Chapitre 3

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 Théo avait passé la journée avec quelques potes, alternant entre piscine et canapé. La tireuse à bière avait bien fonctionné et il y avait des miettes de chips qui traînaient de partout. Il allait encore falloir nettoyer… Quoique… La femme de ménage devait venir le lendemain.

 Il avait envoyé un message à Clara dans l’après-midi pour confirmer leurs retrouvailles aux ruines. Il regardait son portable toutes les minutes pour vérifier si elle lui avait répondu, alors même qu’il l’avait mis en vibreur. Le message de réponse ne vint que quand il réussit enfin à virer ses potes de chez lui. Il remercia les quelques parents d’avoir fait le déplacement et Thomas qui ramenait ceux qui habitaient dans son coin.

Clara – 12/07 – 18h06

 Me suis fait chier toute la journée, pas très envie de bouger

 Théo – 12/07 – 18h07

 Raison de plus pour venir ! Je vais illuminer ta journée avec ma personnalité rayonnante ??

 Clara – 12/07 – 18h07

 …

 Théo – 12/08 – 18h08

 Je ramène du chocolat

 Clara – 12/07 – 18h08

 …ok

 Il ne tarda pas, agrippa son sac, y jeta en vrac ce qu’il trouva dans son frigo, un paquet de gâteau, une tablette de chocolat (Dieu merci, il restait une tablette de Lindt au pamplemousse) et il bondit dehors, oubliant presque de fermer la porte à clé. Il était peut-être un peu trop pressé.

 Clara n’était pas encore arrivée quand il arriva en bas du chemin et, cette fois, il l’attendit là au lieu de sur son rocher, pour faire la montée ensemble. Son cardio lui faisait remarquer qu’il ne s’entraînait plus assez, problème de l’été. Il s’assit à côté de son vélo et sortit son portable, en profitant pour répondre aux quelques notifications qu’il avait. Ses amis proposaient de faire du canoë le jeudi, il accepta immédiatement. Une fille de sa classe l’invitait à son anniversaire samedi, il accepta également.

 Clara finit par arriver en voiture et il se leva pour s’avancer à sa rencontre.

 — T’as été vite, fit-elle remarquer.

 Il sourit sans répondre pour ne pas l’effrayer. Pouvait-il vraiment lui dire qu’il avait trop hâte de la voir au point que rien d’autre ne comptait ? Non. Il avait l’impression de récupérer des souvenirs de tout ce qu’il avait vécu avec Clara au fil des jours et il se rendait compte de combien elle l’avait fait grandir au collège. Qui sait la relation qu’ils auraient si elle avait continué de passer ses vacances chez ses grands-parents ? Ou même si elle avait vécu chez ses grands-parents comme ça avait été le cas la première année ? Mais, maintenant qu’elle était là à nouveau, il comptait bien rattraper le temps perdu et faire ce qu’il fallait pour garder contact à la rentrée, même si la distance devait se mettre entre eux. Il ne savait même pas ce qu’elle faisait à la rentrée…

 — C’est rare que tu sois silencieux. Je croyais que tu devais me distraire de ma journée barbante ?

 — Tu fais quoi à la rentrée ?

 — Mouais, bof le sujet de distraction.

 — Non, pardon, je me demandais juste, bredouilla-t-il.

 — Licence de biologie à Nantes.

 — Pas Bordeaux ? Mais ta mère…

 — Nantes, le coupa-t-elle.

 Il acquiesça et changea de sujet avant qu’elle ne l’envoie bouler.

 — Alors qu’est-ce qui était si terrible aujourd’hui ?

 Elle accepta volontiers de lui raconter sa collègue ennuyante qui lui parlait de son couple qui battait de l’aile, les colis à préparer – elle travaillait pendant l’été à la Poste – et cette journée qui n’en finissait pas.

 Quand elle en eut marre de parler, elle lui demanda ce qu’il avait fait et il se fit un plaisir de reprendre la parole. Une fois aux ruines, il lui sortit la tablette de chocolat et ses yeux brillèrent.

