Qui tiens le glaive ?

7 minutes de lecture

 La porte était déjà ouverte et sur le porche, la troupe avait disparut.

 Ils étaient évidemment déjà entrés et un brouhaha se déversait par la fente des murs, un chaos de vieux compagnons qui tenait compagnie à la ruine. Gorgyo entra alors dans ce monde si étranger à toute autre terre ; cette lande qui n’appartenait qu’à Praïzan, qu’à son peuple d’aventurier ; qui se montrait de toute ses folies la nuit seulement et seulement après la grande arpente par les pierres tombés et les secrets encastrés, où, sous les monuments, s'ombrent les chemins silencieux ; là où Praïzan se mêle d’un feu de vie et les voyageurs vivent d’un feu de camp ; il était entré dans le monde des vagabonds de Praïzan.

 Et il débutait par un grand rire et le fracas d’un mur qui chutait suivit de ces mots :

 “Jamais vu un mur porteur si chétif mais une poutre aussi faible, de deux centimètres seulement, ça vaut la mort ça ! Je vais enterrer l’architecte dans un mur !

 - Si c’était le siens, il s’en sortirait.

 - Je vous dis que ça c’est un gars ça qui a du construire des cabanes de bois toute sa vie et qui n’a jamais appris à différencier un bocage d’un bracon. Des foutu paysans- Je vous en donnerez des- Mais enfin, une poutre de deux centimètres, ce n’est pas possible !”

 Ztaav souffla à la droite de son chef.

 "Quand la Luisarde se lève, les brêles s'éveillent. C’comme les Lycanthropes.

 - Des nigauthropes.

 - Ouais, des ni- c’pas mal, ça, tiens.

 - Tu as lu Alco Basfry ?

 - Nan.

 - Je te passerais ses livres, tu sauras apprécier son humour.

 - Et j'me ferais un plaisir de m'en passer.

 - Lis, Ztaav, lis. Nous naissons tous stupides mais j'aimerais faire en sorte que personne ne meurt ainsi.

 - T'inquiète, t'as déjà fais assez pour ma vie, j'mourrais pas comme j'suis né. Je ferais en sorte, rien que pour toi."

 Dans le palais, quelqu'un toussa.

 "Tiens ta promesse si tu veux bien. Je vais aller voir ce qui se passe là-haut et je tacherais de faire parvenir les fleurs à Kraka, elle soignera Lok avant le repas. Ce doit être Mélék qui hurlait. Je te laisse préparer le rez-de-chaussée. Asquin, si tu veux bien me suivre."

 Et partit.


 Ztaav resta seul avec leur cuisinier, qui, par nature et par choix, ne se donnera pas lui-même. Le Carco, comme on l’appelait, était sans mots, sans vrai nom ni vrai récit. Il s’était caché dans le silence et la douce intimité d’un cœur indiscret. Nous voudrions tous savoir ce qu’il a enfermé dans ses lèvres. Il est honorable de rencontrer ces âmes rares qui jamais ne se trahissent.

 Ils placèrent ensemble la carriole dans le grand vestibule qui donnait sur l’entrée mais ne sachant où trouver ni la cuisine ni une salle à manger, Ztaav choisit d’explorer les longs couloirs du palais. C’est ainsi qu’il trouva des chambres obscures, leurs lits inoccupés faisant face à des portraits de leur sang, parfois petits, parfois plus grand, souvent vide et triste. Et dans des cabinets à travers le bâtiment, il y avait des lettres, des journaux, du papier privé. Il les prit toutes, et même après avoir trouvé la cuisine, dont il indiqua le chemin au Carco, il continua à fouiller les chambres. Certains auraient appelés ce lieu un jardin des vies intimes et auraient peut-être refusés d’en retourner la poussière, Ztaav dirait bien autre chose. Il n’y eu qu’une seule chambre dont il n’ouvrit pas la porte. Un écriteau de bois, pendu à un clou fané où l’on pouvait lire “chambre de CARILIA. INTERDICTION D’ENTRER”. Ztaav s’inclina et s’en fut.

 Dans une salle… coincé quelque part dans le palais, impossible d’en retrouver le chemin, il croisa une membre de la troupe, accroupi dans le noir devant deux masses de poils. Il passa la porte, et lentement, très lentement, pas à pas de chat traça un parcours félin entre les traffas de fatras à terre, et il plaça sa main, une ombre sortant des ombres, sur la tête d’un des chien et se mit à gratter. Leur maîtresse se réveilla. Son nom, Ztaav nous le dira.

 On l’appelait Kraka.

 “Shh, ils mordent.”

 Il retira sa main.

 “Minc- Ils drome- ils domrent- Ils rodent- ils roment- Ils- Ils sont couchés, Ztaav.

 - Chanceux, c’était une longue journée. J’bien envie de tomber comme eux.

 - Pff, on mord quand on sera mort. On dort quand on sera dort. On- Oh puis kinte-à-mer, on dort après le repas.

 - Pas ce soir, personne dort ce soir.

 - Pourquoi ?

 - En parlant de r’pas, tu peux aller aider le Carco, s’il te plait ?

 - Ztaav, pourquoi ?

 - J’peux pas, j’pas envie d’y penser.

 - Tu nous cache des choses maintenant ?

 - Nan, j’veux juste gratouiller un peu, y’a des tables à mettre et des lettres à lire. Ce soir on dort pas. C’tait comme avec mon père, il me passait les armes et me disait : il y'a pas de nuit ce soir.

 - Le mien il disait… Bah rien, il parlait pas.

 - Mais t’es né de l’utérus du sauvage, Kraka, ton père c’était le bouc et le fleuve.

