Prologue : Naufragée solitaire

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Les rayons du soleil levant s’écrasent sur son visage et elle remonte la couverture de survie pour se protéger les yeux. Sa peau lui tire, elle a l’impression que son visage se craquelle lorsqu’elle grimace. Elle a mal au ventre de n’avoir rien avalé depuis deux jours, la bouche et la gorge sèches de n’avoir pas bu, et des frissons en repensant à ce qu’il s’est passé. Comment tout a pu basculer aussi rapidement ?

Tout se passait pourtant au mieux. Cette croisière avec Rose était juste parfaite. C’était vraiment génial de se retrouver enfin toutes les deux, après des mois à bosser comme des dingues, à se croiser, à se disputer, parfois. Il leur fallait vraiment ces vacances. Si seulement elle l’avait écoutée et qu’elles étaient parties à la montagne, elles seraient sans doute encore toutes les deux, au lit, à se bécoter, à l’heure actuelle. Ou à se masser après de nombreuses heures de randonnée et un réveil plein de courbatures. Là, elle est seule, dans un radeau de survie gonflable qui va sans doute être sa dernière demeure, pense-t-elle. Deux jours, deux longues journées à prier pour qu’un bateau passe par ici. Elle ne sait même pas où elle se trouve. Tout ce qu’elle sait, c’est que l’océan est à perte de vue, que le coucher de soleil était magnifique hier soir, mais qu’il lui manquait Rose, un verre de vin, le sable tiède sous ses pieds et du saucisson pour vraiment en profiter. On est bien loin de la croisière rêvée.

Liz se redresse finalement, non sans avoir prié pour voir un lopin de terre à l’horizon, et ouvre doucement les yeux, comme si découvrir ce qui l’entourait pouvait être moins déprimant en le faisant de la sorte. Elle a soif, elle a faim, elle est épuisée, et personne n’est venu la chercher. Est-ce que le bateau a envoyé un signal de détresse ? Pourquoi est-elle encore ici ? Et comment a-t-elle pu perdre Rose dans leur affolement pour rejoindre un radeau ? Sa main était fermement accrochée à la sienne, elle n’arrive toujours pas à réaliser à quel moment elle l’a perdue, comment cela a pu se produire. C’est fou, elle a presque la sensation de sentir encore sa paume contre la sienne. Sauf que ce n’est pas la réalité, elle est tout autre : elle a lâché la main de Rose et elle ne s’en est même pas rendu compte.

Personne devant elle. Elle tourne la tête à gauche, puis à droite, et ce n’est pas mieux. De l’eau partout, juste de l’eau, rien que de l’eau, avec le reflet du soleil qui la pare d’une divine couleur rose-orangé qu’elle pourrait apprécier si elle n’était pas au fond du trou. Liz soupire et se tourne lentement pour faire un demi-tour sur elle-même. Elle a mal partout et elle n’en peut plus d’entendre ce grincement dégueulasse du frottement de son short contre le plastique du radeau. Pourtant, elle oublie tout en un quart de seconde quand se dessine au loin la forme d’un navire. Elle ne sait pas ce que c’est, mais franchement, elle s’en fout, elle se lève brusquement, manque de tomber à l’eau, et lève les bras pour les secouer dans tous les sens en hurlant. Ça fait mal à la gorge, ça ne sert sans doute à rien, mais elle ne sait pas quoi faire d’autre. Elle a le cerveau au ralenti et il lui faut un temps pour se rappeler du pistolet qui se trouve dans la sacoche de secours. C’est fait pour ça, non ? Mais comment ça marche ce truc ? Ça semble beaucoup plus facile dans les films !

Elle le bidouille comme elle peut, observe la bête, et finit par le lever en direction du ciel et appuyer sur la gâchette. Elle sursaute en le sentant vibrer et son sourire s’élargit quand elle réalise qu’elle a réussi. Pitié, faites qu’ils voient cette lumière et viennent par ici ! Elle croit qu’elle ne s’en remettra pas s’ils partent sans la secourir. De toute façon, qu’elle s’en remette ou pas, c’est la mort assurée si elle reste encore dans ce radeau de fortune. Autant qu’elle se jette à l’eau et qu’elle en finisse. Liz n’est pas croyante mais elle se met à genoux et prie pour que la chance ne l’abandonne pas. Elle a déjà survécu au naufrage du bateau où elle se trouvait, ce n’est pas pour finir en tant que nourriture pour les petits poissons !

A sa grande joie, Liz voit les voiles grossir et le bateau se rapprocher. C’est bon, ils l’ont vue ! Elle est sauvée ! Elle sauterait presque de joie si elle n’avait pas peur de se retrouver par dessus bord. Elle se contente d’essayer de ramer vers eux, dans une vaine tentative d’accélérer son retour à la civilisation. Elle espère que Rose et les autres ont réussi à s’en sortir aussi de leur côté et qu’elles seront bientôt réunies. Elle a tellement hâte que toute cette aventure ne soit plus qu’un mauvais souvenir qui les fasse rire ensemble. D’ailleurs, si elle s’en sort, elle se fait la promesse de la demander en mariage. Cela méritera au moins ça.