 — Tu t’en es souvenu.

 — Évidemment.

 Il ne lui répondit pas qu’il avait toujours une tablette de chocolat qui traînait au cas où elle serait de retour. De préférence au pamplemousse. Avec le temps, c’était devenu une habitude de vérifier qu’il y avait toujours une tablette d’avance, alors que sa mère était la seule de la maison à en manger. Il avait fini par oublier au bout d’un an pourquoi il le faisait…

 — Mes goûts auraient pu changer, reprit-elle en retrouvant son air détaché.

 — Ils auraient pu, confirma-t-il.

 Il continua de parler de tout et de rien pendant qu’elle dégustait sa tablette. Elle lui proposa un carré en demandant :

 — Tu es toujours aussi proche de ta cousine qu’avant ? Tu n’en parles plus.

 Théo déglutit et ne répondit pas immédiatement. A la place, il accepta le carré et réfléchit à comment formuler ses pensées.

 — J’ai fait le con, avoua-t-il.

 Clara ne cacha pas son air exaspéré et leva les yeux au ciel.

 — Boys being boys, commenta-t-elle.

 — En fait, ma tante est… décédée il y a 2-3 mois. D’un cancer.

 Elle ne lui dit pas qu’elle était désolée, elle était comme ça Clara, elle ne s’embarrassait pas de formules qui ne voulaient rien dire.

 — J’ai pas été trop là pour Camélia et puis, avec le bac, on était tous les deux très occupés.

 — La belle excuse.

 — Ouais… J’ai fait une soirée pour fêter la fin du bac et, honnêtement je me rappelle pas trop, c’est un peu flou.

 Il fit une pause pour réfléchir.

 — Je comprends pas comment j’ai pu être aussi con…

 — Arrête de te flageller et viens-en au cœur de l’histoire s’il-te-plaît.

 Il soupira et lui raconta le déroulement de la soirée : Camélia qui voulait partir, son pote qui l’avait retenue, le jeu, son action, Camélia qui part, la soirée qui continue.

 Il ne pouvait se résoudre à regarder Clara dans les yeux et, il pensait au fur et à mesure de son récit à ce qu’elle allait bien pouvoir penser de lui, pourquoi est-ce qu’il lui racontait tout ça au juste ? Pourquoi est-ce qu’il devait juste déballer son âme sur la table chaque fois qu’il était avec elle ? Elle n’allait plus jamais vouloir lui parler après ça…

 Quand il releva les yeux, elle le regardait une moue dégoutée sur le visage : la lèvre supérieure  retroussée et les sourcils froncés.

 — C’est vraiment con des gars, se contenta-t-elle de dire.

 Il hocha la tête.

 — Tu sais comment elle l’a vécu ?

 Il haussa les épaules.

 — Non mais vraiment, tu t’es demandé comment ça l’a impacté ?

 Il savait qu’il avait fait une connerie mais il n’avait pas réfléchi à l’ampleur de la chose sur Camélia. Il s’inquiétait que ses amis aillent bien et qu’il ne les dérange pas avec ses déboires mais il ne s’inquiétait même pas de l’état de sa cousine. Pour la soirée, certes, mais surtout par rapport à la mort de sa mère.

 — J’ai vraiment été con, se lamenta-t-il la tête dans les mains.

 — Ça, on le sait tous, merci, no big news. Mais ça fait rien avancer de dire ça. Sans déconner, tu t’es pas encore excusé quoi…

 — Si ! Mais… euh… par message ?

 Il ne reçut qu’une claque derrière la tête en guise de réponse. Clara avait posé la tablette de chocolat qui commençait à sérieusement fondre. Il la dévisagea à la dérobée : elle avait les yeux plissés et regardait l’horizon, quelques mèches voletant devant son visage qu’elle ne s’embêta pas à dégager.

 — Imbécile, finit-elle par dire. Et je peux savoir pourquoi t’étais pas auprès d’elle quand sa mère est morte ?

 — Le bac…

 — Épargne-moi tes conneries tu veux.

