75. Négociations sous le coup de l’émotion

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Liz

J’avoue que je ne suis pas peu fière de ce convoi de grévistes. On a la classe ! Bon, on est loin des milliers de personnes dans la rue, des pancartes vindicatives, des chants repris à droite à gauche et des seins à l’air, mais… quand je vois tout ce petit monde se mobiliser pour Jadouille et pour leur propre confort, la satisfaction m’étreint. Quant à Malcolm, j’ai l’impression qu’il peine à contenir son euphorie autant que son stress. La grève est une étape, mais elle n’engage pas d’entrée une réussite, et voir tout ce petit monde s’éteindre dès que les gardes sont sortis ne rassure pas des masses. Leur mobilisation est fragile, et je me dis qu’à la moindre menace, ils peuvent plier et faire demi-tour. Comme les petits de seconde au lycée, quand le dirlo nous a menacés d’un renvoi ferme et définitif… Mais je ne laisserai pas faire, et je crois bien que la détermination de Malcolm est telle qu’il pourrait s’enchaîner au portail en fer forgé et entamer une grève de la faim même en solitaire.

Si les gardes ne sont pas vraiment menaçants, ils affichent clairement un air déstabilisé qui me fait sourire. Eux qui se font obéir dans la seconde ou presque, d’ordinaire, ne savent pas quoi faire de leur cul, là. C’est trop jouissif, comme voir les CRS reculer. Bon sang, ça me manque trop, tout ça.

Je ne sais pas trop combien de temps nous passons devant la grille, à entonner ce slogan bancal, à pousser de la voix encore et encore, mais lorsque nous voyons un type en costume sortir de la bâtisse, tout le monde se calme instantanément. Voilà donc le début de la seconde étape… Négocier. Je me frotte mentalement les mains avec un sourire diabolique, avant de me rendre compte que je pète carrément une durite. Il faut que je me calme, l’euphorie me gagne également, je crois. Et lui, sous son air nonchalant, qui approche, les mains dans les poches, affiche quand même un petit air inquiet, juste ce qu’il faut pour que j’aie envie de jubiler. On se calme, Liz… Rien n’est fait.

Lorsqu’il ouvre le portail et se plante juste derrière les gardes, je me rends compte que d’autres se sont postés sur les côtés de notre groupe, et je me dis qu’il va falloir que nous soyons attentifs pour éviter les débordements. Quoique… Je ne suis pas sûre que notre petit groupe déborde, faut pas pousser. Trop d’années à avoir le cerveau ramolli par le Conseil, ils n’oseront pas.

— Qui sont les responsables de cet attroupement ? demande-t-il d’une voix grave.

Je jette un œil à Malcolm, toujours à mes côtés, et lui demande silencieusement s’il est prêt à se lancer. Il faut croire que notre duo fonctionne suffisamment bien, parce que Joli Cul attrape ma main et m’entraîne en direction du costard en lançant un puissant “Nous !” qui en impose. Merde, il est un peu sexy, quand même ! Je comprends que Jade ait pu craquer.

Nous nous positionnons devant lui, ou plutôt devant les gardes qui le protègent, tout en restant quand même à une distance à peu près sécuritaire. Je suis surprise de voir que le groupe derrière nous avance de quelques pas pour faire front, et putain, c’est vraiment trop puissant !

— Nous exigeons la libération de notre médecin, attaqué-je calmement. On a besoin d’elle pour soigner nos enfants, nos aînés, et pour veiller sur nous.

— Oui, Edgar, vous ne pouvez pas la garder ! Qu’a-t-elle fait à part mettre en pratique ce que nous apprenons de la Nature ?

— Pourquoi ça ne m’étonne pas de vous voir en tête de peloton, vous ? me lance le type en me fusillant du regard. Vous n’êtes pas chez vous, ici, on ne fait pas ce genre de choses.

— Se préoccuper des autres, vous voulez dire ? Et de notre santé ? Comment vont faire ces gens, sans médecin ? lancé-je en me tournant vers le groupe. Comment on va faire, sans Jade ?

— Un médecin du continent devrait arriver dans les prochains jours, nous ne sommes pas inquiets pour ça. L’île survivra sans Jade. Elle a transgressé les règles, le recyclage est inévitable.

Ok, l’info n’est pas tombée dans l’oreille de sourds. J’entends murmurer derrière nous et l’air satisfait du couillon devant moi me donne follement envie de me glisser entre les gardes pour lui coller mon genou sur les bijoux de famille.

— Et son bébé, il survivra ? Vous allez vraiment tuer un enfant ? Et vous pensez que c’est légitime ? m’agacé-je. Vous ne pouvez pas faire ça ! C’est totalement immoral ! Cet enfant n’a rien fait !

— C’est totalement contre nature de ne pas laisser sa chance à ce bébé qui n’a rien fait ! s’emporte Malcolm à mes côtés en levant le poing. Le Conseil perdra toute légitimité si une telle catastrophe devait arriver !

Un murmure d’assentiment parcourt les manifestants et je vois vaciller la confiance de cet Edgar qui doit faire partie du Conseil. Je me demande comment ils ont pu ne pas perdre cette légitimité plus tôt, personnellement. Tout ça me paraît tellement irréel ! Je veux bien devoir respecter des lois, mais une aussi ridicule que celle d’interdire les relations hétéros, sérieux ? Comment les gens peuvent-ils accepter qu’on les empêche de tomber amoureux ?

— Je veux bien faire une concession, reprend le représentant du Conseil. Mais à une seule condition : que cette mascarade venue du Continent et qui ne correspond ni à nos traditions ni à notre manière de faire, cesse immédiatement. Jade a transgressé la loi mais j’ai bien compris vos préoccupations. Je vais donc voir avec les autres membres du Conseil pour qu’elle reste en vie. Mais elle sera notre prisonnière et ceux qui auraient besoin de soins pourront venir la voir. C’est un bon compromis, non ?

Je jette un coup d’œil à Malcolm avant de l’attirer à l’écart pour pouvoir discuter avec lui. Les mères de Jade nous rejoignent avant même que j’aie pu en placer une.

— C’est mieux que rien, non ? murmure Estelle, le regard triste.

— Mieux que rien ? Mais… c’est pas suffisant ! Malcolm, ça te convient, toi ?

— A moi ? Non… mais regarde, les autres ici semblent être comme Estelle et ont l’air de se satisfaire de cette proposition. Seuls, on n’arrivera à rien, Liz.

— Tous des égoïstes, sur cette île, marmonné-je alors qu’on entend un mouvement de foule dans mon dos.

Je me retourne pour observer ce qui se passe et j’ai tout juste le temps de voir un petit jeune s’avancer avec détermination jusqu’à être arrêté par les deux gardes qui protègent le costard. Il ne se démonte même pas quand ils l’empoignent avec force et se met à hurler avec hargne.

— L’île n’est qu’une prison ! Ne croyez pas le Conseil, ils vont tous continuer à nous enfermer dans ces illusions ! Il faut que Jade soit libérée ou que nous finissions tous recyclés ! Jade en prison, c’est nous tous qui sommes derrière les barreaux !

— Non, Clément, arrête ! s’écrie Malcolm à mes côtés en faisant un pas vers les gardes qui ont levé leurs armes vers le jeune.

La suite se passe dans un fouillis total. Clément se débat et parvient à atteindre Edgar, lui décochant une droite avant de se retrouver plaqué au sol avec brutalité, et nous nous retrouvons encerclés par des gardes qui ont tous l’arme levée dans notre direction. Putain… j’avais oublié qu’il en suffisait d’un pour que tout parte en vrille…

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