Chapitre 7

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Théo – 17/08 – 15h56

 Ça te dit de se voir ce soir ?

 Clara – 17/08 – 16h01

 Bof, pas de super humeur, je veux pas t’imposer ça

 Théo – 17/08 – 16h02

 Tu sais, j’ai survécu jusqu’ici… On pourrait en discuter ?

 Théo – 17/08 – 16h03

 Je vois bien que quelque chose ne va pas et j’aimerais bien qu’on en parle avant que ça ne pose problème

 Clara – 17/08 – 16h04

 Ok

 Encore une fois, elle le surprenait par son absence de résistance. Et il se surprenait lui-même à chercher les explications.

 Ils se rejoignirent aux ruines le soir.

 — Les mecs m’en veulent de pas être souvent avec eux, confia-t-il à Clara. Comme si j’étais jamais là genre.

 — T’es quand même souvent avec moi.

 — Je suis souvent avec eux aussi.

 — Moins qu’avant.

 — Mouais... Quand même me reprocher de pas être un vrai pote… Alex y va fort.

 — Est-ce que c’est vraiment ton pote ? demanda Clara. Tu l’as dit toi-même, c’est un con.

 — Mais c’est mon pote ! Con ou pas, c’est mon pote ! Et je vois bien que j’ai créé des tensions dans mon groupe de potes et je me déteste pour ça, je te jure, c’est la dernière des choses que je veux.

 — Qu’est-ce que tu vas faire alors ?

 Il haussa les épaules et Clara secoua la tête.

 — Laisse pas traîner comme avec Camélia.

 Il accusa le coup sans rien dire.

 — Bon… Mais du coup, toi ? Ça va ?

 — J’ai réalisé hier que ça fait 4 ans que j’ai arrêté le théâtre.

 — En même temps que… commença Théo mais il ne sut comment terminer sa phrase car c’était un sujet épineux.

 Clara comprit ce qu’il voulait dire.

 — Un peu avant.

 — Et ça te manque ?

 — Je n’excelle pas dans grand-chose à part ça.

 — J’imagine que ça veut dire oui, sourit-il. Tu vas pouvoir en refaire à la rentrée.

 — J’imagine. Concilier le théâtre et l’envie de ne pas voir de gens…

 — Clara… Les gens ne sont pas si terribles.

 Elle soupira.

 — J’ai pas l’énergie de gérer le fait d’être sociable.

 — Pourtant ça va avec moi ? Ou je t’épuise ?

 — Ça va, mais c’est toi. On se connaît.

 Théo, assis à même le sol, fixa son pied qu’il s’amusait à promener dans les gravats.

 — Je ne suis pas si sûr de ça… J’ai l’impression de ne connaître qu’une partie de toi.

 — Parce que l’autre, même moi je n’ai pas envie de la connaître.

 La discussion retomba à plat. Qu’est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Il n’était pas sûr d’être armé pour ce genre de discussion.

 Il sentait la sueur dans son dos et son caleçon mais le vent qui emmêlait leurs cheveux rendait le tout plus supportable. L’air commençait à se rafraîchir. Ils revenaient enfin à des températures d’été tolérables après ce mois de juillet beaucoup trop chaud.

 — Et comment tu avances s’il y a une partie de toi que tu ne connais pas ? finit-il par demander.

 Elle haussa les épaules.

 — Tu n’avances pas.

 — Tu n’as pas envie d’avancer ?

 Encore une fois, un haussement d’épaules.

 — Mais pourtant tu es focus sur ta licence d’écologie, t’y vas parce que tu veux changer les choses ? Tu visualises bien l’avenir, non ?

 — Visualiser, avoir envie, le faire, c’est bien différent.

 Elle regardait le soleil couchant, les cheveux en pagaille, son chapeau à la main. Du point de vue de Théo, un peu en contrebas, le soleil lui faisait une auréole orangée. Elle n’en était que plus belle.

 — Qu’est-ce qui t’en empêche ? D’avoir envie d’avancer, je veux dire.

 Comme elle ne répondait pas, il reprit :

 — Explique-moi, je veux pouvoir te comprendre et puis, qui sait, je pourrais peut-être t’aider.

 — Mais Théo, je ne veux pas de ton aide. Occupe-toi de toi et laisse-moi galérer avec ma vie.

 — Mais j’ai pas envie de te regarder galérer si je peux t’aider ?

 — Pas besoin de me regarder quand je serai partie pour les études.

 Il la regarda, sourcils froncés, qu’est-ce qu’elle entendait par là ?

 — C’était une façon de parler, et puis je peux pas juste te laisser comme ça quand je sais que ça va pas et faire ma vie ! Je veux au moins comprendre.