 — Ben…

 — Non, ne réponds pas si c’est pour t’enfoncer. La vraie raison ou rien.

 Elle croisa les bras, le défiant du regard d’ouvrir à nouveau la bouche. Il déglutit.

 — Au début, je me suis dit qu’elle avait besoin de distance… Et quand j’ai réalisé qu’elle avait sûrement besoin de moi, je me suis pas senti légitime… Parce que… Je sais pas, ma tante était morte, merde. C’était pas simple à gérer pour moi non plus. On savait tous qu’elle allait mal, c’était un cancer, on savait qu’elle risquait d’y passer. C’était pas simple pour autant, et puis qu’est-ce que je pouvais faire pour l’aider moi ?

 Le regard perçant de Clara le dissuada de continuer sur cette lancée et il soupira.

 — Je sais, simplement être là aurait suffi. Je le sais, je fais ça tous les jours avec les autres, être là, à l’écoute, prêt à aider… Mais putain je méritais pas de pleurer ma tante.

 — Qu’est-ce que t’as fait encore ? soupira Clara.

 Dans un autre contexte, le désespoir dans sa voix l’aurait fait rire, mais ce jour-là il ne fit que renifler.

 — Je prenais jamais de ses nouvelles, quand j’allais chez eux je m’intéressais qu’à Camélia, et puis… un jour, l’année dernière, mes parents étaient pas là pendant quelques jours donc j’étais chez elle et je voulais sortir avec des potes mais j’avais plus d’argent de poche donc… je me suis servie dans le porte-monnaie de tata… Je lui ai jamais rendu. Et…

 — Combien ?

 — A la base je voulais juste prendre cinq euros et puis… je sais pas j’ai un ami qui faisait qu’insister pour acheter des churros en plus du repas et finalement aller manger au burger, etc., en disant que je devais me charger des churros… Alors j’avais besoin de plus. Elle avait un billet de 5, un de 50 et des pièces, alors…

 Il prit une grande inspiration mais son expiration se coupa.

 — Alors t’as pris 50 ? dit Clara à sa place.

 Il hocha la tête.

 — Et ça ça t’empêche d’être là pour ta cousine ?

 — J’ai été con.

 — Ça je ne l’ai pas remis en question et, si ça peut te rassurer, tu l’es encore. Mais rien qui ne puisse pas être réglé.

 Il releva la tête vers elle, expectatif.

 — Déjà, le fait de ne pas t’intéresser à eux c’est normal, on est tous comme ça quand on est jeunes. On ne s’intéresse pas aux vieux et on croit qu’ils sont éternels, ça nous tombe dessus maintenant, dit-elle avec un sourire amer. Pour l’argent, t’as été un con mais ça arrive, tu aurais dû t’excuser et lui rendre plus tard, tu aurais même dû lui demander au lieu de voler, mais c’est trop tard pour ça. Alors, il ne te reste plus qu’à t’excuser.

 — Elle est morte ?

 — Et alors ? Justement, elle, elle est morte et n’en a plus rien à faire de ça, mais toi ça te pèse et la seule chose que tu puisses faire maintenant c’est aller t’excuser puis redevenir présent pour Camélia.

 Il avait l’impression que les yeux de Clara voyaient son âme et il se sentait soudainement mal à l’aise.

 — Demain, je passe te chercher après le boulot et on va au cimetière. On verra pour ta cousine ensuite.

 Il n’y avait pas de négociation possible et Théo soupira, anxieux et soulagé à la fois. Il se demandait pourquoi Clara n’était pas encore partie sans lui dire au revoir mais il était vraiment content qu’elle soit là.

 — Merci, finit-il par dire.

 Elle ne répondit pas.

 Il ne lui dit pas qu’elle le rendait meilleur.

