56. Le retour sur Terre du papa rêveur

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Malcolm

Je vais être papa ? Sérieusement ? Elle et moi, on a réussi à faire un bébé ? La nouvelle est tellement incroyable que je reste un moment interdit en la regardant. Je ne comprends pas sa réaction alors qu’elle se détourne de moi, comme si elle avait honte de ce qu’elle vient de m’avouer, comme si c’était quelque chose qui l’horripilait.

— Mais c’est merveilleux, Chérie ! Nous avons réussi à fabriquer une nouvelle vie ! Je n’en reviens pas… Je pensais tellement que tu ne pouvais pas avoir d’enfant et là, un miracle… Je… Wow ! Quelle nouvelle.

— Malcolm… Réfléchis un peu, bon sang ! Comment j’explique ça au Conseil, moi, hein ? Je… Allô, y a quelqu’un dans cette jolie petite tête ?

Oh mince. Le Conseil. Un instant, il m’était complètement sorti de la tête. Tout ce que j’ai vu, c’est que notre acte d’Amour avait abouti à un miracle. Je me suis tellement vu père d’un petit être avec la femme que j’aime que j’en ai oublié les circonstances de cette naissance annoncée. La redescente sur Terre est brutale. Dès que le Conseil va apprendre ça, c’est le recyclage assuré. Pour elle, en tout cas. Moi, si elle ne me dénonce pas, je vais peut-être pouvoir y échapper. Mais… je suis con ou quoi ? Si elle n’est plus là, autant me jeter du haut de la falaise ou aller directement au recyclage. Une vie sans elle ? Mais comment ai-je pu envisager ça ne serait-ce que quelques secondes ? Un bébé…

Ce retour à la réalité est vraiment violent. Je m’en veux d’être toujours aussi rêveur et éloigné de ce que peuvent vivre les autres parfois. J’observe Jade qui s’est recroquevillée sur elle-même et sanglote à mes côtés. Mon cœur se serre et j’ai le contrecoup de l’annonce. Je n’ai qu’une envie, la serrer dans mes bras et la réconforter mais je ne sais pas si c’est ce qu’elle veut ou si elle me déteste pour être à l’origine de ce bébé qui signifie sûrement que notre prochain recyclage est annoncé. Je fais un pas vers elle et pose ma main sur son épaule.

— Je suis désolé, Jade… Je… C’est juste qu’avoir un bébé avec la personne qu’on aime, c’est censé être merveilleux, ça l’est d’ailleurs, mais je… tu viens tout juste d’annoncer les choses et il m’a fallu du temps pour assimiler toutes les conséquences. Je t’aime, tu sais… et je m’en veux de nous avoir mis dans cette situation. J’aurais dû faire attention…

— Bien sûr que c’est merveilleux… mais pas ici, soupire-t-elle. Comment on va faire, Malcolm ? Je ne vais pas pouvoir cacher ça bien longtemps, je… Bon sang, c’est vraiment la galère, moi qui rêvais d’avoir un enfant, magnifique, j’aurais mieux fait de prier pour une nouvelle voiture, tiens.

— C’est quand même plus agréable de fabriquer un bébé qu’une voiture, marmonné-je en essayant de l'attirer contre moi. Viens me faire un câlin, j’ai besoin de te sentir près de moi pour affronter ce qui va nous arriver. Un bébé, tu te rends compte ? C’est juste incroyable…

— Tu as déjà fabriqué une voiture pour pouvoir comparer ? Et puis… Bon sang, qu’est-ce qu’on va faire, Malcolm ?

Je ne comprends pas pourquoi elle garde ses distances. Moi, ce dont j’ai besoin, c’est de la sentir tout contre moi. Je suis incapable de réfléchir à quoi que ce soit si elle maintient cette distance entre nous. Ce bébé, on l’a fait ensemble et c’est ensemble qu’il faut qu’on pense à l’avenir, non ? Je me rapproche d’elle et pose mes mains sur ses épaules jusqu’à ce qu’enfin, elle lève ses magnifiques yeux émeraudes vers moi. Je m’y plonge avec un délice qui adoucit la terreur que je ressens à l’idée de ce futur qui s’annonce si compliqué.

— Je ne sais pas encore ce qu’on va faire, Jade, mais ce que je sais, c’est que je t’aime et qu’à deux, on peut tout affronter. Restons unis, c’est le plus important, je pense.

— Tu as raison… sur le fait qu’on doit rester unis, évidemment, mais… je ne sais pas comment affronter ça, Malcolm, j’ai l’impression d’être une cocotte minute prête à imploser. Une partie de moi est toute excitée à l’idée de… d’avoir ce bébé, mais je suis terrifiée.

— La cocotte minute va plutôt exploser et expulser son contenu, si tu veux mon avis, dis-je en essayant de détendre l’atmosphère.

— Tu feras moins le malin bientôt, tu sais ? pouffe Jade en posant sa tête contre mon épaule. Un bébé… Tu te rends compte ? Je veux dire… Une vraie grossesse, c’est étrange, ici. Ce qui est normal ailleurs et tellement naturel…

— Je me rends compte, oui. La question est de savoir ce qu’on fait maintenant. Tu… hésité-je à demander avant de me lancer. Tu veux le garder ? Avec toutes les conséquences que ça pourrait avoir ?

