03. Joli cul chez le doc

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Jade

J’accroche la poche et la raccorde à la perfusion de la jolie sirène qui a débarqué sur l’île par surprise ou presque, tandis qu’elle observe mon cabinet avec curiosité. Elle est vraiment magnifique, même si elle est plutôt échevelée et clairement fatiguée, qu’elle a les traits tirés et la peau toute sèche.

— J’aurais peut-être dû te ramener chez moi pour que tu puisses te doucher et te poser… Il y a une chambre ici, mais ce n’est pas très confortable, soupiré-je. Comment tu te sens, Liz ?

— Quand vais-je pouvoir rentrer chez moi ? Je n’ai rien de grave, si ? C’est quand le prochain avion pour la France ?

— Non, tu es surtout déshydratée et affamée. Un avion ? Pourquoi pas déverser un baril de pétrole directement en mer, tant qu’on y est ? On n’a pas d’avions ici, il n’y a qu’un bateau qui va sur le continent, je ne sais même pas à quelle fréquence.

— Juste un bateau ? s’écrie-t-elle en ouvrant grand ses yeux. Mais… je… je peux quand même contacter ma famille pour les rassurer ? Et vous avez trouvé d’autres survivants ? s’inquiète-t-elle.

— Je n’en ai aucune idée. La seule information que j’ai, c’est que les pêcheurs t’ont récupérée et que tu as besoin de soins. Et nous n’avons pas de contacts en dehors de l’île, on vit… différemment du continent, ça c’est clair, ris-je. Est-ce que tu veux que je te laisse un moment pour te laver à l’évier ? J’ai des vêtements de rechange dans mon local de stockage, je vais te les apporter.

— Tu veux dire que je suis bloquée ici sans possibilité de partir ni de demander à ce qu’on vienne me chercher ? Ce n’est pas possible… se lamente-t-elle, au bord des larmes. Ne me quitte pas, s’il te plaît… Je ne veux pas rester seule.

Autant dire que ma soirée avec Jasmine est foutue… Tant pis pour l’arrivage de fruits et légumes. J’espère qu’elle ne m’en tiendra pas rigueur, mais elle sait que je suis coincée avec la naufragée, après tout.

— Je laisse la porte ouverte, le stockage est juste à côté, souris-je sans pour autant bouger. Tu sais, c’est pas mal, ici. Y a pire, franchement. Tu as déjà entendu parler de l’Île ?

— Je ne sais pas où nous sommes et non, je n’ai jamais entendu parler d’une île sans avion ni Internet…

— Je vois. Une membre du Conseil ne devrait pas tarder à passer, on pourra lui demander quand le prochain bateau fera un aller-retour sur ton continent. Bienvenue sur l’Île, en attendant. Un petit paradis globalement autosuffisant et très écologique. Ici, on vit de nos récoltes, de notre pêche, de nos fermes. On s’alimente en électricité grâce aux éoliennes et aux panneaux solaires installés sur chacun des bâtiments.

— Et vous ne manquez de rien ? Je ne sais pas moi… Il n’y a rien ici qui vient de Chine ? Comment vous faites ?

— Chacun ici a son rôle à jouer. Et chacun travaille pour tout le monde. Disons que ce n’est pas toujours facile à accepter, mais c’est pour le bien de tous. Moi, par exemple, je ne voulais pas vraiment être médecin, grimacé-je en tirant mon tabouret pour m’asseoir. Mais les tests étaient formels, c’était ça ou scientifique. Et au final, les tests avaient raison, j’adore ce que je fais et je sers la communauté. C’est pareil pour tout le monde, on a des femmes qui fabriquent nos meubles, construisent nos maisons, d’autres qui tiennent la ferme. Bref, il y a de tout, ici.

— Purée, j’en reviens pas, je suis tombée chez les Amish, là. Non mais, la technologie, ça a du bon aussi, tu sais !

Je ris plutôt que de prendre la mouche. Elle nous pense vraiment arriérés ? Bon, OK, possible que sur certains points, notre communauté se rapproche des Amish, mais faut pas pousser quand même.

— On a de la technologie aussi. Un serveur interne à l’île, des ordinateurs, j’ai même une voiturette. Personne ne se promène en charrette, mais une balade à cheval, ça peut être sympa quand même. Et puis, les maisons ont des ordinateurs de bord. Je peux par exemple contrôler l’arrosage de ma serre depuis mon ordinateur, ou la fermeture des volets. Pas mal pour des Amish, non ?