***

 Clara l’attendait à côté de la porte de l’épicerie. Ses clés en main, elle ne le salua que d’un hochement de tête avant de se diriger vers la voiture. Il la suivit sans broncher. C’était peut-être bête mais il appréhendait. Elle avait prévu le porte-vélo et le trajet en voiture fut assez silencieux. Finalement, quand Clara se gara, elle se tourna vers lui, le scrutant quelques secondes du regard pendant qu’il continuait de fixer le tableau de bord, pleinement conscient de l’attention qui lui était porté.

 — C’est pas parce qu’on va au cimetière qu’il faut tirer une tête de 3 pieds de long.

 Il souffla du nez et tourna son regard vers elle, un sourire aux lèvres. Elle avait des yeux magnifiques d’un bleu profond qui donnait davantage de contraste à son visage.

 Par moment, il se demandait pourquoi elle faisait tout ça pour lui alors qu’elle avait sûrement bien mieux à faire de sa vie. C’était Clara après tout. Et il n’avait encore jamais remarqué les quelques taches de rousseur sur son nez. Les avait-elle avant ?

 —Let’s go ? demanda-t-elle.

 Il acquiesça et sortit de la voiture, prenant une grande inspiration en se levant. L’air était moite. Clara à ses côtés, il prit sans hésitation le chemin de la tombe de sa tante.

 Il s’arrêta à l’entrée de l’allée, le regard fixé sur la tombe à l’autre extrémité.

 — Je t’attends là, offrit Clara.

 Après un soupir, il hocha la tête et s’engagea dans l’allée. Chaque tombe était un peu différente, toutes n’avaient pas de fleurs et il se demanda combien étaient encore visitées. Y avait-il beaucoup de personnes qui se rendaient auprès des défunts en 2022 ?

 La tombe de sa tante était sobre, d’un marbre clair, une simple inscription donnant son nom et ses dates. Seul un bouquet de multiples fleurs avait été déposé sur la tombe. Elles étaient fraîches mais faneraient probablement dans peu de temps. Ce devait être Camélia… Ou son oncle. Il ne savait pas si Camélia visitait la tombe de sa mère ou si c’était encore trop dur pour elle. L’enterrement avait été déchirant, il se rappelait l’avoir vu éviter à tout prix de regarder le trou dans laquelle sa mère se faisait déposer.

 — Coucou tata, murmura-t-il en s’agenouillant devant la tombe, les mains sur les cuisses. Je suis désolé, je ne suis pas venu plus tôt. D’ailleurs, sans Clara, je ne serai pas là…

 Il jeta un coup d’œil pour la regarder, elle lisait les petits mots sur les tombes des autres allées.

 — Je suis venu m’excuser de…

 Il inspira profondément en fermant les yeux. Pourquoi était-ce si dur ? Il se sentait bête à parler au vide.

 — Je crois que je ne sais juste pas comment améliorer les choses, comment réparer tout ça, je ne sais pas comment faire les choses bien et, sans les autres, je ne suis rien. Clara a raison, j’ai fait comme si tu étais immortelle, j’ai préféré ignorer l’appel de la maladie, j’ai voulu me protéger et j’en ai oublié de protéger Cami. Et puis, j’ai été un petit con égoïste qui ne savait pas communiquer avec les adultes… Même Papa et Maman, j’ai jamais su communiquer avec eux. J’y arrive toujours pas… Mais je suis pas venu débarrasser toutes mes peines sur toi, c’est encore égoïste et je ne suis pas égoïste, je ne veux pas l’être parce que comment est-on humain sans prendre en compte les autres ? J’ai besoin des autres pour exister, je le sais, et… et j’ai fait comme si tu n’étais pas une autre personne. Je ne veux plus prendre les gens pour acquis. Je suis désolé tata et… je vais me rattraper auprès de Cami parce que, sans elle, je n’ai plus de famille et elle n’en a plus non plus.

 Il réalisa que ses joues étaient humides quand il sentit qu’il s’essoufflait. Il se redressa car il s’était recroquevillé sur lui-même et leva ses yeux au ciel. Il était de ce bleu si lumineux et si profond du sud, sans un seul nuage.

 — Je suis désolé pour les 50 balles aussi. J’espère que quand je reviendrai te voir, j’aurais tout réglé dans ma vie.

