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Ta tendresse cogne mes fantômes et ton amour me conjugue au passé apaisé, au passé composé. Peu à peu je réapprends une nouvelle grammaire de mes douleurs. Et, soupesant l'enfance, je réalise qu'elle a perdu beaucoup de poids. Nouveaux grammages. Légèreté. Avec toi, point de gravité.

Mais ce qui m'a sauvée, au-delà de toi, Tombeau, c'est de me gaver de connaissances, comme tu m'as appris à le faire, les jeter dans ma gamelle, m'en repaître. M'offrir à la mastication du savoir, arme dressée contre le rythme des couteaux.

Apprendre.
Apprendre comment le langage se crée, comment le langage sécrète. Comment le langage s'apprend, pourquoi le langage se cabosse, s'effrite. Pourquoi le langage se blesse, pourquoi il souffre, il suinte, il sanglante. Pourquoi sommes-nous tant à souffrir du manque des mots ?

Apprendre.
Apprendre à devenir dépositaire, gardienne des mémoires, à panser les langages blessés, à soigner le dire. Alors étudier la langue meurtrie, la langue foetus qui ne fleurit pas, ne se déploie pas. Analyser la langue mutilée, amputée, travestie et sacrifiée. Comprendre pourquoi elle s'écorche, pourquoi elle s'éborgne, cette langue nouée, ce langage bleu, ce langage hérissé de pierres et d'os.

Je rencontre le choeur des petites âmes malades, écoute leurs chants muets. J'essaie de les traduire, ces chants des petits borgnes, cyclopes et cyclones, des chants de tempêtes de sable et de brûlure, des chants de plaies et d'abandons, des chants d'absences et de maux. Cantiques. Parfois ils hurlent en cris informes, parfois ils crachent, parfois ils soupirent et expirent.

Apprendre à soigner.
Par-delà les meurtrissures, se faire coryphée, viser la gorge, insuffler, ensemencer, donner corps à la parole, pétrir un langage, modeler jusqu'à ce que, comme fleurs s'ouvrent et disent "je suis là et j'ai le droit de me nommer". Les guider jusqu'à ce qu'ils quittent le choeur pour le chemin des mots, le chemin d'émotion, pour raconter la vie qu'ils n'avaient pas conscience de vivre. Souvent l'enfant chuchote, souffle et souffre, frémit d'un "je ne sais pas". Tu as le droit de savoir, comme moi j'avais le droit. Et aussi leur confier ce que mes parents ont oublié de m'apprendre : les enfants ne sont jamais coupables.
Soigner.

Trouver un sens à cette vie qui dissipe enfin la brume.

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