 — Théo… Ce dont on parlait la dernière fois, concernant l’amour et les relations à distance, rien n’a changé tu sais ? Je pourrais pas, en septembre je pars et c’est tout.

 Il grimaça intérieurement. Evidemment, qu’il s’y attendait, il n’était pas naïf au point de croire qu’il allait la changer comme ça.

 — Ce n’est pas parce qu’on n’est plus ensemble qu’on est obligé de couper tout contact. Tu sais, on s’est déjà perdus de vue une fois quand tu n’es plus venue pour les vacances, je ne veux pas revivre ça.

 Elle ne répondit pas mais il sentit la résistance dans son corps qui se tendit.

 — Bref, soupira-t-il. Qu’est-ce qui ne va pas donc ?

 — Je pourrais pas t’expliquer.

 — Tu n’as même pas essayé.

 — Je ne suis pas sûre d’avoir envie.

 Il perdait espoir.

 Il s’allongea sur les cailloux. Clara avait la bonne place, lui avait des pierres qui lui rentraient dans le dos.

 — J’aimerais te comprendre.

 — Pour quoi faire ?

 — Putain, souffla-t-il. Clara… Tu comptes pour moi, je t’aime, merde ! Donc oui, je veux te comprendre. Je veux pouvoir penser tout connaître de toi, comprendre comment tu fonctionnes, pourquoi tu réagis de telle ou telle manière, ce que tu aimes, qui tu es. Je veux te connaître pour de vrai. Je t’aime mais je ne sais qu’une fois sur deux comment me comporter avec toi… Je veux pouvoir t’aimer à 100%, pouvoir dire que j’aime tout de toi. Parce que je connaîtrais tout de toi.

 Elle ne répondit pas et il ferma les yeux, ne voulant pas voir son expression. Il posa son bras sur ses yeux, il commençait à fatiguer.

 — Il va être 21h30, tu respectes pas ton gage de dodo.

 — A qui la faute…

 Quelques instants passèrent encore en silence. Il attendait. Que pouvait-il faire d’autre ?

 — Je ne trouve pas d’intérêt à la vie, murmura enfin Clara. Les seules choses que je vois à faire, c’est se battre. Se battre pour se faire entendre, pour exister, se battre pour sauver notre planète, se battre pour vivre, regarde ma mère…

 — Et lundi, c’était se battre aussi notre journée ?

 — C’était me battre avec moi-même pour réussir à en profiter, à être présente plus de quelques heures.

 — Tu n’as pas à te battre contre toi-même, souffla Théo. Ça t’empêche juste d’avancer.

 — Ça tombe bien si je n’ai pas envie d’avancer, déclara-t-elle d’un ton sarcastique.

 — Et tu en as parlé à quelqu’un ? demanda-t-il en ignorant sa réponse. Ça dure depuis quand ?

 — A toi.

 — Mais moi je suis personne moi et il faut que je te tire les vers du nez.

 Elle ne répondit pas et il reprit

 — Parle-en à ta grand-mère, non ? Ou même à ton grand-père, ils sont adorables.

 — Je veux pas les inquiéter.

 — Ça les inquiète sûrement déjà de te voir te renfermer. Ça m’étonnerait qu’ils ne voient rien du tout. C’est fourbe, les vieux.

 La dernière phrase eut le mérite de la faire rire.

 — Et si ça te dérange que ce soient tes proches, vois un ou une psy, non ?

 — Les psys j’ai donné.

 — Tu en as déjà vu ?

 — Une au collège.

 Silence. Elle ne développa pas.

 — Et ?

 — Elle me saoulait.

 — Donc tu fais une généralité d’une psy que tu as vue il y a 5 ans ? s’amusa-t-il. C’est pas très claraesque tout ça.

 — Oh ferme-la, lâcha-t-elle en roulant des yeux.

 — Pas cool. Ça te ferait peut-être du bien quand même.

 — Non.

 — Ok, soupira-t-il.

 Il ne pouvait la forcer à rien. Mais quand même, ça le frustrait de la voir comme ça. Il ne savait même pas ce qui n’allait pas. Le savait-elle elle-même ?

 — Essaye de faire plus de choses qui te font du bien ? proposa-t-il. Pour retrouver de l’enthousiasme dans la vie.

 Elle ne répondit pas.

 Que pouvait-il faire pour qu’elle aille mieux ? Si même la journée parfaite ne marchait pas… C’était un travail de fond et il n’était pas là pour ça.

 — On devrait y aller, il va faire nuit, finit par dire Clara.

 — Yep, on se voit demain ?