 Il laissa passer un silence et sourit.

 — Je te vois venir, promis je reviendrai et pas dans un an.

 Il finit par se relever et entendit les pas de Clara qui se dirigeait vers lui. Elle tenait un bouquet de fleurs sauvages dans la main qu’elle lui tendit en désignant la tombe.

 — Je les ai trouvées en bordure du cimetière.

 Il acquiesça et les déposa délicatement.

 — Merci, murmura-t-il.

Merci Clara pour ta présence et tes attentions. Merci tata pour qui tu étais. Merci d’avoir été là pour moi, tu as été la meilleure des tatas et je n’ai été qu’un enfant…

***

 Le vendredi soir, à la fin de sa journée à l’épicerie, Clara l’attendait comme le mercredi.

 — L’adresse ?

 Il resta figé un moment, à se demander ce qu’elle voulait. Puis, il se rappela : sa cousine, la crèche où elle travaillait.

 — Je ne sais pas si elle travaille en fait, elle fait peut-être le pont.

 — M’en fous, l’adresse ?

 Il finit par obtempérer, lui mettant le trajet jusqu’à la crèche sur son portable.

 Dans la voiture, elle dut le reprendre plusieurs fois car il se rongeait les ongles, définitivement stressé. Il savait qu’il avait accepté mais il n’y avait pas réfléchi pour autant, qu’est-ce qu’il était censé lui dire ? Comment allait-il s’y prendre ? Allait-elle le laisser s’expliquer ? Qu’y avait-il à expliquer ? Il avait été con, c’était tout. Il avait envie de vomir.

 — Tu peux t’arrêter s’te plait ?

 Clara se tourna vers lui et il devait être très blanc car elle ne discuta pas et s’arrêta dès qu’elle put.

 Il se précipita hors de la voiture, fit quelques pas chancelants en expirant bruyamment et sentit à peine la main de Clara sur son épaule.

 — Tu es malade en voiture ?

 Il secoua la tête, appuyant ses mains sur ses genoux, penché en avant, il se demandait s’il allait recracher son déjeuner ou s’évanouir à cause du manque d’oxygène.

 — Respire, lui parvint la voix de Clara beaucoup trop lointaine. Concentre-toi sur ma respiration. Viens, regarde-moi.

 Il ne savait pas quand elle avait bougé pour se retrouver devant lui.

 Il tremblotait.

Inspirer. Pause. Expirer.

Inspirer. Pause. Expirer.

1, 2, 3, 4, 5.

Reprendre.

 La nausée finit par passer et il se laissa tomber les fesses au sol. Il se sentait épuisé.

 — Je crois que ça me fait un peu paniquer… murmura-t-il. Je sais pas comment m’y prendre.

 — Tu as peur de sa réaction ? demanda Clara.

 — Honnêtement… je sais pas de quoi j’ai peur. De ne pas m’être préparé ?

 — Tu avais trois jours pour le faire, asséna-t-elle.

 — Je sais…

 Il finit par remonter en voiture et, même s’il n’était pas au meilleur de sa forme, ça allait déjà un peu mieux. Il était reconnaissant de la présence de la clim.

 Clara se gara enfin devant la crèche. Ça allait bientôt être la fin de journée, les derniers parents venaient de récupérer leurs enfants.

 Il regarda par la fenêtre le dernier couple partir mais ne put se résoudre à ouvrir la portière.

 — Ce n’est que ta cousine, remarqua Clara.

 Il hocha la tête. Ça ne changeait rien. Qu’allait-il dire…

 — J’ai été con et rien ne pourra réparer ça…

 Elle expira bruyamment et se lança dans une tirade qu’il n’avait pas vu venir.