 - Tt, l’hyperbole. J’avais pas le père cornu, il avait peut-être les sabots mais seulement sur les roches, il avait peut-être l’entêtement mais que dans la tendresse. Et, c’est vrai, il avait le mot rare, et la douceur silencieuse mais entre lui et mère-forêt, j’avais pas l’enfance malheureuse.

 - Ah, un père parmi les pères.

 - Le plus grand de tous.

 - Plus grand que l’ours !

 - Digne comme le lion !

 - Et indépendant comme le mouton !

 - Oh nan-

 - Et la mouche, était-il comme la mouche ?

 - Le cafard à la limite.

 - Pourtant il est mort.

 - Et pourtant…

 - C’comme ça les parents, on nait avec, on meurt sans.

 - T’as la tête drôle aujourd’hui. Tu passe d’une blague à la tombe.

 - Faut bien, l’humour c’est la tombe du désespoir.

 - Désespoi- Quoi, c’est Gorgyo qui t’as mis dans cet état ?

 - Nan, j’me dis juste, l’gamin de la semaine dernière, il était assez jeune pour t’jours avoir les siens.

 - Quel gamin ?

 - Celui de Barabade.

 - Ah, lui. Pense pas à ça, Ztaav.

 - Dis ça à ma couronne.

 - Ça passe au sommeil ce genre de pensée.

 - Servirait à rien. J’dors plus. J'vois des flammes, chaque nuit. Le soleil tombe, et moi j'vois des flammes.

 - Te casse pas la tête sur la semaine dernière, c’est des embarras qui arrive.

 - J’m'embarrasse pas des charognes, c’pas ça. C'tait un gamin, rien qu'un gamin, le genre que j’pourrais avoir aujourd’hui. Le genre qui quitte la maison et qui s’paume dans l’rêve d’un autre.

 - T’en fait pas, t’as changé. Enfin, selon Gorgyo. T'étais toujours haïssable.

 - J’ai dit, j’parle pas de charogne, c’pas ça, c’est pas moi, nan. Quand j'ferme les yeux, j'vois les siens. Il plaide le glaive, moi j'vais le faire, on le sait tout les deux alors il plaide le glaive. Et au moment, au moment, c’est pas moi qu’il hait, moi, partis, pfuit, spectre dans mes propres cauchemars. C’est l’métal qu’il regarde, dans son r’gard, c’pas moi qu’avais choisis. Les fanatiques, ils te regardent avec cet œil de sage. Derrière, ils scrutent un truc derrière tes yeux. Ils voient une bête, une chose immense, trop grande pour toi et qu’est rempli de fils de parques. Le p’tit rire, l’geste sans reproche, des yeux qui t’pardonnent parce qu’ils savent que t’es pas ton propre maître, l’est là le sage, là les démons sur sa langue. Et lui, il regardait le métal, il m’pardonnait même pas, juste il plaidait son âme à la bête. Kraka, ces mains, elles appartiennent à qui ?

 - Tu la fais, et t’as bien fait, il aurait tué Mélék, t'as bien fait.

 - Mélék. Mélék, recroquevillé sur lui, sa bouche qui voulait crier, mordre et pleurer. Il avait peur. Toujours sa vieille peur.

 - Vieille ?

 - Ce garçon, il a l’angoisse de la mort. Gamin, tu comprends que c’est pas qu’les vieux qui s’font charognes. Un jour, ce sera tes amis, tes parents. Un an, et tu te dis qu’ça peut être toi. Une heure, tu t’rend compte qu’il y'a pas de peut-être. Il y'a pas de mot pour décrire ce vide. Te dire juste, y’aura plus rien, et le croire, te croire… Jamais un moment plus sain pour l’doute et l’oubli. Mais notre con à nous, jamais il se doute. Heureusement, il a la tête arrimée à son cul, sa mémoire suit son cycle alimentaire. Et quand l'indigestion dure trop longtemps, il fait ce que font tout les gamins, il s‘distrait. Trouve un ami, trouve un ennemi. Tu l’aime, tu l’hais et t’argote, et t'oublie qu’un jour tu vas mourir.

 - T’es le mauvais choix alors, t’es un ennemi aimable et un ami détestable.

 - C’est parce qu’il à peur, et il sait que moi pas. Le jour j'ai sa haine, la nuit j'ai la mienne. J'dors quand ?

 - C'est un enfant si il comprend pas que parfois les vies, ça se croise en mal. Celui qui meurt, celui qui tue, ils se comprennent. Enfin, c’est des choses qui arrivent, enfin on se comprend tout les deux.

 - Non, on se comprend pas. Les corps dans ta grotte, ils t'avaient juste croisé ?

 - Attention, Ztaav.

 - Mmh, attention. Attention à tes mensonges. Tu peux mentir à qui tu veux, mais à toi ? Nan, pas à toi. Ça te tuera avant ta conscience. Il n’y a rien qui arrive juste comme ça, par chance, par l’air du moment.

 - …

 - Le Carco a b’soin de toi.

 - …

 - Les cuisines sont au fond d’un couloir.

 - Il n’y a que des couloirs.

 - C’tait un couloir à l’Est.

 - Comment tu veux qu’on repère l’Est dans ce panier de mur ?

 - Tu regarde l’Ouest puis tu tournaille.”

 Un rire de baleine aurait pu échapper à Kraka.

 “Et pour trouver l’Ouest ?

 - Bah tu regarde…

 - … l’Est et tu…

 - … l’Est et tu te retourne. T’as la technique, tu trouveras.

 - On trouvera bien.”

 Et effectivement, elle trouva les cuisines, quoique elle aurait dit que c’était au Nord.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Le Rat ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0