— C’est étrange tout ça… Et tu peux me dire pourquoi tous les mecs ici me fuient comme la peste ? C’est écologique aussi, ça ? Ou alors, ils n’aiment pas les blondes ?

Là, c’est plus complexe à expliquer. Est-ce que c’est entendable, d’ailleurs ?

— Les hommes et les femmes ne vivent pas ensemble. L’histoire a montré qu’ils passaient leur temps à se faire du mal. Chez toi, dans le monde entier d’ailleurs, le patriarcat fait encore des dégâts, sous couvert d’une société où même vos représentants ne sont pas innocents. Les femmes doivent lutter, manifester, se faire entendre pour obtenir l’égalité, non ? Ici, nous sommes tous égaux et chacun vit de son côté. Il n’y a que dans cette rue qu’ils se côtoient, sans jamais se parler, sans jamais se toucher. C’est… une loi entérinée depuis déjà plusieurs générations. De toute façon, ils ont tous l’air un peu débiles, je trouve. C’est con, un mec, non ?

— Je crois que là-dessus, au moins, on est d’accord, rit-elle. Moi, avec ma copine, on s’en moquait toujours. Et pas un qu’on ne pourrait remplacer par un beau jouet !

— Sache qu’ici, toutes les femmes ou presque sont ouvertes à des jeux bien agréables avec des jouets, lui soufflé-je. Bon, je vais aller te chercher des vêtements propres et secs. J’en ai pour une minute, OK ?

— Oui, ça va aller… De toute façon, je ne peux que patienter…

J’acquiesce et sors de la salle après avoir récupéré la clé du local de stockage dans mon bureau. C’est toujours autant le bazar, là-dedans, mais je n’ai pas encore trouvé le temps de tout ranger. Il y a eu un bel arrivage de bébés, ces dernières semaines, et l’été apporte son lot de blessures, ce qui me laisse peu de temps pour le reste, si je veux manger, dormir et me faire plaisir aussi. Forcément, je mets un moment à trouver les vêtements que je laisse toujours ici au cas où j’aurais besoin de me changer, et lorsque je retourne dans mon bureau, la jolie sirène s’est assoupie sur ma table d’examen. J’ai l’occasion de la détailler davantage et ne peux qu’apprécier ce que je vois. Ses cheveux sont coupés en carrés et ondulent un peu dans tous les sens, ce qui lui donne un petit côté négligé par désagréable. Elle a des formes là où il faut, n’est pas mince mais plutôt voluptueuse, et elle a des lèvres pleines qui ne demandent qu’à être dévorées, je crois. Merde, si Jasmine savait que je me mets à fantasmer sur une autre femme alors qu’on devrait être en train de dîner toutes les deux, elle me priverait de ses faveurs pour des semaines.

Je dépose les vêtements près d’elle et m’installe à mon bureau pour remplir les documents sur mes consultations de la journée. Dans le genre maniaques du contrôle, ils sont pas mal, au Conseil, et je dois rendre compte de tout ce que je fais dans le dossier informatisé de mes patientes. Donc de toutes les femmes de l’île, globalement.

Je suis surprise d’entendre la petite sonnette de l’entrée tinter, et je me lève pour aller retrouver la membre du Conseil qui vient me voir le plus souvent. Séverine, qui gère tout ce qui touche au médical chez les femmes, me salue d’un signe de tête alors que sa fille, Sacha, jolie petite ado, reste en retrait.

Le Conseil, c’est un peu comme la vieille monarchie. Ils sont là-haut de mère en fille et de père en fils. Sauf qu’il n’y a pas de conflit, puisqu’il n’y a qu’un enfant par couple. Au moins, personne ne se bat, c’est comme ça.

— Bonsoir, Séverine. Comment allez-vous ? Elle dort, on peut… discuter ici, ça ne vous dérange pas ? lui demandé-je en lui montrant les chaises de la salle d’attente, un peu gênée.

— Alors, cette réfugiée, elle va comment ? Elle a un beau cul, dis donc ! On n’a pas vu ça depuis très longtemps !

Ah oui ? Elle devrait peut-être faire un peu plus attention à nous, si elle pense ça. Celui de Jasmine est juste… parfait.