 — Tu veux tellement que les choses soient bien faites que, quand tu rates quelque chose, tu préfères l’ignorer, ne pas voir combien ça blesse, plutôt que de faire en sorte que ça aille mieux. En fait, tu espères vivre ta vie avec une suite de réussites même si elles sont insignifiantes, que d’accepter tes échecs pour faire mieux ensuite et obtenir des réussites encore plus grandes. Ce n’est pas parce que tu n’as pas distribué de joie à un moment donné autour de toi que le mal que tu as fait est irrémédiable et doit être oublié. De toute façon, tu le sais, il n’est pas oublié. Tu empires juste les choses, tu t’empêches d’évoluer et tu ne suis pas ce que tu cherches dans la vie puisque tu blesses les autres de cette façon. Et tu te blesses toi-même. Tu veux vraiment continuer comme ça ? Non. Alors, tu vas descendre de cette foutue voiture, aller sonner à cette foutue sonnette, passer cette foutue porte et t’excuser proprement. Camélia mérite au moins ça.

 Sur ces mots, elle sortit de la voiture et vint ouvrir la portière côté passager.

 — Soit tu sors maintenant, soit c’est moi qui te sors.

 — Tu sais que tu fais peur parfois ? pouffa Théo.

 Elle hocha la tête l’air grave et il consentit à sortir. Ses mains tremblaient. C’était ridicule de se mettre dans des états pareils juste pour ça. Qu’est-ce qui ne tournait pas rond chez lui ? Heureusement que personne d’autre que Clara ne le voyait dans cet état-là, que penserait-on de lui ? Comment pouvait-il être un ami fiable s’il pouvait aussi se retrouver dans ces états-là ?

 — Arrête de réfléchir, le coupa Clara en le poussant vers la porte.

 Il soupira. Il n’eut pas besoin de sonner, la porte s’ouvrit devant lui, laissant apparaître Camélia dans l’ouverture.

 Apparemment, elle ne s’attendait pas à le voir là car elle se figea à sa vue, son sac sur l’épaule. Une fois la stupeur passée et avant de le laisser dire un mot, elle ouvrit plus grand la porte et sortit au pas de course, passant à côté de lui en l’ignorant.

 — Cami ! Attends !

 Elle ne fit pas attention à lui.

 Il dut lui courir après et lui attraper le poignet pour qu’elle s’arrête.

 — S’il-te-plait Cami… J’ai besoin de te parler.

 — Je me fiche de ce dont tu as besoin, cracha-t-elle.

 — Non mais… Cami, attends ! s’exclama-t-il alors qu’elle repartait déjà. S’il-te-plait, on peut parler ?

 Elle ne lui facilitait pas la tâche et Clara les regardait de loin, les bras croisés. Il sentait le poids de son jugement.

 Les épaules de Théo s’affaissèrent et il soupira.

 — Cami… Je suis venu m’excuser.

 — Un peu tard pour ça.

 — Je sais… Mais mieux vaut tard que jamais ? tenta-t-il.

 — Pas vraiment parmi mes principes.

 Elle reprit son chemin et, à nouveau, il dut lui courir après et se retrouva à marcher à ses côtés.

 — J’ai pas préparé, je sais pas quoi dire mais… j’ai vraiment merdé. Est-ce qu’on peut en parler ? Vraiment. Je suis venu pour retrouver ma cousine, ma famille. S’il-te-plait… Je te paie un café ?

 — Un thé, consentit-elle.

 Il hocha la tête et fit signe à Clara de regarder son portable.

Théo – 15/07 – 18h39

 Je l’emmène au café pour parler, merci de m’avoir amené, on se voit demain ?

 Clara – 15/07 – 18h39

 Ok. Sois pas con.

 Clara – 15/07 – 18h40

 Amène du chocolat demain.

 Théo – 15/07 – 18h40

 Oui !

 — Allons-y, dit-il à destination de Camélia en rangeant son portable dans sa poche. J’ai été voir tata mercredi soir, confia-t-il ensuite.

 Elle le regarda de travers mais il vit qu’elle se détendait déjà un peu. Ils se rendirent jusqu’au café 300 mètres plus loin en silence.

 — Je me suis demandé si c’était ton père ou toi qui avait mis les fleurs sur la tombe… tenta Théo une fois qu’ils se furent installés.