 — Ok.

***

 Pendant que Clara faisait il ne savait quoi dans la salle de bain, Théo descendit parler à sa mamie. Il y avait bien réfléchi pendant la nuit. Il ne pouvait forcer Clara à rien. Pas directement. Mais il ne supportait pas de la voir aller mal et il était hors de question qu’il reste sans rien faire. Il se devait de l’aider. Car qui le ferait ?

 — Angélique ?

 Elle était en train de préparer une brioche. Qui d’autre qu’elle cuisinait par cette chaleur ?

 — Oui ? Tiens, goûte-moi cette pâte.

 — Je croyais que c’était pas digeste cru…

 Elle balaya l’air de la main. Théo grimaça en prenant le petit bout qu’elle lui tendait.

 — Ça a le goût de levure.

 — C’est pas fait pour être bon quand c’est cru, sourit-elle sadiquement. C’est un moyen de vérifier que la pâte va bien.

 Il se servit un verre d’eau pour faire passer le goût. Quel démon caché derrière ce visage d’ange… Clara ne venait pas de nulle part, pour sûr.

 — Alors petit, tu voulais me parler d’un truc ? demanda-t-elle quand elle eut enfourné la brioche.

 — Par rapport à Clara…

 Angélique plissa les yeux.

 — Si ça la concerne, pourquoi ne m’en parle-t-elle pas ?

 — J’ai déjà dû lui tirer les vers du nez pour qu’elle m’en parle un peu… Je crois qu’elle ne s’est jamais remise de la mort de sa mère.

 Le regard d’Angélique se voila.

 — Je ne sais pas si on se remet un jour de ces choses-là… On ne l’y a pas aidée non plus, elle s’est isolée avec son père.

 — Ce que je veux dire, c’est qu’elle ne va pas bien, encore maintenant. Et je ne peux pas l’aider mais je me dis que vous pourriez peut-être…

 — Elle avait arrêté de voir sa psy quand elle a arrêté de venir ici, pauvre petite qui a dû porter tout ça toute seule. Ses parents ont cru l’aider en la mettant à l’écart mais ça n’a fait qu’empirer les choses. Je vois bien que tout n’est pas tout rose, tu sais. Mais qu’est-ce que je peux faire de plus que toi ? Tout ce que nous pouvons faire c’est être présents pour elle, la soutenir et la faire sourire. Ce que tu fais déjà très bien, petit.

 — Ce n’est pas suffisant, contesta-t-il. Peut-être en parler à son père ?

 — Que crois-tu que nous ayons fait ? Pourquoi crois-tu qu’elle ait fait ce camp ? On en a parlé à Daniel, on lui en a parlé… Il n’a rien trouvé de mieux que l’envoyer en camp, pour se faire des amis, parce que lui ça l’avait aidé quand il était jeune. Le problème, c’est qu’il ne comprend pas sa fille. Ce n’est pas parce qu’on est parent qu’on sait quoi faire quand nos enfants ne vont pas bien… Je pense que tu sais déjà pertinemment cela.

 Il le savait. Mais il pensait égoïstement que ce n’était que son problème à lui, que tout était tout beau tout rose pour les autres. Et puis, après tout, ça ne l’empêchait pas de vivre.

 — Tiens, prends des gâteaux. Tu les monteras pour Clara. Et pour toi aussi, je trouve que tu as un peu maigri.

 — Faudrait pas que je grossisse trop, Angélique, comment je vais faire pour courir après ?

 — Tu es jeune, va !

 — Mais pour Clara…

 — Elle trouvera d’elle-même comment aller mieux.

 — Vous ne savez pas ça ! Mais est-ce qu’elle ne pourrait pas retrouver un ou une psy ? Ça pourrait l’aider ?

 — Si elle le veut bien. Allez, file, dit-elle en lui fourrant l’assiette dans les mains.

 Quand il passa la porte de la cuisine, Clara l’attendait appuyée contre le mur, les bras croisés, les yeux lançant des éclairs. Théo se stoppa. Il déporta son poids sur son pied gauche, soudain mal à l’aise.

 — Ça va la réunion dans mon dos ? Je dérange pas trop ?

 Il ouvrit la bouche pour répondre mais n’en eut pas le temps.

 — Dégage, asséna-t-elle en lui arrachant l’assiette des mains.

 — Attends… Je…

 — Non. Dégage. C’est cool de pouvoir faire confiance aux gens, dit-elle sarcastiquement.

 Il voulut répliquer mais la voix d’Angélique survint derrière son dos :

 — Rentre chez toi, petit. Je crois qu’on a des choses à discuter ici. Tiens, tu donneras ça à tes parents.