Lorsque le bateau s’approche, elle est surprise de voir tous les panneaux solaires qui ornent la coque. Elle n’a jamais rien vu de pareil et, entre ça et la grande voile blanche qui orne le mat central, elle pense qu’il s’agit là d’un modèle ultra-moderne. En tout cas, il fonce vers elle à vive allure et s’arrête par elle ne sait quel miracle à quelques mètres seulement de son embarcation. Les hommes, des pêcheurs sûrement, l’observent avec leurs jumelles. Elle lève les bras en l’air et les agite pour les saluer mais aucun ne répond. Elle les voit discuter entre eux, comme s’ils réfléchissaient à la suite de cette aventure. C’est pourtant simple, non ? Ils la recueillent, l’emmènent sur la terre ferme et ensuite, les assurances s’occupent de tout. Il n’y a pas à tergiverser.

Enfin, ils se décident et leur bateau se remet en mouvement avant d’accoster le sien. Liz n’a plus beaucoup de force et ne parvient pas à s’accrocher à l’échelle qu’ils lui tendent, ce qui oblige deux d’entre eux à venir la rejoindre. Aucun ne parle, personne ne la salue ou ne s’adresse à elle, c’est étrange, mais ils n’ont pas l’air méchant. Ils la prennent dans leurs bras musclés et la soulèvent comme si elle ne pesait rien pour l'entraîner jusqu’à leur navire où ils la déposent devant un homme d’âge mûr, une grande barbe grise qui encadre son visage et ses yeux qu’elle devine rieurs mais qui la regardent froidement. Tu parles d’un sauvetage… Elle se demande pourquoi ils sont autant sur la défensive.

— Bonjour. Je m’appelle Liz. J’étais sur un bateau de croisière. Il y a eu une explosion et le navire a coulé. Vous me comprenez ? ajoute-t-elle alors qu’aucun ne réagit.

— On te comprend. Dimitri, va chercher à boire et à manger pour la dame.

— Tu ne devrais pas lui parler, James… Je doute qu’ils apprécient qu’on ramène une femme.

— T’occupe, j’assume, c’est ma décision. Ramenez-lui des couvertures. On rentre !

James, le barbu, tourne les talons sans plus se préoccuper d’elle et les autres reprennent leur vie comme si elle n’existait pas. Elle se retrouve seule, jusqu’à ce que celui qu’elle imagine être Dimitri lui apporte un grand verre d’eau qu’elle avale d’une traite. Elle pourrait en boire dix comme ça, sans pour autant avoir la sensation d’être réhydratée, pense-t-elle, c’est fou.

— Merci, dit-elle en récupérant le sandwich qu’il lui tend. Merci beaucoup.

Le type non seulement ne lui répond pas mais s’éloigne d’elle comme si elle avait la peste. Ils ont peut-être raison de se méfier. Qui sait si elle n’a pas chopé un truc, un virus marin pendant ce temps sur le radeau. Liz a la tête qui tourne et est obligée de s’asseoir sur le sol du pont alors que tous les hommes présents évitent son regard. Personne ne s’approche d’elle et elle se demande si elle va faire tout le reste du voyage là où elle se trouve.

Elle ne sait pas trop combien de temps elle reste comme ça, mais James revient la voir et lui tend une grosse couverture en laine.

— Lève-toi, je t’emmène au chaud, tu pourras te reposer. J’ai appelé le port, ils envoient la doc pour s’occuper de toi.

— Merci. Vous m’emmenez où ? Je vais pouvoir rentrer chez moi rapidement ?

— Pour l’instant, on va te ramener sur la terre ferme et te remettre sur pied. Allez, debout, lui ordonne-t-il en lui faisant signe de le suivre.

Liz s’exécute, non sans mal, et s’appuie contre la porte en sentant sa tête tourner à nouveau. L’ambiance est un peu glauque sur ce bateau et elle commence à se demander si elle n’était pas mieux sur son radeau, même s’ils ne semblent pas dangereux, à première vue. Elle se demande si elle a les idées claires en le suivant comme elle peut à travers le bateau, mais elle arrive quand même à repérer que les deux hommes qu’ils croisent sur le chemin baissent les yeux et s’écartent pour ne surtout pas être en contact avec elle. C’est fou, elle a vraiment l’impression d’être contagieuse.

— Ne sors pas de la cabine tant que je ne viens pas te chercher, compris ? Il y a de l’eau et des fruits, sers-toi et repose-toi.

— Vous allez faire quoi de moi ? Je veux revoir ma famille…

— Moi, je te ramène en vie sur l’île. Pour le reste, ce n’est pas moi qui gère. Mais ne t’inquiète pas, tu ne vas pas au bagne, au contraire. L’île est un lieu agréable, tu verras. Repose-toi, on sera au port d’ici la fin de journée, termine-t-il en fermant la porte, la laissant seule dans l’étroite cabine.

L’île ? Est-ce que Rose pourrait y avoir atterri, elle aussi ? Liz espère qu’elle va bien, et elle avoue que malgré ses inquiétudes, elle ne boude pas son plaisir en dévorant les quelques fruits à sa disposition. De toute façon, elle ne peut pas faire grand-chose de plus que de patienter. Et s’installer plus confortablement, aussi, même si ce n’est pas l’idée du siècle, parce que la fatigue lui tombe dessus et qu’elle a beau lutter, elle finit par m’assoupir.

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