II - Endianess

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Je poussai le chat qui prenait un peu trop ses aises et m’étouffait presque sous son poids. La sale bête s’étira paresseusement et émit un miaulement de protestation pour la forme.

– Arrête de râler, Archibald !

Ledit Archibald avait un passif, il fallait l’avouer. Il semblait prendre un malin plaisir (ou peut-être devrais-je dire un félin plaisir) à semer ses poils partout – sur ce point mon frère disait que je lui ressemblais parce qu’il retrouvait toujours des cheveux égarés dans la douche – et ne résistait pas à faire toutes les bêtises du monde.

Le chat me jeta un regard hautain, puis il sauta de mon lit pour se diriger à petits pas nonchalants vers la porte. Sa démarche était plutôt élégante et son balancement avait quelque chose d’hypnotique, mais toute grâce envoûtante disparut lorsqu’il se mit à gratter furieusement contre la porte pour que je la lui ouvre.

Je ne bougeai pas, parce qu’Archibald et moi savions tous deux qu’il était parfaitement capable d’ouvrir une porte tout seul. L’ennui était qu’il était d’une patience remarquable et que je ne pouvais que me lasser avant lui.

Soupirant, je me levai et me traînai d’un pas lourd vers le chat. J’appuyai sur la poignée, sentis la porte grincer en s’entrouvrant, mais Archibald ne bougea pas.

– Parce qu’il faut que je te mette dehors moi-même ? maugréai-je.

Le chat consentit finalement à débarrasser le plancher et s’engouffra dans l’obscurité. Il alla ensuite gratter frénétiquement à la porte de mon frère, et je m’appuyai contre le mur pour le regarder sortir.

Un raclement de chaise se fit entendre – vous savez, les chaises de gamer – et un jeune homme aux traits tirés se posa dans le couloir. Il sursauta en me voyant, ne s’attendant certainement à voir que le chat, et retira son casque de ses oreilles.

– Tu dors pas ? demanda-t-il d’une voix fatiguée.

Il était à peu près une heure du matin, et à cette heure il était habituellement le seul encore debout. Ça énervait Maman, mais il jouait en ligne tous les samedis soirs avec Jacob et Nathanaël, deux amis de sa classe et il refusait de perdre cette mauvaise habitude.

– Non, le chat m’étouffait, répondis-je.

– Artichaut ! C’est vrai, ça ? Je te dresse depuis des mois et tu as enfin réussi ? Tu es un bon chat !

– Ah, ah ah, fis-je en le fusillant du regard.

Mon frère m’adressa un sourire moqueur et s’accroupit pour passer affectueusement sa main dans la fourrure du chat qui, s’il avait hérité d’une âme de chat de gouttière avait le pelage d’un chat d’aristocrate.

Archibald – ou plutôt Artichaut car c’était son nom – ronronna et daigna apprécier la caresse de mon frère, en félin félon qu’il était. C’était mon frère qui l’avait appelé Artichaut (il trouvait ça drôle, ne me demandez pas pourquoi), mais je l’appelais Archibald depuis quelques années. Il y avait dans son comportement un je-ne-sais-quoi qui me rappelait un certain ambassadeur du Clairdelune.

– Tu devrais aller dormir, lança l’énergumène qu’était mon frère en prenant le chat dans ses bras, qui fidèle à sa réputation, le griffa légèrement au passage.

Je résistai à l’envie de lui dire que je n’avais pas envie de dormir, puis que je n’étais pas très sûre d’avoir envie de vivre non plus.

– Bonne nuit, patate.

– Bonne nuit à toi aussi, Noah, maugréai-je.

Il rentra dans sa chambre, Archibald sous le bras, et je fis de même, sans le chat toutefois. La fenêtre était ouverte, l’air frais de la nuit s’engouffrait dans la pièce, la lumière des réverbères projetait des ombres fantastiques sur les murs. Dans quelques minutes, ils allaient s’éteindre pour mieux se rallumer vers cinq heures du matin.

Je m’approchai du miroir. Je n’étais pas belle. Je n’étais pas laide non plus. Mes yeux me semblaient éteints.

La nuit, tous les charmes sont gris. Et moi, je broyais du noir.

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