 Elle lui mit une boîte de gâteaux dans les bras et le poussa vers la porte.

 — Demande à Etienne de te ramener, il répare son vélo dans la cour.

 Théo n’eut d’autre choix que de s’exécuter. La porte se referma sur le regard brûlant de colère de Clara. Il venait de débloquer une nouvelle émotion chez elle mais il était loin d’en être content.

***

 Théo – 18/08 – 17h18

 Je suis désolé, je m’inquiète pour toi…

 Théo – 18/08 – 17h23

 Je voulais pas faire ça dans ton dos, je veux juste t’aider

 Théo – 18/08 – 20h45

 Clara stp, parle-moi…

***

 Théo – 19/08 – 10h34

 Est-ce qu’on peut se voir ?

 Théo – 19/08 – 10h39

 Au moins en discuter ?

 Théo – 19/08 – 14h56

 J’aurais pas dû faire ça dans ton dos, je suis désolé… Laisse-nous t’aider ?

***

 Théo – 20/08 – 13h17

 Dis-moi au moins que tu vas bien ?

 Théo – 20/08 – 18h40

 J’ai tout gâché entre nous ?

 Théo – 20/08 – 21h00

 Clara stp…

***

 Théo – 21/08 – 14h03

 Je t’aime, tu sais ? Réponds moi…

 Théo – 21/08 – 15h20

 Ma mère va me déposer chez toi, est-ce que j’aurais le droit de rentrer ?

***

 — Je t’attends ici ?

 — Oui, merci Maman, je te fais signe si c’est ok.

 Théo sortit de la voiture et sonna. Le papy de Clara vint lui ouvrir.

 — Bonjour, fiston. J’ai bien peur que Clara ne soit pas ici.

 — Est-ce qu’elle va bien ? Elle est où ?

 — Je ne peux pas vraiment te répondre… Mais entre donc.

 Il fit signe à la mère de Théo de venir également.

 — Ça fait bien longtemps qu’on ne s’est pas vus, Rachelle. Entrez, Angélique a fait des gâteaux.

 — Il y a des choses qui ne changent pas, sourit-elle.

 Théo entra à la suite de sa mère.

 Chacun prenait des nouvelles des autres et Théo attendit dans son coin qu’on daigne lui dire où était Clara. Angélique finit par le sauver.

 — Clara n’est pas beaucoup à la maison, quand elle ne travaille pas, elle part se promener. Elle nous évite. J’ai essayé de lui parler mais elle ne veut rien entendre et je crois qu’elle est blessée, elle prend ça comme une trahison. Tu devrais t’expliquer avec elle.

 — Elle ne veut pas me parler, soupira Théo. Elle me laisse en vu.

 Le regard perçant du papy était sur lui. Ce regard de personne âgée qui voit directement dans l’âme des gens, ce regard d’une personne qui possède la sagesse et la connaissance.

 — Viens avec moi, fiston.

 Ils laissèrent Angélique et Rachelle discuter dans la cuisine et le papy l’emmena à l’étage. Dans la bibliothèque, il récupéra un dossier et des médiators.

 — Pour te féliciter d’avoir été pris à la rentrée. Ils appartenaient à feu mon père, ces médiators. Ils sont beaux, n’est-ce pas ? Et ces partitions, ce sont celles sur lesquelles j’ai appris mais aussi celles que j’ai composées. Libre à toi de t’en inspirer, voire de les réutiliser. Elles n’ont pas eu la gloire qu’elles attendaient.

 — Je… Merci… Je ne sais pas comment vous remercier…

 — J’ai connu ce que tu as vécu, tu sais : les parents absents, l’éloignement des amis, l’amour qui t’échappe, la musique délaissée, les mauvais chemins. On est peut-être même tous passés par là… C’est comme ça qu’on apprend. Un vieux croûton comme moi a pu t’aider. Qu’est-ce qui te fait croire que tu ne pourrais pas aider Clara ? Je vais te dire un secret que moi seul connaît… Quand elle veut s’isoler, Clara va au parc de Coulondres. Ce n’est pas trop loin d’ici, prends mon vélo, trouve-là, parlez-en. Excuse-toi, explique-lui, fais la rire. Tout n’est pas perdu.

 Que Théo pouvait-il faire de plus que lui dire « merci » ? Il bondit sur le vélo tout juste réparé et pédala comme si sa vie en dépendait, les partitions dans le sac, les médiators dans une poche, son portable dans l’autre.

 Il fit le tour du parc avant de la trouver. Elle était assise sur un banc, le regard vers l’horizon, un carnet sur les genoux. Ses cheveux tressés dans son dos, son éternel chapeau de paille sur la tête, il avait l’impression de ne pas l’avoir vue depuis une éternité. Ça ne faisait que trois jours.