— Est-ce que j’ai le choix ? Je ne vois pas où je pourrais trouver une recette miracle pour un avortement, Malcolm, et je doute que le Conseil trouve ça normal que je demande des médicaments pour ça. Et puis… c’est notre bébé, je… j’en sais rien, je suis paumée.

— Oui, c’est notre bébé, c’est vrai, mais si on est recyclés, jamais il ne verra le jour de toute façon. Tu veux qu’on fasse quoi d’autre ? Partir d’ici avant qu’ils ne se rendent compte que tu es enceinte ? C’est sûrement ça, la solution…

— Il est hors de question qu’ils touchent à ce bébé ou qu’ils soient décisionnaires en ce qui le concerne. Je… je crois qu’on devrait essayer de partir, oui. Je ne vois pas d’autre solution, même si on ne connaît que l’île.

Je reste un instant silencieux pour essayer de mettre de l’ordre dans mes idées. Ce qui me rassure, c’est qu’elle a mis fin à cette distance entre nous. Nous sommes lovés l’un contre l’autre et mes bras l’entourent et l’enserrent dans une chaste étreinte qui nous fait du bien à tous les deux. Je caresse doucement ses magnifiques cheveux dont les reflets auburn me plaisent toujours autant. De la sentir si fragile dans mes bras, elle qui d’habitude est si forte, fait fondre mon cœur encore davantage.

— Combien de temps encore, tu peux cacher les choses, tu crois ? A part tes seins qui sont un peu plus gonflés que d’habitude, on ne voit rien encore. Et ce détail, à part moi, personne ne devrait le remarquer, si ?

— Je n’en sais rien… Ça dépend des femmes. De ce que j’ai lu, certaines ont à peine du ventre à quatre mois de grossesse, d’autres sont déjà bien arrondies. J’imagine qu’avec des vêtements amples, je peux cacher ça au moins deux mois. Sauf si j’ai récolté l’option montgolfière rapide. Il va surtout falloir espérer que je ne sois pas dans la prochaine liste de prélèvement d’ovocytes. On va naviguer à vue, là… au jour le jour.

— Ça nous laisse un peu de temps pour trouver une solution… même si, à l’heure actuelle, j’avoue que je ne vois pas ce qu’on pourrait faire. Il faudrait trouver un bateau, mais le prochain n’est pas prévu pour tout de suite et je ne sais pas comment on pourrait embarquer vu la sécurité qu’il y a autour de ces arrivées…

— Il y a plus de bâteaux que prévu, Malcolm. Un petit port au sud de l’île reçoit des arrivages du continent. Peut-être qu’on peut essayer de se renseigner de ce côté-là ?

— Des bateaux au sud ? C’est quoi cette histoire ? Je ne savais même pas qu’il y avait un port, là-bas. C’est pas censé être une région volcanique et désertique ?

— C’est Mathilde qui nous en a parlé… Je crois qu’elle a vendu la mèche, mais on parlait de ses récoltes et elle nous a dit qu’elle recevait des trucs du continent pour l’aider.

— Eh bien, il va falloir qu’on aille voir ça. On n’a plus rien à perdre, maintenant, on peut prendre des risques. De toute façon, au pire, on accélère le recyclage. Mais je n’ai pas du tout envie de céder sans combattre. Ce bébé, notre bébé, c’est un vrai miracle et on doit tout faire pour qu’il se réalise, tu ne crois pas ? Moi, j’en ai très envie. Je veux te voir enceinte, je veux te voir maman. Je veux voir grandir notre enfant avec toi à mes côtés. Alors, s’il faut partir en guerre contre le Conseil, faisons-le !

— Je t’aime, Malcolm. Je crois bien que je te le dis moins souvent que tu ne le fais toi, mais sois sûr que je t’aime, sourit-elle avant de m’embrasser.

Je l’enlace et mes mains se posent naturellement sur ses fesses rebondies. Je sens son corps se coller contre le mien et ses mains se nouer autour de mon cou. Ses doigts viennent caresser ma barbe alors que nous échangeons un baiser qui semble sceller encore plus notre union. Je réalise que je suis en train d’embrasser non seulement la femme que j’aime mais aussi la femme qui porte notre bébé, celle qui l’accueille en elle pour lui permettre de grandir et de se développer. Je ne vais pas pouvoir l’aider dans ce processus que l’évolution a réservé aux femmes, mais c’est mon devoir de l’accompagner pour tout le reste. Il ne faut pas qu’elle se sente seule, jamais. Je me dois d'être présent à ses côtés pour la protéger si elle en a besoin, la soutenir quand ce sera compliqué, l'écouter quand elle aura besoin de parler et surtout ne jamais cesser de l'aimer. Encore et toujours. Même si nous ne pouvons pas vivre ensemble, nous sommes un couple. Nous ne sommes pas dans ce qui fait la norme sur notre île, mais notre amour est fort.

Désormais, à tout moment, davantage encore que précédemment, nous risquons l'arrestation et le recyclage. Cette pensée devrait m'effrayer, me tétaniser car c'est une véritable épée de Damoclès au-dessus de nos têtes. Cependant, je vis cette révélation comme un défi, une invitation à la rébellion, à la résistance. Dans ma tête défilent mille scénarios et aucun n'implique un abandon. Si je veux devenir père, si je veux pouvoir fièrement regarder mon enfant grandir et se développer aux côtés de la femme que j’aime, je dois me battre. Et je vais le faire. Si le combat semble perdu d'avance, nous n'abdiquerons pas sans essayer de sauver cette vie qui ne demande que le droit d'exister.

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