— Elle va plutôt bien. Signes classiques d’un manque de nourriture et d’eau, grosse fatigue, mais quelques jours de repos et ça ira mieux. Est-ce qu’il serait possible d’avoir des provisions pour elle ?

— Oui, on va te fournir ce qu’il faut. Par contre, il va falloir qu’on étudie son cas devant le Conseil avant qu’elle ne puisse sortir d’ici. Elle crée un déséquilibre qui n’est pas bon pour l’île. Une femme de plus que les hommes, tu te rends compte ?

Elle prend un air vraiment horrifié en me disant ces paroles, comme si c’était la fin du monde. Et moi, je me demande à quel point c’est terrible. Une femme… c’est rien, un grain de sable sur la plage, non ?

— Elle veut rentrer en France, on peut l’accueillir jusqu’au prochain bateau, non ? Quand est-ce qu’il est prévu ?

— Et qu’elle aille raconter à tout le monde ce qu’on fait ici ? Tu rêves ou quoi ? Si on veut préserver notre écosystème, rien ne doit sortir. Donc elle reste. Tu n’auras qu’à lui dire que le bateau est parti il y a même pas une semaine. Le prochain est dans trois mois, ça la fera patienter.

Je soupire, consciente qu’elle a raison, sur un point au moins. L’île reste cachée aux yeux de tous ou presque, et c’est ce qui nous permet de vivre aussi bien, de protéger notre nature et de ne pas être des sujets de foire. Parce que, honnêtement, vu ce que j’ai appris des gens en dehors d’ici, notre façon de vivre risquerait d’attirer les curieux.

— Vous permettez que je la ramène chez moi dès demain ? Elle sera plus au calme pour encaisser la nouvelle et se familiariser avec la vie ici, dans le quartier. Je verrai avec mes voisines pour qu’elles passent la voir quand je suis absente, histoire qu’elle ne se sente pas trop seule.

Jasmine va me tuer. Littéralement.

— Il faudra qu’on l’interroge avant… mais pourquoi pas, oui. Toi aussi, tu aimes bien son cul ?

— C’est ma patiente, ris-je. Pour l’instant, j’aime la voir se poser et m’accorder sa confiance. Pour le reste, on verra plus tard. Oh, dites-moi, Séverine… Est-ce que vous savez s’il y a eu d’autres survivants ? Ou si des pêcheurs vont aller jeter un œil dans le coin où elle a été récupérée ?

— On n’a trouvé personne, non. Et le Conseil a demandé à tout le monde d’éviter la zone, comme ça, on ne risque pas de ramener d’autres personnes. Notre équilibre écologique est à ce prix !

J’adore mon île, vraiment, mais ce côté purement égoïste me pose parfois question. C’est quand même moche d’ordonner aux pêcheurs d’éviter cette zone au risque de tomber sur d’autres naufragés. J’ai beaucoup de mal avec ce comptage. Quoi, sous prétexte qu’il y a plus de femmes, on risque de tout foutre en l’air ? Si nous voulions vraiment nous rebeller, ce serait déjà fait, à compte égal ou non.

— D’accord, soupiré-je. La pauvre voyageait avec sa petite amie. C’est triste…

— Ah, elle a déjà des bons principes, alors. Peut-être qu’on ne va pas l’éliminer, ce serait dommage avec un cul comme ça…

— Donc quoi, vous allez sacrifier l’une des nôtres pour un cul ? ne puis-je m’empêcher de lui lancer avant de me reprendre. Je… pourquoi ne pas simplement attendre un peu pour le prochain bébé chez les femmes ?

— C’est le Conseil qui décidera, voyons ! Pas moi. Ce que je pense ne compte pour rien, c’est la survie de l’île qui sera prise en compte ! Je te laisse, garde-la nous en bonne forme en tout cas.

— Bien Madame. Bonne soirée à vous. Sacha, contente de vous avoir vue. Elle grandit bien vite, votre fille.

Je les raccompagne à la porte et ferme à clé derrière elles. Le Conseil décidera… Le Conseil a la main sur nos vies et si, globalement, c’est plutôt agréable de se laisser porter, j’ai beaucoup plus de difficultés à accepter cette façon de gérer la population. Mais nous n’aurons pas notre mot à dire… C’est pour le bien de tout un chacun, pour la survie de notre île.

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