 — Clara ?

 Elle sursauta presque. Ses yeux étonnés se posèrent sur lui et il y vit monter progressivement la colère et la rancune qu’elle avait envers lui.

 — Qu’est-ce que tu fous là ?

 — J’aimerais qu’on en discute… Je suis désolé… Je veux pas m’engueuler avec toi…

 — Fallait y réfléchir avant. J’ai rien à te dire.

 — Mais moi oui.

 — Et je veux pas t’entendre.

 Il voulut s’asseoir à ses côtés mais elle leva la main mimant un stop.

 — Non. Dégage.

 — Clara, s’il te plait…

 — J’ai pas besoin d’explications ni d’excuses, je les connais déjà. Je pardonne pas les trahisons. Tu peux te barrer.

 — Vraiment ? Tu me laisses même pas une chance de…

 — Une chance de quoi ?! De t’enfoncer un peu plus ? Fous-moi la paix, putain. Sans déconner, va faire ta vie et arrête d’interférer dans la mienne.

 Elle se leva et lui tourna le dos, lui offrant un doigt d’honneur.

 — Mais tu peux pas juste me jarter comme ça ?

 — Et pourquoi pas ?

 — Mais…

 — Rentre chez toi, Théo. Et dis à mes grands-parents de me foutre la paix aussi, ajouta-t-elle en lorgnant le vélo abandonné au sol.

 Elle s’éloigna et il se laissa tomber sur le banc, impuissant. Il pourrait lui courir après et lui dire tout ce qu’il pensait. Il pourrait. Mais à quoi bon quand, de toute façon, elle ne l’écoutait pas ? Ce serait du harcèlement de sa part… Mais quand même…

 Il finit par rentrer chez les grands-parents, la tête basse, le cœur lourd.

 Il les remercia pour le vélo et les gâteaux et demanda à sa mère de rentrer. Personne ne le questionna et il en fut bien content car il n’était pas sûr de pouvoir garder la poker face bien longtemps… Mais il savait qu’ils savaient. C’était écrit dans leurs yeux compatissants.

***

 Le soir, au repas, sa mère aborda enfin le sujet, lui demandant ce qu’il s’était passé avec Clara. Il leur expliqua, la mort dans l’âme.

 — Tu ne peux pas forcer les gens à ce qu’ils ne veulent pas, lui dit son père.

 — Je sais bien… Mais je peux pas la laisser comme ça alors qu’elle va pas bien. Si je peux l’aider, je le ferai.

 — Vois donc ça, un bon futur avocat, sourit son père.

 — Je vous ai dit que je partais en musicologie, contesta-t-il.

 Son père haussa les épaules.

 — Tu l’as forcée à parler de ce qui ne va pas, expliqua sa mère. Tu l’as même en partie fait à sa place, elle ne se sent sûrement pas respectée.

 — C’est pas une question de respect, c’est…

 — Si, Théo. Tu n’as pas respecté sa décision.

 — Mais sa décision c’est de se laisser dépérir ?! Comment je peux respecter ça ?!

 — Tu n’as pas le choix.

 — Mais…

 — Elle est majeure et vaccinée. On peut l’orienter, la soutenir, mais tu ne peux pas faire les choses à sa place. Ce n’est pas correct.

 — Mais il faut bien l’aider à avancer ! s’impatienta Théo.

 — Tu ne peux l’aider à rien si elle ne le veut pas…

 — Sa mamie pourrait au moins lui conseiller des psys, je sais pas moi…

 — Et peut-être bien qu’elle l’a fait ou qu’elle va le faire, répondit sa mère. Mais même un psy ne pourra pas faire grand-chose si la décision ne vient pas d’elle-même. Tout ce que tu peux faire, c’est continuer de lui montrer que la vie est belle, qu’elle vaut la peine d’être vécue, que le chagrin n’efface pas le bonheur. Angélique m’a dit qu’elle était beaucoup plus souriante après t’avoir vu, alors continue. Continue tes efforts, c’est tout ce que tu peux faire pour elle.

 — Mais n’oublie pas que ce n’est pas toute ta vie, ajouta son père. Tu as d’autres choses à vivre à côté. N’oublie pas ta vie pour elle.

 — Tout comme vous oubliez pas votre vie pour votre fils ? attaqua-t-il.

 — Là, tu n’es pas juste, Théo, répondit calmement sa mère. Tu es en colère et tu te trompes de cible.

