La comptine des esclaves

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De l'enfant ingrate émergeât un jour une jeune fille à la beauté étonnante, donnant ainsi un écrin enchanteur au parfum merveilleux dégagé par sa peau : Belle méritait enfin son prénom.

Je l'épousais un vingt-quatre décembre, jour de ses vingt ans, conformément aux accords passés avec son père. Sa transformation – opérée vers ses quinze ans et parfaitement réussie – n'avait en rien modifié ses étranges malformations olfactives : inutile de compter sur elle pour la traque, la louve n'avait pas plus d'odorat ou de goût pour le meurtre que la femme. Cependant son odeur devenait encore plus profonde et plus riche sous sa forme animale, au point que je devais fréquemment combattre d'autres loups pour la conserver mienne.

Quand je m'éloignais d'elle assez longtemps pour retrouver un esprit clair, je me prenais à espérer qu'un de nos louveteaux naîtrait sans odorat, mais doté de l'agressivité de la bête... Peut-être réussirait-il à la tuer, lui... Moi j'en étais incapable. Et inutile de compter sur un affaiblissement de mon odorat, nous autres lycans ne tombions jamais malades...

Maudite évolution et maudite espèce que celle des humains ! Ils sont à la mienne ce que les bactéries sont à la leur, et leur multitude nous submerge...

Qui faut-il traiter de bêtes, vraiment !

Si seulement Belle et les autres ne sentaient pas si délicieusement bon, ou si nous n'étions pas autant esclaves de notre odorat ! Tout aurait pu être si différent...

Le conte aurait-il alors été autre, lui aussi ? La version la plus populaire traçait les contours d'une morale aussi prévisible qu'étriquée : la Bête « affreuse » de laideur et de sottise, car magiquement punie pour cause de mauvais comportement... Nous qui ne sommes qu'instinct quelle que soit notre forme ! Et comme si un animal pouvait être mauvais, sot ou bien laid ! Devions-nous avoir honte de nos traits de caractère, et souhaiter en changer ? Idioties que tout ceci !

Mon cher beau père – mort depuis longtemps malgré ses intrigues incessantes pour nous extorquer sa transformation chaque vingt-quatre décembre de sa courte vie, seul jour où je le tolérais au château par égard pour Belle – y était dépeint comme « un homme bon » ! Ce passage du conte avait failli provoquer une apoplexie généralisée quand j'en avais fait la lecture à mon clan. L'homme puait la fourberie. Jamais autant de duplicité et d'esprit mal tourné n'avaient dû se rencontrer cumulés dans un seul corps... Son odeur de fiel le trahissait, et une année n’était pas de trop pour oublier ses remugles écœurants.

Ma trop douce Belle, dont la peau chantait toujours pour moi une symphonie envoutante avec son parfum tout en notes subtiles et fleuries, comme autant de chaînes odorantes et vénéneuses, était portraiturée en parangon de vertu capable de toucher le cœur d'une Bête laide et sans esprit, et de s'en faire aimer !

Comme si un humain pouvait accomplir cela sans l'aide d'une diablerie quelconque... Nous ne sommes pas des chiots que l'on apprivoise et que l'on dresse ! Sans son bouclier olfactif, je n'en aurais fait qu'une bouchée dès le berceau.

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