 — Je n’y suis pas encore retournée, avoua-t-elle avec culpabilité, les yeux fixés sur la table. C’est encore trop dur.

 — J’imagine… C’est pas parce qu’on s’y prépare que ça rend la chose plus facile.

 Elle hocha la tête et il se demanda encore comment il avait pu la laisser seule dans son coin les derniers mois.

 — Je suis désolé, tu sais ? Pour la soirée mais aussi pour les derniers mois. J’aurais dû être là.

 Elle lui offrit un sourire rassurant. Au même moment, un serveur leur apporta leurs boissons.

 Ils passèrent l’heure suivante à parler des derniers mois devant leurs thés glacés, bien contents d’être au frais en cette journée de canicule. En sortant du café, Camélia souriait et Théo se sentait enfin apaisé. Clara avait raison, il avait bien fait de s’excuser et ils, Camélia comme lui, avaient besoin l’un de l’autre. Ce n’était pas si dur, finalement. Il fallait juste y accorder un peu de temps.

***

 Théo – 17/07 – 10h03

 Tu veux venir à la maison ?

 Clara – 17/07 – 10h14

 Ok

 Il s’attendait à avoir besoin de négocier. Au lieu de cela, il avait donc le temps de ranger un peu sa chambre et la maison avant qu’elle n’arrive et ne trouve le bazar qu’il avait mis la veille au soir avec ses potes.

 Ils passèrent la fin de la matinée dans la piscine. Théo avait beau essayer de se contenir, il ne pouvait empêcher ses yeux de glisser le long de son corps. Clara était définitivement belle. Elle avait pris des formes depuis le collège, sa peau était assez claire mais commençait à prendre une légère teinte bronzée avec le soleil montpelliérain. Elle avait attaché ses cheveux blonds en un chignon dont s’échappaient quelques mèches rebelles et ses yeux étaient d’autant plus lumineux avec le soleil. Il plongea la tête sous l’eau pour se rafraîchir les idées. Un poids apparut sur son dos, ses mains appuyant sur sa tête. Malheureusement pour elle, ça ne suffit pas à l’empêcher de remonter. Il rit en émergeant.

 — Bien tenté !

 Sa peau contre la sienne le fit frissonner et il passa ses bras sous ses jambes pour l’empêcher de partir. Elle posa ses mains sur ses épaules pour se maintenir.

 — Je peux partir ?

 — Non, sourit-il.

 Après une inspiration, il bondit en arrière pour la noyer à son tour et elle poussa un petit cri. Il récolta une tape sur l’épaule et il sourit, les yeux pétillants. Il aurait pu l’embrasser, là comme ça, alors qu’elle le regardait les sourcils froncés, mais il ne le fit pas. Pas sans son accord. Pas sans en parler avant. Pas alors qu’il ne savait ce qu’il en était de son côté à elle. Pas alors qu’il n’en avait pas le courage. Il commençait tout juste à briser sa carapace, il ne ruinerait pas tous ses efforts comme ça. Il décida plutôt de sortir de la piscine pour leur trouver quelque chose à manger.

 — Mamy proposait que tu viennes manger à la maison, l’interpella Clara depuis la piscine.

 — Chez toi ? s’étonna-t-il.

 Elle hocha la tête. Il crut rêver. Son sourire s’élargit davantage et il s’exclama :

 — Je dis oui ! Ça fait mille ans que je les ai pas vu !

 — Papy va être content.

***

 Ça faisait longtemps qu’il n’avait pas mis un pied dans cette maison. Clara venait de se garer devant chez ses grands-parents et il regardait la façade qui lui rappelait tant de souvenirs. Il en avait passé du temps dans cette maison pendant les vacances scolaires… Tant de temps où ses parents n’étaient pas là, comme toujours… Rien n’avait l’air d’avoir changé, si ce n’était les panneaux solaires sur le toit.

 En entrant, il laissa son regard se balader sur ces murs si familiers. L’odeur aussi était familière : un mélange de vieux et de brioche. Puis, il repéra une touffe de cheveux blancs affairée derrière le plan de travail de la cuisine.