 Elle commença à débarrasser la table pendant qu’il fixait la nappe en serrant les dents. Il ne savait pas où évacuer sa frustration et il avait la désagréable impression d’avoir 12 ans.

 Il ne joua pas pour ne pas passer sa frustration sur ses cordes. Si seulement il faisait de la batterie… Il se contenta d’un casque sur les oreilles et de son lit.

***

Théo – 23/08 – 13h43

 Clara, stp, on peut pas rester comme ça, fais pas comme si ça te faisait rien, je suis sûr que ça te saoule autant que moi comme situation, c’est pesant et ça laisse notre histoire en plan sans explication

 Théo – 23/08 – 13h50

 Est-ce qu’on peut se voir ce soir ?

 Il ne fut pas étonné de ne pas recevoir de réponse, mais il n’avait pas dit son dernier mot. Elle n’avait qu’à lui répondre « non » si elle ne voulait vraiment pas le voir. Il appela Camélia.

 — Est-ce qu’il y aurait moyen que tu me déposes à la Poste de Saint Gély ? J’te paye une glace.

 — Encore Clara ?

 — C’est compliqué.

 — J’arrive.

 — Merci, t’es la meilleure.

 — Trois boules, la glace.

 — Evidemment.

 Le temps que Camélia arrive, il avait pris une douche, avait vérifié vingt fois l’heure pour ne pas arriver après la fin de sa journée de travail, s’était lavé deux fois les dents et avait pris puis déposé puis repris cinq fois le paquet de petits beurres.

 Clara ne fut pas surprise de le voir débarquer au bureau.

 — Je me demandais quand est-ce que ça allait finir par arriver.

 — Ah, tu me parles sans m’engueuler maintenant ?

 — Pourquoi m’épuiser dans le vent ?

 — Ça veut dire que j’ai le droit de parler, cette fois ?

 — Si ça peut éviter que tu me suives partout où je vais.

 — Il t’aurait suffit de répondre à mes messages, grogna-t-il. Tu me disais « non » et c’était bon.

 — Comme si ça aurait suffi.

 Il haussa les épaules pendant qu’elle ramassait ses affaires pour partir. Le silence était vraiment le pire traitement qu’elle pouvait lui infliger, le laisser dans le doute constant.

 Ils sortirent du bâtiment et Théo remercia Camélia qui attendait dans sa voiture, il lui promit sa glace le lendemain soir.

 — Là, c’est le moment où tu parles, normalement, lui dit Clara pendant qu’ils marchaient jusqu’à chez ses grands-parents.

 — Honnêtement, je sais même plus quoi dire. Je suis désolé, je comprends que j’ai trahi ta confiance. Je voulais juste t’aider… Trouver un moyen de t’aider à aller mieux. J’ai bien compris que c’était pas la bonne manière. Je veux juste te retrouver, soupira-t-il. Je veux bien qu’on n’en parle plus jamais si ça permet de repasser des moments ensemble comme on l’a fait tout l’été. Franchement, je suis prêt à tout pour que tu me laisses t’aimer.

 — On n’est pas dans une pièce de théâtre, Théo.

 — Ça me dérangerait pas, tant que c’est pas une tragédie.

 — Arrête de faire la drama queen, sérieux.

 Elle semblait agacée mais un sourire flottait sur ses lèvres et Théo sut que la victoire était proche.

 — Je vais te montrer combien la vie en tant que pièce de théâtre, c’est beau, déclama-t-il soudain.

 — Arrête de faire de MON bien-être une histoire personnelle, s’il te plait.

 Il l’ignora et ouvrit grand les bras, s’exclamant :

 — Vois comme la vie est belle, les oiseaux chantent, le soleil brille, le temps est bon, le ciel est bleu ! Vois l’été quand il s’épanouit avant qu’à l’automne il ne fane !

 — Putain, t’es con, s’exaspéra-t-elle.

 — Langage, malotrue !

 Un rire lui échappa et Théo se délecta de sa victoire. Elle le laissa prendre sa main et il se pencha vers elle, lui volant un baiser au milieu du trottoir.

 — Je t’en veux toujours, lui fit-elle remarquer.

 Pourtant, elle souriait.

 — Lalala, je sais pas de quoi tu parles. Lalala, le passé, c’est le passé.

 — T’es un enfant.

 — Un enfant heureux.

 — Un imbécile heureux, corrigea-t-elle.

 Une fois chez les grands-parents, Théo rayonnait et ils s’écrasèrent sur le matelas dans la chambre de Clara. Ou plutôt, Théo l’écrasa sur le matelas, l’attaquant à coups de guilis et de bisous dans le cou.

 — Une trêve, demanda-t-elle à bout de souffle.

