoufflé, les yeux brillants.

 — On n’a pas trop perdu avec l’été, c’est cool.

 Théo acquiesça.

 — Je retrouve le plaisir de courir, c’était moins le cas.

 — T’avais l’air plus intéressé par les blondes, effectivement.

 Théo zyeuta les cheveux de Thomas qui étaient quasiment blonds.

 — Effectivement, on pourrait dire que je le suis toujours.

 — Petit con, répondit affectueusement Thomas.

 Ils retournèrent auprès de leur coach une fois leur respiration calmée.

 — Bon, les gars. On n’a pas encore parlé de la rentrée, leur dit-elle.

 Théo tourna la tête vers Thomas qui semblait étonné. Si lui n’y avait pas réfléchi, évidemment que ça n’avait même pas traversé l’esprit de Thomas…

 — Eh oui, reprit-elle, vous êtes bien mignons mais si vous n’êtes plus dans le coin, est-ce que vous vous réinscrivez quand même ?

 — En vrai… Il y a moyen qu’on rentre tous les week-ends non ?

 — Parle pour toi, répondit Thomas. J’ai pas des parents aussi friqués, le TGV ça coûte cher, le TER je veux pas en entendre parler, ça sera méga long, et ça veut dire pas de sorties le week-end. Je me contente pas des soirées en semaine moi.

 — Alors tu arrêtes ? s’inquiéta Théo.

 — Non, mais je vais peut-être trouver un club sur Lyon… Je passerai pendant les vacances, dit-il à destination de leur coach.

 Elle acquiesça.

 — Je m’en doutais. Et toi Théo ?

 Le club sans Thomas ? Thomas mais un autre club ? Quel changement lui faisait le moins peur ?

 — Je vais peut-être rentrer tous les week-ends… Ou un week-end sur deux, dit-il en voyant le regard de Thomas peser sur lui. Et puis, j’ai dit que je faisais le challenge du pic Saint Loup ! Donc je continue au club, je serai là les dimanches et pour les courses, au moins jusqu’à la fin de l’année… année civile du coup.

 — Ok, très bien. Je suis contente de te garder, tu vas nous gagner toutes les courses, sourit-elle. Mais t’as intérêt à faire mieux qu’aujourd’hui et te reprendre, dit-elle faussement sévère.

 — Oui, coach ! s’exclama-t-il en se mettant au garde à vous.

 — Bien, disposez messieurs.

 — Merci Sarah, dit Thomas, t’as été une super coach et je passerai quand je rentrerai de Lyon !

 — J’y compte bien, soyez pas ingrats ! Théo, à la semaine prochaine alors ?

 — Peut-être pas, comme c’est la première semaine de cours… Mais dans deux semaines, sans  faute !

 — Regardez-moi ça, ça commence déjà !

 — Non pour de vrai dans deux semaines, promis !

 Elle rit et ils se séparèrent, elle pour rentrer, eux pour rejoindre Camélia et son amie un peu plus loin.

 — Vous avez toutes vos affaires de prêtes déjà ? demanda-t-elle.

 — Moi, oui.

 Thomas se racla la gorge.

 — Il se pourrait que je n’aie pas tout à fait fini.

 — Mec, tu trolles ! s’exaspéra Théo en levant les bras au ciel en signe d’abandon.

 — Ça va, c’est pas grand-chose.

 — En tout cas, bravo à vous deux, intervint l’amie de Camélia qui n’avait d’yeux que pour Théo.

 Ils la remercièrent et Théo se balança sur ses pieds en voyant qu’elle le fixait toujours.

 — Et vous avez d’autres courses de prévues bientôt ?

 — D’ici un mois, oui, répondit Théo. Mais d’abord il faut qu’on déménage, sourit-il en direction de Thomas.

 — Bon, je vous ramène ? demanda Camélia. Comme ça, Théo tu prends tes affaires, tu dis bye-bye à tes parents et vous allez direct chez toi Thomas pour que tu finisses tes affaires…

 — Let’s go, confirmèrent-ils en chœur.

 Ils achetèrent chacun un hot-dog aux stands avant de se diriger vers la voiture.

 Théo n’en pouvait plus de l’amie de Camélia qui lui posait question sur question, ouvertement intéressée par lui. Il fut bien content d’enfin arriver à destination. Il se sentait léger et voulait le rester, il tenait à distance toutes ses angoisses, ça impliquait qu’il n’avait pas d’énergie pour le reste.

 Camélia les déposa devant chez Théo où les attendait la voiture de Thomas.

 — Merci Cami, t’es la meilleure, lui dit Théo en sortant de la voiture.

 — Mon câlin ?

 — Oui, ça arrive, sourit-il.

 Il fit le tour de l’habitacle.

 — Ça va faire bizarre de pas pouvoir juste débarquer chez toi et que tu sois là, lui dit-elle.

 — Tu pourras toujours le faire sur les week-ends.

 Camélia hocha la tête d’un air entendu et prit le chemin de chez elle.

 Théo lui fit coucou jusqu’à ce que la voiture disparaisse au coin de la rue. Thomas était déjà à l’intérieur, installé sur le canapé et Théo fila à la douche.

 Ses parents n’étaient pas là. Il avait eu l’espoir qu’ils seraient rentrés avant qu’il parte mais, évidemment, ce n’était pas le cas. Après tout, il les verrait deux semaines plus tard, ce n’était pas la fin du monde, n’est-ce pas ?

 Il se rinça rapidement, se changea et récupéra ses sacs. Sur le pas de la porte de sa chambre, il lança un dernier coup d’œil à la ronde. Tout était rangé mais sur son bureau traînait le bonnet de Clara. Il hésita. Ses pas le guidèrent presque malgré lui et il le fourra dans un sac avant de rejoindre Thomas et de monter en voiture.

 Nouvelle destination : chez Thomas, où ce dernier fila à son tour à la douche. Il en ressortit en jogging et Théo le regarda préparer ses affaires en les jetant en vrac dans des sacs. Il l’avait vu faire de nombreuses fois, alors qu’ils partaient en vacances ensemble. Thomas n’avait jamais ses affaires prêtes à temps et ne rangeait jamais rien correctement dans ses sacs. Ça hérissait les poils de Théo.

 — Et terminé ! s’exclama Thomas. Prêt au départ ?

 Théo fit mine de regarder sa montre imaginaire.

 — Depuis une heure environ oui.

 — Gneugneu. Allez, let’s go. Tiens, prends-nous un paquet de chips ou de gâteaux dans le placard pour la route.

 Il s’exécuta pendant que Thomas jouait à Tetris dans son coffre.

 — Heureusement que l’appart est meublé, hein, avec ta petite tuture.

 — Te moque pas, moi au moins je peux nous y emmener. C’est pas avec ton TGV que tu vas emmener toutes tes affaires.

 — Mais j’ai pas tant d’affaires que ça, MOI.

 — Tais-toi et monte.

 Théo lui tira la langue et ils rirent ensemble.

 — Musique maestro !

 Et les voilà partis pour leur nouvelle vie. Théo regardait les paysages défiler pendant que Thomas chantait à tue-tête des chansons débiles et il réalisa qu’il n’avait pas encore pensé à Clara de la journée. Il sourit, c’était déjà ça de pris.

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