 — Bonjour Angélique ! Comme ça fait longtemps, ça me fait plaisir de vous voir !

 — Oh, mon Théo, viens voir là comment tu as grandi ! Oh, attends, que je me lave les mains.

 Puis, elle leva ses mains portant le poids des années aux joues de Théo.

 — Tu as perdu tes joues d’enfant, quel beau jeune homme. Alors, qu’est-ce que tu deviens ?

 Derrière elle apparut le papy de Clara.

 — Ah, tu es là, fils. Laisse-le arriver Mamy, on a tout le repas pour l’embêter, sourit-il de ce sourire énigmatique de papy qui en sait plus qu’il ne le dit.

 Théo sentit son cœur se gonfler et son sourire s’élargit en sentant Clara s’avancer à ses côtés. Il était heureux.

***

 — Alors fils, tu fais toujours de la musique ? demanda le papy alors qu’ils finissaient leurs glaces.

 — Bien sûr, acquiesça Théo.

 — Enfin, intervint Clara, je t’ai pas encore vu y toucher une seule fois.

 — J’en fais plutôt quand je suis seul, parfois j’emmène ma guitare à la plage.

 — Quel charmeur, ricana Angélique.

 — Plus de basse, fils ?

 — Je…

 Comment pouvait-il lui dire qu’il avait cassé son unique basse quand Clara était partie et qu’il n’avait pu se résoudre à en racheter une depuis ? Ce n’était pas un problème d’argent, seulement mental.

 Il haussa simplement les épaules.

 — Je me suis plutôt concentré sur la guitare.

 — Dommage… Tu devrais reprendre, j’ai toujours mon ancienne basse. Celle sur laquelle tu as appris, sourit le papy.

 — Elle n’a pas été utilisée depuis bien longtemps et doit être bien poussiéreuse, songea Angélique. Tu la trouveras dans le bureau de l’étage.

 Il hocha la tête, peu sûr de vouloir y retoucher de suite. Clara ne lui laissa pas le choix. A peine sortis de table, elle le traîna à sa suite.

 — Allez, hop, je veux pas voir d’hésitation, j’ai besoin d’une musique d’ambiance pour lire.

 — Tu mens.

 Clara n’avait besoin de rien pour lire.

 — Tu peux pas le prouver.

 Il sourit et consentit à s’emparer de l’instrument. Il testa les cordes, elles étaient usées mais ça irait.

 Il ne pouvait mentir : ça lui avait manqué. Il avait toujours préféré la basse à tous les instruments. Mais il n’y avait pas touché depuis si longtemps… Certains disaient que ce n’était qu’un instrument d’accompagnement, que sans les autres ça ne valait rien. Il s’était toujours senti comme ça lui aussi. Mais il savait surtout qu’il n’en était rien : on pouvait faire des merveilles avec une basse seule.

 Clara prit son livre en cours : un essai sur la condition humaine, elle lisait toujours des trucs assez particuliers, se fit-il la réflexion. Et ils redescendirent au rez-de-chaussée pour se caler sur le canapé. Théo s’avachit à demi dessus, la basse posée sur lui, et s’amusa à en tirer quelques sons, des mélodies qu’il avait déjà jouées auparavant.

 Ils passèrent l’après-midi de cette façon, discutant de temps en temps, Clara assise à lire et lui affalé à jouer. Se repositionnant, il finit la tête sur les cuisses de Clara que ça n’avait pas l’air de bien perturber. Délaissant les cordes, il leva son regard vers elle. Elle était concentrée sur sa lecture et se mordillait la lèvre inférieure. Lorsqu’elle tourna sa page, son regard croisa celui de Théo et la seconde durant laquelle l’échange dura sembla s’allonger, s’allonger, comme si toute une vie pouvait s’y loger. Puis, elle replongea dans son livre et il reprit sa musique, entamant un air d’Imagine Dragons. Pas la peine de mentir, il était amoureux.

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