 Il se redressa, fier de lui. Il aimait voir ses yeux briller de la sorte.

 — Tu m’épuises, Théo.

 — Oui oui, c’est ça.

 Il finit par se calmer et bascula sur le côté, lui laissant l’espace de respirer. Elle avait les joues rougies et les lèvres entrouvertes. Il ne put résister et se pencha pour l’embrasser.

 Sa main s’aventura jusque sur son ventre doux et elle ne le repoussa pas.

 Il ne se questionnait pas sur le revirement de situation, elle était comme ça Clara. Son calme ancrait suffisamment Théo pour qu’il accepte d’être déstabilisé par ses inconstances. Qui sait combien de temps ça durerait ?

 Il se nourrissait de son rire, de ses yeux qui brillaient, de sa peau douce, de ses lèvres chaudes, habituellement si froides. Le nez dans ses cheveux, les yeux fermés, il sentait son bas-ventre se réveiller. Il s’avança, poussant les cheveux avec son nez, il posa ses lèvres sur son oreille.

 — Jusqu’où est-ce que j’ai le droit d’aller ? demanda-t-il en se rapprochant, plongeant son visage dans son cou.

 Il la sentit se tendre et soupira en reculant.

 — Nulle part, répondit-elle.

 — Pourquoi ?

 — Pour ton bien.

 — Me fais pas croire que c’est pour moi, rit-il.

 — Non, vraiment.

 Il ne la croyait pas.

 — Ok, répondit-il cependant. Quel bien ?

 — Théo… soupira-t-elle. Tu n’as jamais rien fait, je me trompe ?

 Il pencha la tête, ce n’était plus vraiment le cas.

 Elle soupira à nouveau.

 — Luc, c’est vrai… Bon, n’empêche, tu veux faire les choses bien.

 — C’est bon, l’interrompit-il avant qu’elle ne continue, faire les choses bien je crois que j’ai compris que c’était utopique.

 — Et du coup tu vas chercher l’extrême et faire les choses n’importe comment ?

 — Non, mais je m’autorise des écarts te concernant, dit-il en haussant un sourcil.

 — Il faut que tu arrêtes ça.

 Les yeux de Clara étaient plein de peine et il sentit son ventre se tordre.

 — Arrêter quoi ? demanda-t-il d’une petite voix.

 Elle se redressa dans le lit, appuyant son dos contre le mur et il l’imita.

 — Arrêter de faire des écarts pour moi, arrêter de me mettre sur un piédestal, arrêter de faire ta vie en fonction de moi.

 — Ce n’est pas…

 — Théo, écoute-moi, s’il-te-plaît.

 Il obéit, attendant qu’elle parle à nouveau, le regard sur le luminaire. N’y tenant plus, il se tourna pour la regarder. Elle le regardait déjà.

 — Arrête de pardonner mes humeurs, arrête de bafouer tes principes pour moi. Je vais partir, Théo. Le plan, c’est de commencer une nouvelle vie. A partir de septembre, on n’existera plus, plus du tout, et j’ai l’impression que tu ne l’as pas compris. Même sans ça, tu te fais du mal, je te fais du mal. Je ne devrais faire de mal à personne d’autre que moi-même, j’ai fait l’erreur de te laisser m’approcher mais je me refuse de te blesser davantage. Alors il ne se passera rien de plus que ça entre nous, dit-elle en désignant l’espace entre eux. Apprends à te préserver, merde.

 — Et si je ne veux pas ?

 — Je ne te demande pas ton avis.

 — Mais je t’aime… Et je suis sûr qu’en vrai au fond ça te fait du bien, au moins qu’on soit amis, au moins ça… Clara, me mens pas… Tu peux pas juste me dégager de ta vie comme ça…

 — Théo, je t’aime beaucoup, mais il n’y aura rien de plus que ce qu’il y a déjà et je te conseille de te préparer à mon départ, pour de vrai. Je le vois que je t’apporte rien de bon.

 — Ça, c’est pas à toi de le décider. Tu m’apportes plein de bonnes choses et je peux t’aider.

 — Putain mais arrête de vouloir m’aider ! râla-t-elle en balançant sa tête en arrière pour s’appuyer contre le mur. C’est insupportable ! Je t’ai rien demandé et j’ai pas envie que tu m’aides, merde ! Faut arrêter de vouloir aider les gens comme ça. Commence par régler tes problèmes.

 — Mes problèmes ? Franchement, c’est moche.

 — Oui, tes problèmes. Tu en as, Théo. Comme tout le monde, t’inquiète.

 — Alors, c’est tout ? Je garde ce que je ressens pour moi, je te regarde ne pas aller mieux, et après tu me laisses sur le bord de la route, c’est ça ? Et je dois dire ok ?

 — Théo… T’as rien compris, s’exaspéra-t-elle. Si je te dis ça, c’est pour que tu arrêtes de toi-même de me suivre, que t’ailles faire ta putain de vie et que tu me laisses me démerder avec la mienne. Pour pas que ce soit moi qui t’envoie t’écraser à terre.

 Il baissa la tête.

 — C’est pour ne pas avoir à porter cette responsabilité ? C’est du sacré égoïsme ça, Clara…

 — Fais pas la victime, même si ça venait de moi, ce serait ta responsabilité. Et dans tous les cas c’est ma faute.

 — Y a pas de faute dans l’histoire… Tu peux pas parler de faute en amour.

 — C’est pas de l’amour. Pas du propre.

 — De mieux en mieux…

 Peut-être n’était-il pas assez ancré pour supporter tous les revirements, finalement. Il regardait la couette froissée entre eux. Clara n’avait toujours pas bougé.

 — Tu pars quand ? finit-il par demander quand le silence s’éternisa.

 Elle ne répondit pas.

 — Ok, je vois. Eh bien écoute, je vais aller m’occuper de mes problèmes et je te laisse mettre toute notre histoire à la poubelle… dit-il en se levant.

 Les larmes lui brûlaient les yeux et il lui fallait toute la volonté du monde pour ne pas se laisser submerger.

 — Théo… Le prends pas comme ça.

 — T’inquiète, je le prends bien, sourit-il tristement. T’as raison, je suis vachement utopique comme gars. Y a que toi pour me montrer combien la vie peut être moche, même quand tout va bien, tu vois que tu m’en apportes des choses.

 — Tu es injuste, Théo.

 — J’ai l’impression qu’on me dit souvent ça en ce moment. Dommage, je passe mon temps à chercher à ce que tout aille bien, moi.

 Il recula jusqu’à la porte de la chambre.

 — Eh bien, passe une bonne soirée, Clara.

 Il avait terriblement mal au cœur, au point d’avoir envie de se plier en deux pour faire passer la douleur.

 — J’espère que tu arriveras à t’aider toute seule, vu que je n’ai rien le droit de faire.

 Tout son être résistait mais il finit par ouvrir cette foutue porte et quitter la chambre. Son cœur lui criait de faire demi-tour et convaincre Clara de le laisser s’approcher mais ses jambes, en automatique, avançaient un pas après l’autre et, bientôt, il fut devant la porte d’entrée. Dans un bon film, elle lui aurait couru après. Il attendit quelques secondes, la main sur la poignée. Mais elle ne bougea pas de sa chambre. La maison était mortellement silencieuse.

 Après une longue expiration de désespoir, il ouvrit la porte et sortit dans la lourdeur de l’air d’août. Son cœur était-il encore en un seul morceau ? Est-ce que ça voulait dire qu’elle ne voulait plus le voir ? Aurait-il la force le lendemain d’attendre de ses nouvelles sans broncher ? Craquerait-il ? Non, il ne devait rien attendre… Rien attendre… Son cœur se fissura un peu plus et il s’arrêta deux maisons plus tard pour s’adosser à un mur. Inspirer. Expirer. Tout allait bien se passer.

 Il fouilla dans ses poches pour récupérer son téléphone et, les mains tremblantes, appuya sur le numéro de Thomas. Il décrocha immédiatement.

 — Allô ?

 — Tu…

 Théo prit une grande inspiration.

 — Tu peux venir me chercher ?

 — Théo ? Ça va pas ?

 Il ne réussit pas à répondre, la gorge étranglée.

 — Ok, j’arrive, lui dit Thomas. T’es où ?

 — Clara.

 — Putain…

 Il entendit une voix féminine du côté de Thomas qu’il ne reconnut pas. Thomas chuchota quelque chose qui n’était pas à sa destination.

 — Bouge pas, j’arrive. Respire. Ça va aller ?

 Théo hocha la tête mais il ne le voyait pas.

 — Je raccroche, rappelle-moi si ça va pas, j’arrive.

 — Merci…

 Sa main retomba et le portable glissa s’échouer au sol, où il s’assit, posant son front contre ses genoux. Pourquoi devait-il toujours avoir des réactions si disproportionnées quand quelque chose n’allait pas ? Pourquoi avait-il l’impression de ne plus pouvoir respirer à chaque dispute ou chaque fois que quelque chose ratait ? Il se sentait au plus bas et les sanglots qui montèrent ne l’aidèrent pas à reprendre son souffle.

 — Putain…

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